La Cour de justice de l’Union européenne, dixième chambre, par un arrêt rendu le quinze septembre deux mille vingt-deux, encadre les retraits d’appels d’offres. Un pouvoir adjudicateur lance une procédure de passation de marché public pour des prestations de services d’assurance. Plusieurs soumissionnaires déposent des offres afin de répondre aux besoins de différents services publics nationaux. L’offre économiquement la plus avantageuse est initialement retenue par le comité d’évaluation compétent. Toutefois, la société désignée comme attributaire refuse finalement de conclure le contrat de marché définitif. Le pouvoir adjudicateur identifie alors le candidat suivant qui est classé par ordre de mérite décroissant. Ce candidat déclare appartenir au même groupe économique que l’entreprise qui s’est préalablement désistée. Il affirme néanmoins avoir élaboré son offre de manière totalement indépendante et sans aucune concertation. En application d’un décret national, l’administration décide de mettre fin à la procédure d’adjudication en cours. Elle considère que l’existence d’un opérateur économique unique impose la clôture systématique du marché.
Une juridiction administrative nationale est saisie d’un recours tendant à obtenir l’annulation de cette décision. Elle s’interroge sur la compatibilité de cette règle automatique avec les principes fondamentaux du droit de l’Union. La question posée à la Cour porte sur les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité. Le juge européen doit préciser si une clôture systématique peut être imposée sans analyse factuelle. La Cour répond que le principe de proportionnalité s’oppose à une telle réglementation nationale rigide. Elle privilégie une approche fondée sur l’examen concret de l’indépendance des offres déposées.
I. L’interdiction d’une présomption irréfragable de collusion
A. Le rejet de la clôture automatique de la procédure La Cour rappelle que les États membres peuvent prévoir le retrait d’un appel d’offres pour des motifs d’intérêt public. Cependant, cette décision doit impérativement respecter les principes généraux du droit de l’Union européenne. Le juge souligne que l’exclusion automatique « constitue une présomption irréfragable d’interférence réciproque dans les offres respectives ». Une telle mesure dépasse ce qui est nécessaire pour prévenir efficacement les comportements collusoires. La réglementation nationale visait pourtant à écarter toute collusion potentielle entre les participants. Elle imposait de « mettre fin à la procédure de passation du marché public » en cas de lien entre les soumissionnaires. Le juge européen censure ce mécanisme rigide qui ne laisse aucune place à la nuance factuelle.
B. Le respect impératif du principe de proportionnalité La validité d’une mesure nationale dépend strictement de sa proportionnalité par rapport aux objectifs de transparence. La Cour affirme que la réglementation ne doit pas « aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs ». En l’espèce, le droit interne privait les candidats de la possibilité de prouver leur autonomie. Une présomption irréfragable ne permet pas de garantir la participation la plus large possible des opérateurs. Elle nuit gravement à l’ouverture des marchés publics souhaitée par le législateur de l’Union. Le retrait de l’attributaire initial ne saurait justifier une sanction systématique sans vérification préalable. Cette exigence de proportionnalité protège les entreprises liées contre des décisions administratives arbitraires.
II. L’exigence d’une appréciation factuelle de l’indépendance des offres
A. La protection de la participation la plus large des soumissionnaires L’intérêt du droit de l’Union réside dans la libre circulation et l’élimination des restrictions à la concurrence. Le juge souligne que « les regroupements d’entreprises peuvent revêtir des formes et des objectifs variables ». Des entreprises contrôlées peuvent jouir d’une autonomie réelle dans la conduite de leur politique commerciale. L’exclusion de fait de ces entités réduit artificiellement le nombre de compétiteurs sur le marché. En outre, une clôture automatique est de nature à dissuader des sociétés de présenter des offres concurrentes. Cette situation est contraire aux objectifs fondamentaux de la directive européenne de deux mille quatorze. Le maintien d’une concurrence effective impose de ne pas écarter des offres potentiellement valables.
B. La nécessité d’une preuve contraire laissée aux opérateurs La solution repose sur l’obligation pour le pouvoir adjudicateur d’effectuer un examen approfondi de chaque situation. L’autorité compétente doit déterminer si le rapport entre deux entités a « exercé une influence concrète sur le contenu respectif des offres ». Le candidat doit pouvoir apporter la preuve que son offre a été préparée indépendamment. La seule appartenance à une même entité économique n’établit pas une concertation frauduleuse. Enfin, la Cour insiste sur le fait qu’aucune « présomption irréfragable en ce sens ne saurait être instituée ». Cette approche garantit un équilibre entre la lutte contre la fraude et la liberté économique. Les autorités nationales doivent adapter leurs procédures pour permettre cette démonstration factuelle.