La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 8 juillet 2021, une décision portant sur l’exigence de permis de travail pour les marins étrangers. Quatre sociétés suédoises possédaient des navires immatriculés au registre international danois pour exercer une activité économique de transport maritime régulier. Une entité locale gérait techniquement les navires tandis que l’équipage comprenait des ressortissants de pays tiers dépourvus de titres de travail spécifiques. Le ministère public a engagé des poursuites pénales car les navires effectuaient plus de vingt-cinq escales annuelles dans les ports nationaux. Le tribunal municipal d’Odense a prononcé une amende le 4 mai 2018 en considérant la mesure nationale justifiée par la stabilité du marché intérieur. La cour d’appel de la région Est a ensuite saisi la juridiction européenne le 10 février 2020 pour vérifier la conformité de cette règle avec la liberté d’établissement. Le litige porte sur l’éventuelle opposition de l’article 49 du Traité à l’obligation d’un permis de travail pour des employés de pays tiers. La Cour juge que les États peuvent fixer les volumes d’entrée des travailleurs sans méconnaître les principes fondamentaux garantis par le droit européen. Le sens de cette solution repose sur la souveraineté migratoire avant d’exclure toute qualification de restriction interdite à l’exercice du droit d’établissement.
I. L’affirmation de la compétence nationale sur les flux de travailleurs étrangers
A. La détermination de l’État d’emploi par le pavillon
La juridiction rappelle que l’immatriculation d’un navire lie l’exercice de l’activité économique à l’installation stable dans l’État membre concerné. L’État du pavillon doit être alors regardé comme le lieu géographique où le ressortissant d’un pays tiers exerce son emploi salarié à bord. Cette fiction juridique permet d’appliquer la législation du territoire d’immatriculation aux conditions de travail des marins effectuant des escales régulières. La Cour confirme ainsi que « l’État du pavillon d’un navire doit être considéré comme l’État dans lequel est employé un ressortissant ». L’exigence d’un permis de travail devient le prolongement direct du contrôle exercé par l’État membre sur son propre espace maritime souverain.
B. La réserve de souveraineté prévue par le droit primaire
L’article 79 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne autorise les États à fixer les volumes d’entrée des ressortissants étrangers. Cette disposition préserve le droit des autorités nationales de réguler l’accès au marché du travail pour les personnes provenant de pays tiers. Le juge européen souligne que « les États membres conservent le droit de fixer les volumes d’entrée » pour rechercher un emploi salarié. L’obligation de détenir un permis permet aux autorités de surveiller ces flux et de maintenir l’équilibre économique des secteurs d’activité concernés. La mesure contestée s’inscrit donc dans un cadre juridique expressément réservé à la compétence des législateurs nationaux par les traités. Cette reconnaissance explicite du pouvoir étatique limite l’extension des libertés de circulation au détriment des politiques migratoires autonomes.
II. L’écartement de la qualification de restriction à la liberté d’établissement
A. L’application d’un régime uniforme aux opérateurs maritimes
La notion de restriction porte sur les mesures susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice effectif de la liberté d’établissement. La réglementation nationale s’applique sans distinction à tous les navires battant pavillon national indépendamment de l’origine réelle du capital social. Elle ne saurait « être qualifiée de restriction à la liberté d’établissement » dès lors qu’elle respecte les prérogatives souveraines de l’article 79. L’exemption accordée pour les navires effectuant moins de vingt-cinq escales témoigne d’une volonté de proportionnalité dans l’application de la règle. L’absence de discrimination directe ou indirecte entre les opérateurs européens valide le dispositif législatif au regard des exigences du droit.
B. La primauté des disparités législatives sur l’entrave juridique
Une société pourrait se trouver dans une situation moins favorable que ses concurrents installés dans d’autres États membres de l’Union. Ces conséquences défavorables ne constituent pas une violation du Traité car elles résultent uniquement des différences entre les législations nationales respectives. La Cour précise que de tels effets découlent de l’application du droit qui est expressément réservé aux États par le Traité. Le désavantage économique ponctuel ne suffit pas à caractériser une barrière illégale dès lors que la norme nationale reste neutre. La liberté d’établissement ne garantit pas aux entreprises une uniformité absolue des coûts salariaux ou des contraintes administratives dans l’Union. Le juge européen admet finalement la possibilité d’imposer un permis de travail pour préserver l’intégrité du marché du travail national.