Cour de justice de l’Union européenne, le 8 février 2024, n°C-750/21

Par un arrêt du 6 juillet 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié les conditions de représentation en justice d’un établissement de crédit placé sous administration spéciale par une autorité nationale. En l’espèce, un établissement de crédit avait vu son agrément retiré par l’autorité de surveillance prudentielle de l’Union, sur proposition de l’autorité compétente nationale. Cette dernière avait préalablement, en raison de difficultés financières graves de la banque, désigné une personne compétente pour assumer « la représentation légale et judiciaire de la banque à l’exclusion de la banque et de toute autre personne ». Estimant qu’une communication ultérieure de l’institution de l’Union constituait un acte attaquable, le conseil d’administration de la banque a mandaté un avocat pour introduire un recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne. Le Tribunal a rejeté ce recours comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit, sans se prononcer sur la recevabilité de l’action. Saisie d’un pourvoi par le conseil d’administration de la banque, la Cour de justice était amenée à répondre à la question de savoir si le conseil d’administration d’un établissement de crédit, dessaisi de ses pouvoirs de représentation au profit d’un administrateur externe, conserve la capacité d’agir en justice au nom de cet établissement. La Cour annule l’ordonnance du Tribunal pour erreur de droit, mais, statuant elle-même sur le litige, déclare le recours initial irrecevable au motif que le conseil d’administration n’avait plus la compétence pour mandater un avocat au nom de la banque.

La décision de la Cour rappelle d’abord fermement l’obligation pour le juge de l’Union de s’assurer de la régularité du mandat de représentation en justice (I), avant de définir de manière restrictive la capacité résiduelle d’action des organes sociaux d’une banque sous administration (II).

I. L’obligation de contrôle de la capacité à agir en justice

La Cour de justice censure la démarche du Tribunal en soulignant le caractère d’ordre public des règles de représentation (A), lesquelles auraient dû être examinées au regard des doutes sérieux qui pesaient sur le mandat de l’avocat (B).

A. Le caractère d’ordre public des règles de représentation

La Cour de justice rappelle avec force que la vérification de la capacité d’une partie à ester en justice relève de son contrôle d’office. Elle énonce que « toute circonstance ayant trait à la recevabilité du recours en annulation formé devant le Tribunal est susceptible de constituer un moyen d’ordre public que la Cour, saisie dans le cadre d’un pourvoi, est tenue de soulever d’office ». Cette exigence s’étend logiquement à la représentation des personnes morales. La régularité du mandat conféré à un avocat pour introduire un recours ne constitue pas une simple formalité administrative, mais une condition substantielle de la recevabilité de l’action.

En effet, la Cour précise que si l’article 51, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal a allégé les exigences de preuve au moment du dépôt du recours, il n’en demeure pas moins que « l’allégement des exigences de preuve au moment du dépôt d’un recours est sans incidence sur la condition de fond selon laquelle les parties requérantes doivent être dûment représentées par leurs avocats ». Par conséquent, le juge de l’Union ne peut se dispenser de vérifier la régularité du mandat lorsqu’un doute sérieux apparaît, même en l’absence de contestation par la partie adverse.

B. Les doutes sérieux sur la validité du mandat

Dans cette affaire, la Cour estime que le Tribunal ne pouvait ignorer les multiples indices qui mettaient en péril la validité du mandat de l’avocat. Le premier indice découlait des termes mêmes de la décision de l’autorité nationale ayant nommé l’administrateur externe. Ce dernier s’était vu confier « la représentation légale et judiciaire de la banque à l’exclusion de la banque et de toute autre personne ». Une telle formulation était, selon la Cour, propre à « faire naître des doutes sérieux quant à la capacité du conseil d’administration de la requérante à engager celle-ci dans une action contentieuse ».

Le deuxième indice résidait dans le contenu du mandat lui-même. Les membres du conseil d’administration y avaient inséré une clause précisant que « les tribunaux compétents devront déterminer quelles sont les personnes autorisées à représenter [la requérante] » et qu’ils n’assumaient « aucune responsabilité personnelle ». La Cour y voit une « invitation claire et explicite à vérifier qu’ils disposaient effectivement de cette capacité ». Enfin, le fait que la demande initiale visait précisément à obtenir le paiement des honoraires de cet avocat, que l’administrateur externe refusait, aurait dû alerter le Tribunal sur un possible défaut de compétence de l’organe mandant. Face à de tels éléments, le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant d’examiner d’office la régularité du mandat.

II. L’interprétation restrictive de la capacité d’action des organes sociaux

Après avoir annulé l’ordonnance, la Cour statue elle-même sur la recevabilité du recours. Elle fonde sa décision sur la primauté du droit national pour déterminer l’organe compétent pour représenter la société (A) et écarte l’application d’une jurisprudence antérieure fondée sur le conflit d’intérêts (B).

A. La détermination de la compétence par la loi de la société

La Cour réaffirme un principe constant selon lequel la détermination des organes habilités à représenter une personne morale en justice relève du droit national applicable à cette dernière. En l’absence de réglementation de l’Union, c’est la *lex incorporationis*, en l’occurrence le droit maltais, qui doit être appliquée pour identifier qui peut valablement mandater un avocat au nom de la banque.

Or, la Cour procède à une lecture littérale du mandat de l’administrateur spécial. Elle constate que ce mandat lui confiait explicitement et sans ambiguïté « tous les pouvoirs, fonctions et devoirs de la banque […] y compris la représentation légale et judiciaire de la banque à l’exclusion de la banque et de toute autre personne ». De cette formulation, la Cour déduit que « le conseil d’administration de la requérante n’était plus habilité à assurer la représentation de celle-ci et n’était plus compétent pour mandater un avocat à cette fin ». L’argument tiré d’une décision de la cour d’appel maltaise est écarté, car s’il reconnaît des pouvoirs résiduels aux administrateurs pour contester les mesures de surveillance nationales, il n’établit pas leur compétence pour agir contre des décisions de l’Union dans d’autres domaines.

B. Le rejet de l’exception fondée sur le conflit d’intérêts

La requérante invoquait une jurisprudence antérieure, *Trasta Komercbanka*, où la Cour avait jugé qu’un liquidateur ne pouvait révoquer le mandat d’un avocat agissant contre une décision ayant mené à la liquidation, en raison d’un conflit d’intérêts manifeste. Cette situation portait atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective. Cependant, la Cour distingue nettement la présente espèce de ce précédent.

Elle souligne que dans l’affaire *Trasta Komercbanka*, le liquidateur, désigné sur proposition de l’autorité nationale, était en situation de conflit d’intérêts car il avait pour mission de mettre en œuvre une liquidation découlant de la décision même qu’il était censé contester. En l’espèce, la Cour juge que « la requérante n’a pas apporté d’éléments relatifs au mandat de la personne compétente ou aux conditions dans lesquelles elle exerce ce mandat indiquant que celle-ci était, en droit ou en fait, en situation de conflit d’intérêts ». La seule nomination de l’administrateur par l’autorité nationale ne suffit pas à caractériser un tel conflit. En l’absence de preuve d’un conflit d’intérêts, l’exception au principe de la représentation exclusive par l’administrateur désigné ne peut s’appliquer. Le droit à une protection juridictionnelle effective ne saurait justifier de contourner les règles claires de représentation légale.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture