Cour de justice de l’Union européenne, le 8 mai 2014, n°C-604/12

Par un arrêt en date du 8 mai 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de l’articulation procédurale entre la demande de statut de réfugié et celle de protection subsidiaire. En l’espèce, un ressortissant d’un pays tiers, entré régulièrement sur le territoire d’un État membre, s’était vu notifier une intention de reconduite à la frontière après l’expiration de son titre de séjour. Craignant un risque d’atteintes graves dans son pays d’origine sans pour autant invoquer une persécution au sens de la Convention de Genève, il a sollicité directement le bénéfice de la protection subsidiaire. L’autorité nationale compétente a refusé d’examiner sa demande au motif que le droit national subordonnait un tel examen au rejet préalable d’une demande d’asile. Le demandeur a contesté cette décision, arguant qu’elle était contraire à la directive 2004/83/CE relative aux conditions d’octroi d’une protection internationale. Saisie d’un recours, la juridiction suprême de cet État membre a alors interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle réglementation nationale avec le droit de l’Union, notamment la directive précitée et le principe de bonne administration consacré à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux. Il s’agissait donc de déterminer si un État membre peut imposer une procédure séquentielle, où l’examen de la protection subsidiaire est conditionné par une décision négative sur le statut de réfugié. La Cour a jugé qu’une telle procédure séquentielle n’est pas contraire au droit de l’Union, mais a assorti cette validation de conditions strictes visant à garantir l’effectivité des droits des demandeurs. Si la Cour consacre ainsi la nature complémentaire de la protection subsidiaire et l’autonomie procédurale des États (I), elle encadre néanmoins fermement cette dernière par le respect du principe d’effectivité et du droit à une bonne administration (II).

I. La consécration du caractère subsidiaire de la protection et de l’autonomie procédurale des États membres

La Cour de justice valide le principe d’une procédure séquentielle en s’appuyant d’une part sur la nature même de la protection subsidiaire, conçue comme un complément à la protection des réfugiés, et d’autre part sur l’autonomie procédurale dont jouissent les États membres en l’absence de règles d’harmonisation complètes.

A. La confirmation d’une hiérarchie entre les statuts de protection

L’arrêt réaffirme la logique inhérente à la directive 2004/83/CE, qui établit une distinction claire entre le statut de réfugié et celui conféré par la protection subsidiaire. La Cour souligne que la protection subsidiaire est, par définition, une protection de second rang. Elle se fonde sur le libellé de l’article 2, sous e), de la directive, qui définit la personne pouvant bénéficier de cette protection comme celle « qui ne peut être considéré comme un réfugié ». Pour la Cour, « l’emploi du terme ‘subsidiaire’ ainsi que le libellé de cet article indiquent que le statut conféré par la protection subsidiaire s’adresse aux ressortissants des pays tiers qui ne satisfont pas aux conditions requises pour bénéficier du statut de réfugié ». Cette interprétation est renforcée par les considérants de la directive, qui précisent que cette forme de protection « devrait compléter la protection des réfugiés ». Il en découle qu’un examen prioritaire des conditions d’éligibilité au statut de réfugié est non seulement logique mais aussi conforme à l’économie générale du système de protection internationale de l’Union. La protection principale, offrant des droits plus étendus, doit être évaluée en premier lieu avant d’envisager la protection complémentaire.

B. L’admission d’un examen séquentiel fondé sur l’autonomie procédurale

Partant de cette hiérarchie, la Cour examine les modalités procédurales de mise en œuvre. Elle constate que la directive 2004/83/CE ne contient pas de règles de procédure, et que la directive 2005/85/CE sur les procédures d’asile ne s’applique aux demandes de protection subsidiaire que si l’État membre a opté pour une procédure unique. Or, dans le cas d’espèce, le droit national prévoyait deux procédures distinctes. La Cour en déduit qu’ »en l’absence de règles fixées par le droit de l’Union concernant les modalités procédurales relatives à l’examen d’une demande de protection subsidiaire, les États membres demeurent compétents, conformément au principe de l’autonomie procédurale, pour régler ces modalités ». Cette autonomie permet donc à un État membre d’instaurer un système où la demande de protection subsidiaire n’est traitée qu’après le rejet formel de la demande d’asile. La Cour estime que ce choix procédural ne contrevient pas, en lui-même, à la directive, car il respecte la logique de subsidiarité du statut.

Toutefois, cette autonomie procédurale reconnue aux États membres n’est pas absolue et se trouve tempérée par des garanties fondamentales visant à assurer l’effectivité des droits du demandeur.

II. L’encadrement strict de l’autonomie procédurale par les principes d’effectivité et de bonne administration

La Cour de justice assortit sa décision de deux conditions cumulatives essentielles qui constituent des garde-fous contre les dérives potentielles d’une procédure purement séquentielle. Ces conditions visent à garantir que le choix procédural de l’État membre ne vide pas de sa substance le droit à une protection subsidiaire.

A. L’exigence d’un examen dans un délai raisonnable

La principale préoccupation de la Cour est que le dédoublement des procédures n’entraîne pas un allongement excessif de la durée de traitement des demandes de protection. Une telle lenteur porterait atteinte à la fois au principe d’effectivité du droit de l’Union et au droit à une bonne administration, qui inclut le traitement des affaires dans un délai raisonnable. La Cour précise qu’une réglementation nationale ne doit pas conduire à ce que « l’examen de la demande de protection subsidiaire intervienne au terme d’un délai déraisonnable, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ». Pour apprécier ce caractère raisonnable, le juge national doit considérer la durée totale de la procédure, incluant l’examen de la demande d’asile puis celui de la demande de protection subsidiaire. La Cour suggère même une voie pour accélérer le processus, en rappelant que les autorités nationales peuvent utiliser une procédure accélérée pour rejeter une demande d’asile manifestement infondée, afin de passer « en temps utile à l’examen de la demande de protection subsidiaire ». Cette exigence transforme une simple faculté procédurale en un véritable instrument au service de l’effectivité du droit à la protection.

B. La garantie d’un accès effectif à la protection

La seconde condition posée par la Cour vise à empêcher qu’un formalisme excessif ne fasse obstacle à la demande de protection elle-même. La Cour juge que la procédure séquentielle n’est compatible avec le droit de l’Union que si « la demande visant à obtenir le statut de réfugié et la demande de protection subsidiaire peuvent être introduites simultanément ». Cette garantie est fondamentale : elle assure que le demandeur, même s’il ne formule qu’une demande de protection subsidiaire, ne se voie pas opposer une fin de non-recevoir purement administrative. L’autorité nationale doit enregistrer l’ensemble de la demande de protection internationale, même si elle décide de l’examiner en deux temps. Cela permet de sécuriser la situation juridique du demandeur dès le début du processus et d’éviter qu’il ait à formuler une nouvelle demande après le rejet de la première. En imposant cette possibilité de dépôt simultané, la Cour assure que l’autonomie procédurale de l’État membre ne se transforme pas en une barrière à l’entrée, préservant ainsi le noyau essentiel du droit de solliciter une protection internationale.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture