Par un arrêt du 8 mai 2008, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en cas d’application du mécanisme de l’autoliquidation. En l’espèce, une société avait eu recours à des prestations de transport intracommunautaire de biens effectuées par des opérateurs établis hors de son État de résidence. Considérant à tort ces opérations comme étant exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée, elle avait omis de les soumettre au régime de l’autoliquidation, se contentant de les inscrire dans son registre des achats sans les mentionner dans celui des factures émises. À la suite d’un contrôle, l’administration fiscale a requalifié ces opérations et les a soumises à la taxe. Elle a cependant refusé à la société le droit de déduire cette même taxe, au motif que le délai de forclusion de deux ans prévu par le droit national pour l’exercice de ce droit était expiré, alors même que l’administration disposait, pour sa part, d’un délai de quatre ans pour notifier le recouvrement. Saisie du litige, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de cette réglementation et de cette pratique administrative avec le droit communautaire. La question se posait de savoir si un État membre pouvait, d’une part, imposer à l’assujetti un délai de forclusion pour l’exercice de son droit à déduction plus court que celui dont dispose l’administration pour le recouvrement de la taxe et, d’autre part, refuser ce même droit à déduction pour sanctionner le non-respect d’obligations purement formelles. La Cour répond que si l’instauration d’un délai de forclusion est en principe conforme au droit de l’Union, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, le refus du droit à déduction en sanction d’une simple irrégularité comptable, en l’absence de fraude et de perte de recettes fiscales, constitue une mesure disproportionnée qui viole le principe de neutralité fiscale.
La Cour admet ainsi la possibilité pour les États membres d’encadrer temporellement le droit à déduction, tout en affirmant la primauté du principe de neutralité en cas de manquement purement formel. La solution de la Cour articule donc la reconnaissance d’une prérogative procédurale des États membres (I) et la préservation de la substance du droit à déduction (II).
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**I. La soumission de l’exercice du droit à déduction à un délai de forclusion**
La Cour de justice reconnaît la faculté pour les États membres de fixer un délai pour l’exercice du droit à déduction, à condition que celui-ci respecte certains principes directeurs du droit communautaire. Elle admet ainsi le principe d’un encadrement temporel de ce droit (A), tout en précisant les modalités de son contrôle au regard des principes d’équivalence et d’effectivité (B).
**A. Le principe de l’encadrement temporel du droit à déduction**
La Cour rappelle que le droit à déduction fait « partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut en principe être limité ». Son exercice est en principe immédiat et doit être opéré au cours de la même période que celle durant laquelle il a pris naissance. Toutefois, la sixième directive autorise les États membres à fixer les conditions et modalités selon lesquelles une déduction peut être opérée ultérieurement. Il en résulte que les États membres sont fondés à exiger que le droit à déduction soit exercé dans un délai déterminé.
Cette solution se justifie par le principe de sécurité juridique, qui s’oppose à ce que la situation fiscale d’un assujetti « ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause ». L’instauration d’un délai de forclusion, qui a pour effet de sanctionner un contribuable insuffisamment diligent en le privant de son droit, n’est donc pas, en soi, incompatible avec le système commun de TVA. La Cour valide ainsi la possibilité pour une législation nationale de subordonner l’exercice du droit à déduction au respect d’un délai, sanctionné par la déchéance du droit.
**B. Le contrôle du respect des principes d’équivalence et d’effectivité**
Si l’instauration d’un délai est admise, sa validité demeure subordonnée au respect des principes d’équivalence et d’effectivité. Le principe d’équivalence, qui n’était pas contesté en l’espèce, exige que le délai s’applique de la même manière aux droits fondés sur le droit interne et à ceux fondés sur le droit communautaire. Le principe d’effectivité, quant à lui, interdit de rendre « en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à déduction ». La Cour estime qu’un délai de deux ans n’est pas, en soi, contraire à ce principe.
La Cour examine ensuite l’argument tiré de la différence de durée entre le délai accordé à l’assujetti pour déduire la taxe et celui, plus long, dont dispose l’administration pour en opérer le recouvrement. Elle rejette cet argument en jugeant que « la situation de l’administration fiscale ne saurait être comparée à celle d’un assujetti ». L’administration a besoin d’un délai pour contrôler les déclarations après leur dépôt. Par conséquent, le fait que le délai de l’administration soit plus long et commence à courir à une date postérieure ne méconnaît ni le principe d’effectivité, ni le principe d’égalité.
Bien que la Cour valide le principe d’un délai de forclusion, elle en limite drastiquement la portée dans le contexte de l’espèce, où le manquement de l’assujetti était purement formel.
**II. La primauté du principe de neutralité fiscale sur les exigences formelles**
La Cour censure fermement la pratique administrative consistant à refuser le droit à déduction pour sanctionner un manquement formel dans le cadre du mécanisme de l’autoliquidation. Elle rejette une sanction qu’elle juge disproportionnée (A) et réaffirme avec force la prévalence du droit substantiel à déduction (B).
**A. Le rejet d’une sanction disproportionnée au manquement constaté**
Dans le cadre du régime de l’autoliquidation, l’assujetti est à la fois redevable de la taxe en amont et titulaire du droit de la déduire immédiatement, l’opération étant neutre pour le Trésor public. L’irrégularité commise par l’entreprise, consistant en une inscription comptable erronée, n’a généré ni fraude, ni risque de perte de recettes fiscales. Dans ce contexte, priver l’assujetti de son droit à déduction constitue une sanction excessive.
La Cour souligne que les mesures que les États membres peuvent prendre pour assurer l’exacte perception de la taxe et éviter la fraude « ne doivent cependant pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs ». Or, une pratique qui sanctionne le non-respect d’obligations comptables par un refus du droit à déduction « va clairement au-delà de ce qui est nécessaire ». Le droit communautaire n’empêche pas les États membres d’infliger d’autres sanctions, telles qu’une amende ou une sanction pécuniaire proportionnée à la gravité de l’infraction, pour sanctionner de tels manquements.
**B. L’affirmation de la prévalence du droit substantiel à déduction**
La Cour fonde son raisonnement sur le principe fondamental de neutralité fiscale. Dès lors que les conditions de fond du droit à déduction sont remplies, c’est-à-dire que les services ont été utilisés pour les besoins d’opérations taxées, les simples manquements formels ne peuvent y faire obstacle. La Cour énonce de manière claire que « la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en amont doit être accordée si les exigences de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis ».
Ainsi, dès lors que l’administration fiscale dispose des informations nécessaires pour établir que l’assujetti est redevable de la taxe et que les conditions de fond de la déduction sont réunies, elle ne saurait imposer des conditions supplémentaires ayant pour effet de « réduire à néant l’exercice de ce droit ». La sanction du refus de déduction est d’autant plus disproportionnée qu’elle peut aboutir à une perte définitive du droit si la rectification par l’administration intervient après l’échéance du délai de forclusion. En l’absence de fraude ou d’abus, la substance du droit doit donc l’emporter sur la forme.