Cour de justice de l’Union européenne, le 8 juin 2023, n°C-654/21

Par un arrêt du 8 juin 2023, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa dixième chambre, a précisé le régime de la demande reconventionnelle en nullité d’une marque de l’Union européenne. En l’espèce, le titulaire d’une marque verbale de l’Union avait engagé une action en contrefaçon à l’encontre d’une personne qui commercialisait des produits et services similaires. Le défendeur à l’action a répliqué en formant une demande reconventionnelle visant à obtenir la nullité de la marque, non seulement pour les produits et services objets du litige principal, mais pour une étendue plus large de produits et services couverts par l’enregistrement. Saisi du litige, le tribunal régional de Varsovie, en sa qualité de tribunal des marques de l’Union européenne, a rejeté l’action en contrefaçon mais s’est interrogé sur la portée de l’examen de la demande reconventionnelle. Le juge polonais a donc saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle afin de déterminer si une demande reconventionnelle en nullité peut avoir un objet plus large que l’action en contrefaçon qui en est à l’origine. Il s’agissait de savoir si la compétence du tribunal des marques, saisie par voie reconventionnelle, est limitée aux seuls aspects de la marque pertinents pour la défense à l’action principale, ou si elle s’étend à l’ensemble des droits conférés par l’enregistrement. La Cour de justice répond que la demande reconventionnelle en nullité est autonome et que son objet ne saurait être restreint par le cadre contentieux défini par l’action en contrefaçon. Cette solution repose sur l’affirmation du caractère autonome de la demande reconventionnelle (I), laquelle confirme le rôle essentiel confié aux juridictions nationales dans le contrôle de la validité des marques de l’Union (II).

I. L’affirmation de l’autonomie de la demande reconventionnelle en nullité

La Cour de justice établit clairement que la demande reconventionnelle en nullité est une voie de droit distincte d’un simple moyen de défense (A), dont l’objet est par conséquent affranchi du cadre contentieux de l’action principale (B).

A. Une voie de droit distincte d’un simple moyen de défense

La juridiction de renvoi se demandait si la demande reconventionnelle devait être cantonnée à un rôle purement défensif, limité à contester la validité de la marque pour les seuls produits et services concernés par l’action en contrefaçon. La Cour écarte cette conception en rappelant la nature même de la demande reconventionnelle. Elle juge qu’une telle demande « ne se confond pas avec un simple moyen de défense » et constitue « une demande distincte et autonome ». Il en résulte que son « traitement procédural est indépendant de la demande principale ». Cette autonomie implique que son sort n’est pas lié à celui de l’action en contrefaçon, la Cour précisant que la demande reconventionnelle « peut, ainsi, être poursuivie même si le demandeur principal en est débouté ». En conséquence, lier l’objet de la demande reconventionnelle à celui de l’action principale serait contraire à sa nature juridique. Le défendeur à une action en contrefaçon ne se contente pas de se défendre ; il attaque à son tour la validité du titre qui lui est opposé, et cette attaque n’est pas une simple parade mais une offensive judiciaire à part entière.

B. Un objet affranchi du cadre contentieux de l’action principale

Découlant de cette autonomie, la Cour juge logiquement que « l’objet de cette dernière ne saurait être restreint par celui de l’action en contrefaçon dans le cadre de laquelle ladite demande est introduite ». Pour justifier cette solution, elle se fonde sur les causes de nullité elles-mêmes. L’article 128, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 dispose que la demande reconventionnelle « ne peut être fondée que sur les causes de déchéance ou de nullité prévues par le présent règlement ». Or, le règlement ne prévoit aucune limitation quant à la portée de ces causes lorsqu’elles sont invoquées par voie reconventionnelle. La Cour souligne que plusieurs motifs de nullité absolue, tels que l’enregistrement d’une marque « contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs » ou de nature à « tromper le public », sont susceptibles par leur nature de concerner l’ensemble des produits et services couverts par la marque. Il serait donc illogique et contraire à l’intérêt général qui sous-tend ces motifs de limiter l’examen de la nullité à une partie seulement du champ d’application de la marque. Une telle approche priverait la demande reconventionnelle d’une partie de son efficacité, en particulier lorsqu’elle se fonde sur un vice affectant la marque dans son essence même.

Cette interprétation large de l’objet de la demande reconventionnelle renforce la place des juridictions nationales spécialisées, en les confirmant dans leur rôle de gardien de la légalité du système des marques de l’Union.

II. La confirmation du rôle des juridictions nationales dans le contrôle de la validité des marques de l’Union

En reconnaissant une portée étendue à la demande reconventionnelle, la Cour de justice confirme que les tribunaux des marques de l’Union européenne exercent une compétence partagée avec l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (A), cette solution étant en outre guidée par le principe d’économie procédurale (B).

A. Une compétence partagée avec l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle

La juridiction de renvoi suggérait que la compétence des tribunaux nationaux en matière de nullité constituait une exception à la compétence de principe de l’EUIPO. La Cour de justice réfute fermement cette analyse. Elle rappelle que le règlement instaure un système de compétence partagée, où les demandes en nullité peuvent être portées soit devant l’EUIPO, soit, par voie reconventionnelle, devant un tribunal des marques de l’Union européenne. La compétence attribuée à ces tribunaux « constitue l’application directe d’une règle d’attribution de compétences prévue par le règlement 2017/1001 et ne saurait être considérée comme constituant une “exception” à la compétence de l’EUIPO ». Loin d’être subsidiaire, le rôle du juge national saisi d’une action en contrefaçon est central. Il dispose d’une plénitude de juridiction pour statuer sur la validité de la marque qui lui est opposée, sans que sa saisine soit conditionnée ou limitée par la compétence de l’Office. Le législateur de l’Union a ainsi entendu confier « tout autant qu’à l’EUIPO, aux tribunaux des marques de l’Union européenne, au titre de leurs décisions sur des demandes reconventionnelles, une compétence pour contrôler la validité des marques de l’Union européenne ».

B. Une compétence guidée par le principe d’économie procédurale

L’élargissement de l’objet de la demande reconventionnelle répond également à un objectif d’efficacité et de bonne administration de la justice. La Cour relève qu’il serait « contraire au principe de l’économie procédurale » d’obliger un défendeur à limiter sa demande reconventionnelle au tribunal national, tout en devant saisir parallèlement l’EUIPO pour obtenir la nullité de la marque pour les autres produits et services. Une telle fragmentation des contentieux multiplierait les procédures, augmenterait les coûts pour les parties et créerait un risque de décisions contradictoires, ce que le règlement cherche précisément à éviter. En permettant au tribunal saisi de l’action en contrefaçon de trancher l’ensemble du litige relatif à la validité de la marque entre les parties, la Cour favorise une solution globale et cohérente. Cette approche est conforme à l’un des objectifs fondamentaux du règlement, rappelé à son considérant 32, qui est d’assurer que les décisions sur la validité des marques produisent leurs effets sur tout le territoire de l’Union afin de préserver le caractère unitaire de la marque de l’Union européenne.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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