Cour de justice de l’Union européenne, le 8 mai 2013, n°C-271/12

Dans l’arrêt soumis à commentaire, la Cour de justice de l’Union européenne, statuant en deuxième chambre, se prononce sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

Les faits de l’espèce concernent un groupe de sociétés liées entre elles. L’une de ces sociétés fournissait des services de personnel aux autres entités du groupe, conformément à des contrats prévoyant une rémunération horaire. À la suite d’un contrôle, l’administration fiscale a remis en cause les déductions de TVA opérées par les sociétés bénéficiaires de ces services, au motif que les factures correspondantes étaient incomplètes. Celles-ci mentionnaient un montant global, sans préciser le nombre d’heures prestées ni le taux horaire, ce qui, selon l’administration, empêchait un contrôle effectif de l’exacte perception de la taxe.

Sur le plan procédural, l’administration fiscale a rejeté le droit à déduction des sociétés preneuses. Ces dernières ont tenté de régulariser leur situation en fournissant des informations complémentaires, telles que des contrats et des reconstitutions de chiffres. L’administration a écarté ces éléments, les jugeant tardifs et dépourvus de force probante. Saisi du litige, le tribunal de première instance de Mons a, par un jugement du 2 février 2005, partiellement confirmé le rejet de la déduction. Par la suite, les sociétés prestataires, ayant acquitté la TVA, en ont demandé la restitution, mais cette demande a été rejetée par un jugement du 23 février 2010. La cour d’appel de Mons, saisie de l’affaire, a alors décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.

Il était demandé en substance à la Cour de déterminer si le droit de l’Union s’oppose à ce qu’un État membre refuse le droit à déduction de la TVA lorsque la facture initiale est lacunaire, même si des informations complémentaires prouvant la réalité de l’opération sont fournies après la décision de refus de l’administration. La seconde question visait à savoir si le principe de neutralité fiscale oblige cet État membre à restituer la TVA versée par le prestataire de services lorsque la déduction a été refusée au preneur pour un tel motif d’irrégularité formelle.

La Cour de justice répond que les dispositions de la sixième directive ne s’opposent pas au refus du droit à déduction dans de telles circonstances. Elle juge également que le principe de neutralité fiscale n’impose pas la restitution de la taxe au prestataire.

Il convient ainsi d’analyser la portée de la rigueur formelle qui encadre le droit à déduction (I), avant d’examiner l’application restrictive que la Cour fait du principe de neutralité fiscale (II).

I. La rigueur formelle encadrant le droit à déduction

La solution de la Cour repose sur une distinction claire entre les conditions de fond du droit à déduction et ses modalités d’exercice. Elle réaffirme ainsi l’exigence d’une facture régulière comme condition essentielle à l’exercice de ce droit (A), tout en consacrant la primauté des impératifs de contrôle sur une possible régularisation a posteriori (B).

A. L’exigence d’une facture régulière comme condition d’exercice du droit à déduction

La Cour de justice rappelle d’abord que le droit à déduction constitue un « principe fondamental du système commun de la TVA qui ne peut, en principe, être limité ». Ce droit vise à soulager entièrement l’assujetti du poids de la taxe payée en amont, garantissant ainsi la neutralité fiscale des activités économiques. Pour autant, l’exercice de ce droit est subordonné au respect de conditions formelles précises, prévues par la directive.

L’article 18, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive impose en effet à l’assujetti de détenir une facture pour exercer son droit. Cette facture doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires, définies à l’article 22, paragraphe 3. La Cour souligne que ce même article autorise les États membres à fixer des critères supplémentaires pour qu’un document tienne lieu de facture et à prévoir « d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude ». C’est sur ce fondement que la réglementation belge en cause, qui exigeait des mentions détaillées sur la nature et la quantité des services, a pu être adoptée. La possession d’une facture matériellement correcte n’est donc pas une simple formalité administrative, mais une condition substantielle de l’exercice du droit à déduction.

B. La primauté des impératifs de contrôle sur la régularisation a posteriori

La Cour admet la possibilité de rectifier des factures erronées. Cependant, elle apporte une précision temporelle décisive qui fonde sa décision en l’espèce. Elle énonce que si une facture rectifiée est fournie à l’autorité fiscale avant que celle-ci ne statue, le droit à déduction ne saurait en principe être refusé. Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans la chronologie des faits.

En l’occurrence, les informations complémentaires visant à pallier les lacunes des factures initiales ont été communiquées après que l’administration fiscale a notifié sa décision de refus. La Cour en déduit logiquement que l’administration était fondée à prendre sa décision sur la base des seuls documents dont elle disposait à ce moment. Elle déclare ainsi que « les informations nécessaires visant à compléter et à régulariser les factures ont été présentées après que l’administration fiscale eut adopté sa décision de refus du droit à déduction de la TVA ». Cette solution consacre une approche pragmatique qui préserve l’efficacité des contrôles fiscaux. Permettre une régularisation sans limite de temps après une décision de l’administration paralyserait son action et introduirait une insécurité juridique. La charge de présenter une facture conforme pèse donc sur l’assujetti, qui doit agir en temps utile.

Le refus d’admettre la régularisation tardive conduit la Cour à examiner la situation du prestataire au regard du principe de neutralité, ce qui l’amène à opérer une distinction nette entre l’exigibilité de la taxe et son éventuelle déduction.

II. L’application restrictive du principe de neutralité fiscale

Face à l’argument selon lequel le refus de déduction chez le preneur devrait entraîner la restitution de la taxe chez le prestataire, la Cour oppose une fin de non-recevoir. Elle opère une dissociation claire entre l’exigibilité de la taxe et l’exercice du droit à déduction (A), ce qui la conduit à rejeter une conception extensive de la neutralité au profit de la nécessité d’une perception exacte de la taxe (B).

A. La dissociation de l’exigibilité de la taxe et de l’exercice du droit à déduction

La Cour examine la seconde question à la lumière des mécanismes fondamentaux de la TVA. Elle rappelle que, conformément à l’article 2 de la sixième directive, une prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti est soumise à la TVA. Le fait générateur de la taxe et son exigibilité interviennent au moment où la prestation est effectuée. La réalité des prestations de services dans le litige au principal n’étant pas contestée, la taxe était donc due par le prestataire et a été correctement versée au Trésor.

Partant de ce constat, la Cour juge que le droit à déduction du preneur et l’obligation de paiement du prestataire sont deux mécanismes juridiquement distincts. Elle affirme ainsi que « le système commun de la TVA ne subordonne pas l’exigibilité de celle-ci dans le chef de l’assujetti, prestataire de services, à l’exercice effectif du droit à déduction de la TVA dans le chef de l’assujetti, preneur de services ». L’irrégularité formelle commise par le prestataire, qui a pour conséquence de priver son client du droit à déduction, ne saurait rétroagir pour annuler sa propre dette de taxe. Cette dissociation est essentielle à la cohérence du système, car elle empêche qu’une défaillance dans la chaîne de facturation ne remette en cause l’imposition d’une opération économique ayant effectivement eu lieu.

B. Le rejet d’une conception extensive de la neutralité au profit de l’exacte perception de la taxe

En conséquence, la Cour conclut que le principe de neutralité fiscale ne peut être invoqué pour obtenir la restitution de la taxe dans une telle situation. Bien que ce principe soit cardinal en matière de TVA, son application n’est pas absolue. Il vise à garantir que l’assujetti ne supporte pas la charge finale de la taxe, mais il ne saurait servir à pallier les manquements des opérateurs qui compromettent le bon fonctionnement du système.

La Cour estime qu’une interprétation contraire créerait une situation préjudiciable à la collecte de l’impôt. Elle souligne en effet qu’une solution différente « serait de nature à favoriser des situations susceptibles d’empêcher l’exacte perception de la TVA, ce que l’article 22 de la sixième directive vise précisément à éviter ». En d’autres termes, accorder la restitution au prestataire reviendrait à faire supporter au Trésor public les conséquences de la facturation défaillante de ce même prestataire, ce qui constituerait un résultat contraire à la logique et aux objectifs de la directive. L’arrêt réaffirme donc que le respect des obligations formelles est la contrepartie nécessaire des droits que le système de TVA accorde aux assujettis.

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Hassan KOHEN
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