Cour de justice de l’Union européenne, le 8 mai 2014, n°C-15/13

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 8 mai 2014, précise les conditions d’application de l’exception dite « in house » aux marchés publics. Un établissement public d’enseignement supérieur a conclu un contrat de fournitures informatiques avec une société dont le capital est détenu par plusieurs entités étatiques. Cette attribution directe a eu lieu sans mise en concurrence préalable, au motif que les deux structures se trouvaient sous un contrôle public commun. Le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg, par une décision du 6 novembre 2012, a saisi la Cour d’une question préjudicielle sur la régularité de cette passation. Le litige porte sur la possibilité d’exclure du champ des marchés publics une opération dite horizontale entre deux entités juridiquement distinctes l’une de l’autre. La juridiction nationale demande si le contrôle exercé par une autorité tierce suffit à caractériser un lien interne justifiant l’absence de publicité et de mise en concurrence. Le juge européen décide qu’un tel contrat constitue un marché public soumis aux règles de passation obligatoires prévues par la directive du 31 mars 2004. Le raisonnement de la Cour s’articule autour de l’exigence d’un lien structurel direct entre les parties avant d’écarter la validité d’un contrôle simplement partiel.

I. L’exigence impérative d’un lien de contrôle effectif et structurel

A. L’absence de rapport de contrôle entre l’attributeur et l’attributaire

La Cour rappelle que l’exception aux procédures de passation est justifiée par la possibilité pour une autorité d’accomplir ses tâches par ses propres moyens. Ce principe suppose que le pouvoir adjudicateur exerce sur l’attributaire un « contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services » selon une jurisprudence constante. Dans cette espèce, l’université ne détient aucune participation au capital de la société informatique et ne dispose d’aucun représentant légal dans ses organes de direction. L’existence d’un lien interne particulier entre le pouvoir adjudicateur et l’entité attributaire fait donc défaut, empêchant la reconnaissance d’une simple gestion de moyens internes. Toute dérogation à l’obligation de mise en concurrence doit faire l’objet d’une interprétation stricte pour garantir l’ouverture d’une concurrence non faussée entre opérateurs économiques. L’absence de lien de subordination direct entre les deux contractants exclut l’application automatique de la dispense de procédure de passation prévue par le droit européen.

B. L’interprétation rigoureuse du critère de l’opération interne horizontale

Le juge européen refuse d’étendre les limites de l’exception « in house » aux situations où les parties sont seulement liées par un contrôleur commun. Une telle extension réduirait significativement la portée du principe selon lequel un contrat conclu entre deux personnes juridiquement distinctes constitue, en principe, un marché public. La Cour souligne que la raison d’être de l’exception réside dans la démonstration que le pouvoir adjudicateur a effectivement recours à ses propres services. Cette fiction juridique de l’unité de service ne peut être maintenue lorsque l’entité contractante ne dispose d’aucune influence sur les décisions de son cocontractant. La structure du marché litigieux ne permet pas de considérer que les parties forment une entité unique capable de se soustraire aux impératifs de publicité. Le juge privilégie ainsi la réalité des liens de contrôle sur la simple appartenance commune à une même sphère administrative globale et diffuse.

II. L’insuffisance du contrôle partiel pour caractériser l’exception

A. La nécessité d’une influence sur l’ensemble des objectifs stratégiques

Le contrôle analogue implique la possibilité pour l’autorité publique d’exercer une « influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes » de l’entité. Le juge européen relève ici que le contrôle de l’État fédéré sur l’université est limité au domaine spécifique de la gestion des crédits alloués. L’établissement d’enseignement supérieur bénéficie d’une autonomie constitutionnelle étendue dans les domaines essentiels de la recherche ainsi que de l’exercice de ses missions pédagogiques. Un contrôle réduit à la seule dimension des acquisitions de produits et de services ne saurait suffire à remplir le critère de la dépendance structurelle. La jurisprudence exige que le contrôle exercé par l’autorité publique soit « effectif, structurel et fonctionnel » sur l’ensemble de l’activité de l’entité soumise. Une supervision parcellaire ou thématique ne permet pas de conclure que l’organisme contrôlé constitue un simple prolongement administratif du pouvoir adjudicateur principal.

B. La préservation de la concurrence par le refus des extensions jurisprudentielles

La solution rendue confirme la volonté de la Cour de limiter les mécanismes permettant d’échapper aux procédures de mise en concurrence dans le secteur public. L’interprétation retenue empêche le développement de coopérations horizontales qui ne seraient pas fondées sur une véritable mission de service public commune et partagée. Le juge précise que les conditions d’une coopération entre autorités publiques ne sont pas réunies puisque la société n’est pas chargée d’exécuter une mission publique. Le contrat litigieux doit être soumis aux règles de passation afin de permettre aux opérateurs privés de proposer leurs solutions sur le marché informatique. Cette décision renforce la sécurité juridique en fixant des critères précis pour l’identification des marchés internes dont la validité dépend d’une intégration totale. L’arrêt marque la primauté de la liberté de circulation des marchandises et des services sur les facilités contractuelles entre organismes publics autonomes.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture