Cour de justice de l’Union européenne, le 8 mai 2008, n°C-39/07

Par un arrêt du 1er février 2007, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur la portée d’un système général de reconnaissance des diplômes face à l’existence de réglementations sectorielles.

En l’espèce, un État membre subordonnait l’exercice de la profession de pharmacien hospitalier à l’obtention d’un diplôme de spécialiste, distinct du diplôme de licencié en pharmacie. Cette profession de spécialiste n’était pas incluse dans les annexes des décrets nationaux transposant les directives communautaires relatives à la reconnaissance mutuelle des diplômes. La Commission des Communautés européennes a engagé une procédure en manquement à l’encontre de cet État, estimant qu’il n’avait pas correctement transposé la directive instaurant un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur pour la profession de pharmacien hospitalier. Après une lettre de mise en demeure et un avis motivé restés sans effet satisfaisant, la Commission a saisi la Cour.

L’État membre soutenait que la profession de pharmacien hospitalier, en tant que spécialité, ne relevait pas de la directive générale, mais devait être régie par des réglementations spécifiques, conformément à une disposition du traité qui prévoirait une coordination particulière pour les professions pharmaceutiques. La Commission, quant à elle, arguait que la directive générale avait une vocation subsidiaire à s’appliquer à toute profession réglementée non couverte par une directive spécifique, ce qui était le cas de la spécialisation en pharmacie hospitalière.

Il revenait donc à la Cour de déterminer si une spécialisation professionnelle réglementée au niveau national, mais non visée par une directive sectorielle de reconnaissance mutuelle, relevait du champ d’application de la directive instituant un système général de reconnaissance.

La Cour de justice a conclu que l’absence de réglementation spécifique pour une spécialisation n’excluait pas l’application du système général. En omettant de transposer la directive générale pour la profession de pharmacien hospitalier, l’État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive. Le système général a vocation à s’appliquer dès lors qu’aucune directive de reconnaissance mutuelle spécifique ne couvre la profession concernée.

L’arrêt clarifie ainsi l’articulation entre les systèmes de reconnaissance de diplômes, en affirmant la compétence de principe du système général (I), ce qui renforce la portée du droit fondamental à la liberté d’établissement (II).

I. L’affirmation de la compétence subsidiaire du système général

La solution retenue par la Cour repose sur une analyse rigoureuse du champ d’application respectif des directives en présence. Elle constate d’abord que la spécialisation en cause est exclue du cadre sectoriel (A), pour en déduire logiquement son assujettissement au régime général de reconnaissance (B).

A. L’exclusion du diplôme de spécialiste du régime sectoriel

La Cour relève d’emblée un point non contesté par les parties : les directives spécifiques visant la profession de pharmacien ne s’appliquent pas au diplôme de pharmacien spécialiste. Ces directives, adoptées en 1985, visent à coordonner les formations et à organiser la reconnaissance mutuelle des diplômes permettant l’accès à la profession de pharmacien de base. Le diplôme espagnol de « Título de licenciado en farmacia » y est expressément mentionné.

Cependant, le litige porte sur la spécialisation en pharmacie hospitalière, qui requiert une formation et un diplôme additionnels. La Cour note que la directive de coordination elle-même prévoyait que la Commission présenterait ultérieurement des propositions sur les spécialisations, ce qui confirme qu’elles n’étaient pas couvertes par le régime initial. En l’absence de telles propositions adoptées, il n’existe donc pas d’acte communautaire spécifique instaurant une reconnaissance mutuelle pour le diplôme de pharmacien hospitalier. Ce constat factuel et juridique constitue la prémisse essentielle du raisonnement de la Cour. Il crée une situation où une profession est réglementée nationalement sans être harmonisée sectoriellement au niveau communautaire.

B. L’application consécutive du système général de reconnaissance

Face à ce vide sectoriel, la Cour examine si le système général de reconnaissance, instauré par la directive 89/48/CEE, a vocation à s’appliquer. Elle répond par l’affirmative en se fondant sur la définition même de son champ d’application. Cette directive s’applique à tout ressortissant souhaitant exercer une profession réglementée, à l’exception notable des « professions qui font l’objet d’une directive spécifique instaurant entre les États membres une reconnaissance mutuelle des diplômes ».

La Cour vérifie ensuite que la profession de pharmacien hospitalier correspond bien à la notion de « profession réglementée ». Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une profession est réglementée « lorsque l’accès à l’activité professionnelle qui constitue cette profession ou l’exercice de celle-ci est régi par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives établissant un régime qui a pour effet de réserver expressément cette activité professionnelle aux personnes qui remplissent certaines conditions ». En l’espèce, la réglementation nationale subordonne clairement l’exercice de la pharmacie hospitalière à la possession du diplôme de spécialiste, ce qui en fait sans équivoque une profession réglementée. Le diplôme lui-même, sanctionnant un cycle d’études postsecondaires, entre dans le champ de la directive. Par un syllogisme simple, la Cour conclut que, la profession étant réglementée et n’étant pas couverte par une directive spécifique, elle relève nécessairement du système général.

II. La consolidation de la primauté des libertés de circulation

Au-delà de cette solution technique, l’arrêt revêt une importance particulière quant aux principes fondamentaux du droit communautaire. Il écarte une interprétation restrictive des dispositions du traité (A) et réaffirme avec force l’impératif de reconnaissance des qualifications professionnelles comme corollaire de la liberté d’établissement (B).

A. Le rejet d’une lecture restrictive des dispositions du traité

L’État membre défendeur invoquait l’article 47, paragraphe 3, du traité CE pour justifier sa position. Selon lui, cet article, en prévoyant une coordination des conditions d’exercice pour les professions pharmaceutiques, exclurait l’application d’un système général de reconnaissance à ces professions. La Cour rejette fermement cet argument. Elle estime qu’une telle interprétation « conduirait, en fait, non seulement à une non-application de la directive 89/48, mais plus généralement à une exclusion du droit des ressortissants communautaires à la reconnaissance des diplômes de spécialisation en pharmacie ».

La Cour précise que l’objectif de cette disposition du traité n’est pas de limiter la portée du droit à la reconnaissance, mais d’encadrer la mise en place d’un système de reconnaissance *automatique*. Ce dernier requiert en effet une harmonisation préalable des formations. Le système général de la directive 89/48, en revanche, n’est pas un système de reconnaissance automatique. Il organise une procédure d’examen comparatif des qualifications et permet à l’État d’accueil d’exiger des mesures compensatoires, comme un stage d’adaptation ou une épreuve d’aptitude. L’argument de l’État membre est donc jugé inopérant, car il confond deux mécanismes de reconnaissance distincts.

B. La réaffirmation du droit à la reconnaissance des diplômes

En définitive, cet arrêt s’inscrit dans la lignée de jurisprudences fondatrices comme *Vlassopoulou* et *Hocsman*. La Cour rappelle que l’obligation pour un État membre de prendre en considération les diplômes acquis dans un autre État membre découle directement de l’article 43 du traité CE, qui consacre la liberté d’établissement. Cette obligation de comparaison des compétences est un principe fondamental qui préexiste aux directives et que celles-ci ne font qu’organiser.

La directive de 1989 établit une « méthode de reconnaissance » qui donne une expression procédurale à ce droit. En refusant à l’État membre la possibilité de se retrancher derrière l’absence de réglementation sectorielle spécifique, la Cour empêche qu’un vide juridique partiel ne paralyse l’exercice d’une liberté fondamentale. La portée de la décision est donc considérable : elle confirme qu’en l’absence de règle spéciale d’harmonisation, le droit commun de la reconnaissance des diplômes s’applique. Tout professionnel titulaire d’un diplôme de l’Union européenne a le droit de voir ses qualifications évaluées par un État membre d’accueil, qui ne peut lui opposer une fin de non-recevoir tirée de sa seule organisation interne des professions.

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