Cour de justice de l’Union européenne, le 8 juin 2017, n°C-580/15

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale, conditionnant une exonération à des critères spécifiques de produits d’épargne, avec la libre prestation de services. En l’espèce, des contribuables résidents d’un État membre se sont vu refuser le bénéfice d’une exonération d’impôt sur les revenus générés par des dépôts d’épargne détenus auprès d’établissements financiers situés dans d’autres États membres. L’administration fiscale a justifié son refus par le fait que ces produits d’épargne étrangers ne répondaient pas aux conditions spécifiques prévues par la législation nationale pour l’octroi de cet avantage fiscal, notamment en ce qui concerne la structure de leur rémunération. Cette législation avait pourtant été modifiée à la suite d’une précédente condamnation par la Cour pour discrimination directe, afin d’étendre formellement le bénéfice de l’exonération aux revenus provenant de comptes ouverts dans tout l’Espace économique européen. Toutefois, l’octroi de l’avantage restait subordonné au respect de « critères analogues » à ceux exigés pour les produits nationaux, qui se révélaient être une particularité du marché financier de cet État. Saisie du litige, la juridiction nationale a donc interrogé la Cour sur le point de savoir si une telle réglementation, bien que d’application indistincte en apparence, n’instaurait pas une restriction déguisée à la libre prestation de services. La Cour a jugé qu’une telle législation, en soumettant l’accès à un avantage fiscal à des conditions de fait propres au seul marché national, est susceptible de constituer une entrave prohibée par le droit de l’Union. La solution de la Cour se fonde sur l’identification d’une restriction indirecte à une liberté fondamentale (I), avant d’opérer un contrôle de proportionnalité strict de sa justification (II).

I. La caractérisation d’une restriction indirecte à la libre prestation de services

La Cour de justice retient une approche matérielle pour déceler une entrave dans une mesure qui est pourtant formellement non discriminatoire. Elle constate ainsi que la réglementation, en posant des conditions spécifiques, produit un effet discriminatoire de fait (A) qui se manifeste par un double effet dissuasif à l’encontre des prestataires et des consommateurs (B).

A. L’application d’une règle formellement indistincte à l’effet discriminatoire

La Cour commence son raisonnement en relevant que le régime fiscal en cause est, en théorie, applicable sans distinction aux rémunérations versées tant par les banques établies dans l’État membre concerné que par celles établies dans un autre État membre. Cependant, elle rappelle aussitôt qu’une mesure nationale, même indistinctement applicable, peut constituer une restriction si elle défavorise en pratique les services provenant d’autres États membres. L’arrêt souligne ainsi qu’« une législation nationale qui est indistinctement applicable à tous les services, indépendamment du lieu d’établissement du prestataire, est susceptible de constituer une restriction à la libre prestation des services ». Le nœud du problème réside dans l’exigence de conformité à des critères qui, bien que qualifiés d’« analogues », sont en réalité calqués sur les spécificités d’un seul marché national. En l’occurrence, la structure de rémunération imposée, combinant un intérêt de base et une prime de fidélité, s’avère être une « particularité propre au marché bancaire belge ». En conséquence, les produits d’épargne offerts par les banques des autres États membres, structurés différemment, se trouvent de facto exclus du bénéfice de l’exonération fiscale, créant ainsi une discrimination indirecte.

B. L’effet dissuasif sur les consommateurs et les prestataires de services

Cette discrimination de fait engendre, selon la Cour, une entrave concrète à la libre prestation de services. L’effet restrictif se manifeste à double titre. D’une part, la législation a « pour effet de dissuader, de fait, les résidents belges d’avoir recours aux services de banques établies dans ces autres États membres ». Un résident fiscal sera en effet peu enclin à placer son épargne auprès d’un établissement étranger si les revenus générés par ce placement sont privés d’une exonération fiscale accordée pour un produit national comparable dans son objectif d’épargne. D’autre part, la mesure dissuade les titulaires de comptes d’épargne nationaux éligibles à l’exonération de transférer leurs avoirs vers des banques d’autres États membres, dont les produits ne remplissent pas les conditions techniques requises. La Cour en déduit que cette réglementation conditionne l’accès au marché pour les prestataires étrangers, lesquels devraient pour y pénétrer adapter leurs produits aux seules spécificités du marché de l’État membre d’accueil, ce qui contrevient à l’objectif même du marché intérieur. Une fois l’entrave caractérisée, il appartenait à la Cour de vérifier si celle-ci pouvait être admise au titre des exceptions prévues par le droit de l’Union.

II. Le rejet de la justification tirée de la protection des consommateurs

Face à l’entrave constatée, l’État membre invoquait la poursuite d’un objectif de protection des consommateurs. Si la Cour reconnaît la validité de ce motif en tant que raison impérieuse d’intérêt général (A), elle estime néanmoins que la mesure en cause est disproportionnée pour atteindre cet objectif (B).

A. La reconnaissance de la protection du consommateur comme raison impérieuse d’intérêt général

Conformément à une jurisprudence constante, la Cour admet que la protection des consommateurs figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à une liberté fondamentale. L’arrêt rappelle explicitement que « parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la liberté de prestations de services, figure la protection des consommateurs ». L’État membre soutenait que la réglementation visait à garantir aux épargnants la disposition d’une épargne stable et sécurisée pour faire face à des dépenses imprévues. La Cour ne conteste pas la légitimité de cet objectif. Cependant, l’acceptation de principe de la justification n’exonère pas la mesure nationale d’un contrôle de proportionnalité, qui s’avère ici décisif. La Cour se livre à un examen minutieux pour s’assurer que la législation est à la fois apte à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’excède pas ce qui est nécessaire pour y parvenir.

B. La nature disproportionnée de la mesure au regard de l’objectif poursuivi

Le contrôle de proportionnalité conduit la Cour à écarter la justification avancée. Elle juge que le régime fiscal litigieux va au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger les consommateurs. En effet, en liant l’exonération à des conditions aussi spécifiques que le mode de calcul de la rémunération, la législation exclut de son bénéfice des produits d’épargne offerts dans d’autres États membres qui pourraient pourtant atteindre un objectif de protection identique, voire supérieur. La Cour souligne qu’« aucun des arguments présentés devant la Cour ne permet de considérer que l’application des conditions prévues […] relatives à la rémunération des dépôts serait nécessaire pour atteindre ledit objectif ». En d’autres termes, l’État membre n’a pas démontré en quoi la structure rigide de rémunération (intérêt de base et prime de fidélité) serait la seule apte à garantir une épargne stable et sûre. Cette mesure a pour conséquence d’exclure de manière générale et absolue l’ensemble des produits d’épargne disponibles sur le marché intérieur qui ne se conforment pas au modèle national, sans égard pour leur niveau réel de protection de l’épargnant. Par cette analyse, la Cour adresse un signal clair aux États membres : la poursuite d’objectifs légitimes ne saurait servir de prétexte à l’édiction de règles qui, par leur caractère excessivement spécifique, restaurent des cloisonnements de marchés que les traités visent précisément à abolir.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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