Par un arrêt en date du 8 février 2007, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les modalités de calcul des amendes infligées pour infraction au droit de la concurrence, et plus spécifiquement sur la prise en compte de la récidive comme circonstance aggravante.
En l’espèce, une entreprise avait été sanctionnée par la Commission pour sa participation à une entente complexe sur le marché de la bière, impliquant notamment des accords sur les prix et un partage de la clientèle. La Commission avait majoré le montant de l’amende en retenant une circonstance aggravante de récidive, se fondant sur des infractions antérieures au droit de la concurrence commises par cette même entreprise. Saisi d’un recours, le Tribunal de première instance avait confirmé le principe de la prise en compte de la récidive, tout en annulant un autre aspect de la décision et en procédant lui-même à un nouveau calcul de l’amende en vertu de sa compétence de pleine juridiction. L’entreprise a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant tant le bien-fondé de la prise en compte de la récidive que la méthode de recalcul de l’amende par le Tribunal. La question soumise à la Cour portait donc sur la légalité du recours à la notion de récidive en l’absence de délai de prescription défini, et sur l’étendue des pouvoirs du juge communautaire lorsqu’il est saisi d’une contestation relative au montant d’une sanction. La Cour de justice a rejeté le pourvoi, validant ainsi l’approche du Tribunal et consolidant les instruments à la disposition des autorités de concurrence pour assurer l’effet dissuasif des sanctions.
Cette décision permet de réaffirmer la place centrale de la récidive comme outil de la politique de concurrence (I), tout en précisant l’étendue de la compétence de pleine juridiction dont dispose le juge communautaire en la matière (II).
I. La confirmation de la récidive comme instrument de la politique de concurrence
La Cour de justice valide l’approche du Tribunal en consacrant la récidive comme un élément d’appréciation de la gravité de l’infraction, indépendamment d’un fondement textuel spécifique (A), et en écartant la nécessité d’un délai de prescription pour sa prise en compte (B).
A. La consécration de la récidive en l’absence de fondement textuel explicite
L’entreprise requérante soutenait que l’application d’une majoration pour récidive violait le principe de légalité des peines, au motif que cette circonstance aggravante n’était pas expressément prévue par le règlement n° 17, mais uniquement par des lignes directrices dépourvues de valeur normative. La Cour de justice écarte cet argument en rappelant que la base juridique des amendes est l’article 15 du règlement n° 17, lequel impose de prendre en considération la gravité de l’infraction. Or, la Cour estime que la gravité se détermine par référence à de nombreux facteurs, au titre desquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation. La récidive constitue l’un de ces facteurs.
La Cour précise ainsi que « une éventuelle récidive figure parmi les éléments à prendre en considération lors de l’analyse de la gravité de l’infraction en cause ». Les lignes directrices, même si elles n’ont pas de force contraignante, ne font que préciser la méthodologie que la Commission s’impose et assurent une forme de sécurité juridique, mais ne créent pas la faculté de sanctionner la récidive. Cette faculté découle directement du pouvoir d’appréciation conféré par le règlement pour évaluer la gravité de l’infraction. En agissant ainsi, la Cour ancre la prise en compte de la récidive non pas dans un mécanisme automatique de droit pénal, mais dans l’analyse concrète du comportement de l’entreprise et de sa propension à enfreindre les règles de concurrence, ce qui renforce l’objectif de dissuasion de la sanction.
B. Le rejet d’un délai de prescription pour la prise en compte de la récidive
L’entreprise arguait également qu’en l’absence de délai de prescription, la menace de se voir opposer une récidive pour des faits anciens violait le principe de sécurité juridique. La Cour rejette cette thèse en affirmant que la Commission n’est pas liée par un délai de prescription pour un tel constat. Elle souligne que « la récidive constitue un élément important que la Commission est appelée à apprécier, étant donné que sa prise en compte vise à inciter les entreprises, qui ont manifesté une propension à s’affranchir des règles de la concurrence, à modifier leur comportement ».
L’appréciation de cette propension relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission, qui peut tenir compte de tous les indices pertinents, y compris le laps de temps écoulé entre les infractions. En l’espèce, la Cour note que le Tribunal a relevé qu’un laps de temps relativement bref, moins de dix ans, séparait les infractions, ce qui suffisait à établir la tendance de l’entreprise à méconnaître les règles. Cette solution confirme que la récidive en droit de la concurrence n’est pas tant la répétition d’une infraction dans un délai légal donné, que la manifestation d’une attitude persistante qui justifie une réponse plus sévère pour garantir l’efficacité de la politique de concurrence. L’absence de délai fixe préserve la flexibilité de la Commission, mais impose une motivation circonstanciée de sa décision.
II. L’étendue de la compétence de pleine juridiction du juge communautaire
La Cour de justice profite de ce pourvoi pour clarifier la portée de la compétence de pleine juridiction du juge, en validant sa capacité à se substituer à la Commission dans le calcul de l’amende (A) et en jugeant que cet exercice n’a pas porté atteinte aux droits de la défense (B).
A. La substitution de l’appréciation du juge à celle de la Commission
L’entreprise reprochait au Tribunal d’avoir outrepassé ses pouvoirs en recalculant lui-même l’amende selon une méthode différente de celle de la Commission, alors même que cette méthode n’était pas l’objet principal du litige. La Cour balaye cette critique en rappelant la nature spécifique de la compétence de pleine juridiction que lui confère l’article 17 du règlement n° 17. En vertu de ce texte, le juge communautaire n’exerce pas un simple contrôle de légalité, mais peut « substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée ».
Le Tribunal n’a donc pas statué *ultra petita* car, dès lors qu’il est saisi d’une contestation sur le montant de l’amende, il est habilité à en réexaminer l’ensemble des modalités de calcul pour s’assurer de son caractère approprié. Le fait que la Commission se soit écartée de ses propres lignes directrices dans sa méthode de calcul autorisait le Tribunal à corriger cette erreur en appliquant la méthode préconisée par ces mêmes lignes. Cet arrêt illustre avec force que le contentieux des sanctions de la concurrence confère au juge un rôle qui dépasse celui d’un simple censeur des illégalités pour en faire un véritable arbitre du montant de la sanction.
B. L’exercice de la compétence de pleine juridiction dans le respect des droits de la défense
À titre subsidiaire, l’entreprise soutenait que le Tribunal aurait dû l’inviter à présenter ses observations sur le nouveau mode de calcul qu’il envisageait d’appliquer, et qu’en omettant de le faire, il avait violé les droits de la défense. La Cour écarte également ce moyen. Elle relève que, en contestant le montant de l’amende, l’entreprise s’exposait à ce que le Tribunal examine l’ensemble des éléments de calcul.
Surtout, la Cour souligne que le Tribunal n’a retenu aucun élément nouveau ou imprévisible. Il s’est borné à appliquer la méthodologie que la Commission avait elle-même publiée dans ses lignes directrices. Le raisonnement du Tribunal était donc raisonnablement prévisible pour l’entreprise, qui avait elle-même soulevé la question de l’application correcte de ces lignes directrices. Par conséquent, « dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal s’est exclusivement fondé sur les dispositions des lignes directrices sans retenir d’autres éléments, circonstances ou critères, dont [l’entreprise] n’aurait pu prévoir la prise en compte ». La Cour considère donc que les droits de la défense n’ont pas été méconnus, car le débat contradictoire avait implicitement porté sur la conformité du calcul de l’amende aux règles que la Commission s’était engagée à suivre.