Cour de justice de l’Union européenne, le 8 juillet 2021, n°C-120/20

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt C-120/20 rendu le 13 janvier 2022, apporte des précisions majeures sur le régime de la responsabilité étatique. Cette décision s’inscrit dans le cadre d’un contentieux relatif au calcul des redevances d’accès à l’infrastructure ferroviaire nationale suite à une transposition incorrecte. Une entreprise de transport ferroviaire réclamait le remboursement de sommes versées au gestionnaire de l’infrastructure en invoquant le caractère indu d’une partie de la tarification. Un précédent arrêt en manquement avait effectivement constaté que la réglementation nationale incluait des coûts non directement imputables à l’exploitation du service ferroviaire. Le Tribunal régional de Varsovie a rejeté la demande indemnitaire le 24 mars 2016 en estimant que la directive ne créait pas de droits subjectifs. La Cour d’appel de Varsovie a confirmé cette position le 18 décembre 2017 en soulignant l’absence de preuve d’un préjudice certain et direct. Saisie d’un pourvoi, la juridiction de cassation nationale interroge la Cour de justice sur l’articulation entre les juridictions civiles et l’organisme de régulation sectoriel. Le litige porte sur l’exigence d’un contrôle administratif préalable de la légalité des tarifs avant toute action en responsabilité contre l’État membre défaillant. La juridiction de renvoi s’interroge également sur la compatibilité d’un régime de responsabilité nationale moins rigoureux que les standards minimaux fixés par le droit européen. La Cour de justice affirme la primauté du contrôle technique du régulateur tout en préservant la possibilité d’une indemnisation nationale plus favorable aux citoyens.

I. L’impératif d’un contrôle administratif préalable de la légalité tarifaire

A. La centralisation du contrôle de la tarification ferroviaire

L’organisation du secteur ferroviaire repose sur une séparation stricte entre les fonctions de gestion de l’infrastructure et celles de régulation des conditions d’accès au réseau. Le gestionnaire doit appliquer les tarifs de manière non discriminatoire afin de garantir une concurrence équitable entre tous les opérateurs présents sur le marché. La Cour souligne que la surveillance de ces principes incombe prioritairement à un organisme de contrôle indépendant doté de compétences techniques et décisionnelles spécifiques. Une intervention désordonnée des juridictions civiles de droit commun risquerait de fragiliser l’unité du système tarifaire national par des décisions potentiellement contradictoires ou isolées. Selon les juges européens, « une telle réglementation nationale aurait pour effet que diverses décisions de juridictions indépendantes se substituent à l’unicité du contrôle effectué par l’organisme compétent ». Cette exclusivité décisionnelle du régulateur garantit que les corrections tarifaires produisent des effets identiques pour l’ensemble des acteurs économiques concernés par le réseau ferré.

B. L’effectivité du droit au recours devant l’organisme de régulation

La protection des entreprises ferroviaires contre les tarifs excessifs ou illégaux dépend directement de la possibilité de saisir efficacement l’autorité de régulation nationale compétente. Les dispositions de la directive 2001/14 prévoient explicitement un droit au recours pour tout candidat s’estimant victime d’un traitement inéquitable ou d’un préjudice tarifaire. La Cour de justice rappelle que ces règles de procédure sont dotées d’un effet direct et s’imposent donc à l’ensemble des autorités administratives nationales. Elle précise à cet égard que « les dispositions de l’article 30, paragraphes 2, 5 et 6 sont inconditionnelles et suffisamment précises et qu’elles sont dotées d’un effet direct ». Le juge national doit écarter toute pratique procédurale qui empêcherait un opérateur de contester la légalité des redevances individuelles devant le régulateur sectoriel. Cette phase administrative constitue une condition indispensable pour établir l’illégalité de la redevance avant que la responsabilité civile de l’État ne puisse être valablement engagée.

II. L’autonomie procédurale nationale dans l’indemnisation des violations du droit de l’Union

A. La validité des conditions de responsabilité nationale moins restrictives

La responsabilité de l’État pour violation du droit européen est traditionnellement subordonnée à l’existence d’une règle protectrice, d’une violation caractérisée et d’un lien causal direct. Ces critères classiques constituent un socle minimal destiné à assurer une protection équivalente des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union dans chaque État. La Cour de justice admet toutefois que les législations nationales peuvent offrir un régime d’indemnisation plus souple ou plus accessible au profit des personnes lésées. Elle confirme ainsi que « les trois conditions mentionnées au point précédent n’excluent pas que la responsabilité de l’État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives ». Un État membre peut donc choisir de ne pas exiger la preuve d’une violation manifestement grave ou d’un lien de causalité exclusivement direct. Cette flexibilité renforce la mise en œuvre effective des obligations européennes en facilitant l’accès des particuliers à une réparation intégrale de leurs préjudices économiques.

B. La préservation de l’effet utile du régime de responsabilité de l’État

L’application de standards nationaux plus favorables ne remet pas en cause l’exigence de conformité aux objectifs fondamentaux de l’Union européenne en matière de transport ferroviaire. Le juge national demeure libre de mobiliser son droit civil interne pour sanctionner les carences législatives ou réglementaires ayant entraîné un surcoût pour les opérateurs. Cette approche respecte l’autonomie procédurale des États membres tout en garantissant que les conséquences financières des manquements étatiques soient intégralement assumées par les autorités publiques. La solution dégagée par la Cour permet d’ajuster l’intensité de la sanction juridictionnelle aux spécificités des régimes de responsabilité délictuelle propres à chaque tradition juridique nationale. Une entreprise ferroviaire peut donc obtenir réparation même si l’illégalité reprochée à l’État ne revêt pas un caractère exceptionnel au sens de la jurisprudence communautaire habituelle. Le droit de l’Union fixe un plancher de protection mais ne saurait constituer un plafond empêchant une responsabilité étatique plus étendue en droit interne.

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Hassan KOHEN
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