Cour de justice de l’Union européenne, le 8 juin 2023, n°C-407/21

Par un arrêt en date du 8 juin 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de l’obligation de remboursement des organisateurs de voyages à forfait, dans le contexte d’une crise sanitaire mondiale. Cette décision intervient à la suite de l’adoption par un État membre d’une réglementation nationale dérogeant temporairement aux dispositions de la directive (UE) 2015/2302. Cette législation autorisait les professionnels du tourisme, en cas d’annulation d’un voyage à forfait due à la pandémie, à proposer aux voyageurs un avoir en lieu et place d’un remboursement monétaire.

Saisie d’un recours en annulation contre cette réglementation, une juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de ces mesures avec le droit de l’Union. Les questions posées portaient essentiellement sur trois points. Premièrement, il s’agissait de définir la nature du remboursement dû au voyageur en vertu de l’article 12 de la directive. Deuxièmement, il était demandé si des circonstances exceptionnelles et la nécessité de protéger la viabilité économique du secteur du tourisme pouvaient justifier une dérogation à l’obligation de remboursement. Troisièmement, la Cour était interrogée sur la possibilité pour le juge national de moduler dans le temps les effets de l’annulation de la réglementation nationale jugée contraire au droit de l’Union.

Face à ces interrogations, la Cour de justice de l’Union européenne a affirmé que le droit au remboursement prévu par la directive s’entend exclusivement d’une restitution en argent. Elle a par ailleurs jugé qu’aucune dérogation à cette obligation n’était possible, même en période de crise majeure visant à préserver la solvabilité des organisateurs de voyages. Enfin, elle a exclu la faculté pour une juridiction nationale de limiter les effets dans le temps de sa décision annulant une réglementation contraire à la directive.

I. La consécration d’un droit intangible au remboursement monétaire du voyageur

La Cour de justice affirme avec force la protection du voyageur en tant que consommateur, en définissant de manière restrictive la notion de remboursement (A) et en refusant toute dérogation à ce droit, y compris dans un contexte de crise exceptionnelle (B).

A. Une interprétation stricte de la notion de remboursement

La décision clarifie en premier lieu la signification du terme « remboursement » tel qu’employé par la directive 2015/2302. La Cour juge que, lorsqu’un organisateur doit rembourser un voyageur, cette obligation ne peut être satisfaite que par une restitution pécuniaire. Elle précise qu’« un tel remboursement s’entend uniquement d’une restitution de ces paiements sous la forme d’une somme d’argent ». Cette interprétation littérale du texte a pour effet de rejeter toute méthode alternative de dédommagement, telle que l’émission d’un avoir ou d’un bon de voyage, si elle n’est pas acceptée par le voyageur.

Ce faisant, la Cour garantit la pleine effectivité de la protection accordée au consommateur, considéré comme la partie faible au contrat. La restitution monétaire permet au voyageur de retrouver immédiatement son pouvoir d’achat et de disposer librement des sommes versées, sans être contraint d’accepter une prestation future auprès du même organisateur. Cette solution assure une sécurité juridique maximale et prévient les difficultés liées à la validité, à la cessibilité ou au remboursement ultérieur des avoirs, notamment en cas d’insolvabilité de l’organisateur.

B. Le rejet de la dérogation en période de crise sanitaire

En second lieu, la Cour examine si les difficultés économiques exceptionnelles rencontrées par le secteur du tourisme peuvent justifier une suspension temporaire de l’obligation de remboursement. Elle répond par la négative, considérant que la directive ne prévoit aucune possibilité de dérogation, même face à des « circonstances inévitables et extraordinaires ». La protection des voyageurs est un objectif central du texte qui ne saurait être écarté pour des motifs économiques.

La Cour souligne ainsi que la réglementation européenne « s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle les organisateurs de voyages à forfait sont temporairement libérés […] de leur obligation de rembourser ». Cette position réaffirme la hiérarchie des normes et le caractère impératif des droits accordés aux consommateurs par le droit de l’Union. Bien que consciente des risques de faillites en chaîne dans le secteur, la Cour estime que le mécanisme de protection contre l’insolvabilité des organisateurs, également prévu par la directive, constitue la réponse appropriée pour garantir les droits des voyageurs, et non la suspension de ces droits.

Ayant ainsi affirmé la nature et la force du droit au remboursement du voyageur, la Cour étend son raisonnement aux conséquences procédurales qui en découlent pour les juridictions nationales chargées d’assurer le respect du droit de l’Union.

II. Le renforcement de l’effectivité du droit de l’Union

La décision illustre l’exigence d’une application uniforme et effective du droit de l’Union, en encadrant strictement le pouvoir du juge national (A) et en faisant prévaloir l’uniformité d’application de la directive sur toute considération nationale (B).

A. L’encadrement du pouvoir de modulation des juridictions nationales

La Cour de justice se prononce sur la faculté pour un juge national, après avoir constaté la contrariété d’une loi nationale à la directive, d’en moduler les effets dans le temps. Une telle modulation consisterait à ne faire produire les effets de l’annulation de la loi que pour l’avenir, afin de préserver la sécurité juridique des situations passées et de limiter les conséquences économiques d’une annulation rétroactive. La Cour écarte fermement cette possibilité dans le cas d’espèce.

Elle fonde sa solution sur le principe de coopération loyale, inscrit à l’article 4, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne. Selon la Cour, ce principe « ne permet pas à une juridiction nationale […] de moduler les effets dans le temps de sa décision annulant cette réglementation nationale ». Permettre une telle modulation reviendrait à priver les particuliers des droits que leur confère la directive et à maintenir, même temporairement, les effets d’une législation nationale incompatible avec le droit de l’Union. L’obligation pour le juge national d’écarter la loi contraire à la directive doit donc être pleine et entière.

B. La primauté de l’uniformité d’application de la directive

En refusant la modulation des effets de l’annulation, la Cour assure la primauté et l’effet direct du droit de l’Union. L’objectif de la directive 2015/2302 est d’harmoniser les droits des voyageurs à un niveau élevé dans toute l’Union, et cette harmonisation serait compromise si les États membres pouvaient y déroger ou si les juridictions nationales pouvaient en neutraliser la portée, même de manière limitée. La décision garantit que tout voyageur, quelle que soit sa nationalité ou celle de l’organisateur, bénéficie du même niveau de protection.

La portée de cet arrêt est donc considérable. Il rappelle que le juge national est le premier garant de l’application du droit de l’Union et que son office ne lui permet pas de faire primer des considérations économiques ou de sécurité juridique nationale sur les exigences d’une directive d’harmonisation. Le droit individuel au remboursement, tel que protégé par la directive, doit recevoir une application immédiate et intégrale, confirmant la place centrale du consommateur dans le dispositif de protection mis en place par le législateur européen.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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