Un syndicat a saisi une Cour suprême nationale d’un recours visant à faire constater la non-conformité au droit de l’Union d’un nouveau régime de rémunération des agents contractuels de la fonction publique. Ce régime avait été instauré pour mettre fin à une discrimination fondée sur l’âge, l’ancien système ne prenant pas en compte les périodes d’activité accomplies avant l’âge de dix-huit ans. Cependant, le nouveau mécanisme procédait au reclassement des agents en se fondant sur leur dernière rémunération perçue sous l’empire de l’ancien régime, jugé discriminatoire. Le syndicat soutenait que cette méthode de transfert perpétuait en réalité la discrimination initiale. De plus, le nouveau régime prévoyait des modalités de prise en compte de l’expérience professionnelle antérieure qui variaient selon la nature de l’employeur. Face à ces difficultés d’interprétation, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agissait, d’une part, de déterminer si un tel mécanisme de reclassement, qui maintient les effets financiers d’une discrimination passée, est compatible avec le principe d’égalité de traitement. D’autre part, la Cour était interrogée sur la conformité d’une prise en compte différenciée de l’expérience professionnelle avec le principe de libre circulation des travailleurs. La Cour de justice a jugé que le fait de déterminer le classement dans le nouveau régime en fonction de la rémunération perçue au titre du régime antérieur discriminatoire perpétue une différence de traitement illicite. Elle a également considéré que la limitation de la prise en compte de l’expérience professionnelle selon l’employeur constitue une entrave à la libre circulation. L’analyse se portera donc sur la persistance de la discrimination à travers le mécanisme de reclassement (I), puis sur l’entrave à la libre circulation des travailleurs résultant de la reconnaissance seulement partielle de l’expérience (II).
I. La persistance d’une discrimination par l’effet d’un mécanisme de reclassement
La Cour de justice constate que la nouvelle réglementation nationale, bien que visant à corriger une discrimination, en prolonge les effets par le biais de son mécanisme de transition. Elle établit ainsi le maintien d’une inégalité de traitement fondée sur l’âge (A), avant de préciser l’obligation incombant au juge national de rétablir l’égalité par une compensation intégrale (B).
A. Le maintien d’une inégalité de traitement fondée sur l’âge
La Cour de justice examine si le nouveau régime de rémunération institue une différence de traitement au sens de la directive 2000/78. Pour ce faire, elle compare la situation des agents contractuels ayant acquis une expérience professionnelle avant l’âge de dix-huit ans à celle des agents ayant une expérience comparable acquise après cet âge. Le mécanisme de reclassement litigieux se base sur un « montant de transfert » correspondant à la rémunération perçue par l’agent le mois précédant son passage dans le nouveau système. Or, cette rémunération de référence était elle-même calculée selon les règles de l’ancien régime, que la Cour reconnaît comme discriminatoire.
En conséquence, la Cour considère qu’un tel mécanisme « est susceptible de maintenir les effets produits par l’ancien régime de rémunération et d’avancement, en raison du lien qu’il établit entre le dernier salaire perçu en application de ce régime et le classement dans le nouveau régime de rémunération et d’avancement ». La différence de traitement entre les deux catégories d’agents est donc maintenue, puisque leur nouvelle rémunération continue de dépendre indirectement de l’âge qu’ils avaient au moment de leur recrutement. La Cour examine ensuite si cette différence de traitement peut être justifiée par des objectifs légitimes. Bien que le respect des droits acquis et la protection de la confiance légitime puissent justifier temporairement le maintien de rémunérations antérieures, de tels objectifs ne sauraient légitimer une mesure qui maintient indéfiniment une discrimination. La Cour relève que les mécanismes correcteurs prévus, comme les primes de maintien, s’appliquent indistinctement à tous les agents, qu’ils aient été favorisés ou défavorisés par l’ancien système. Ces mesures ne permettent donc pas une convergence progressive des rémunérations et un rattrapage pour les agents lésés.
Le dispositif national ne parvient donc pas à établir un régime non discriminatoire. Ayant ainsi constaté la persistance de la discrimination, la Cour en tire des conséquences quant aux obligations du juge national.
B. L’obligation de rétablir l’égalité par une compensation intégrale
La Cour précise les suites qu’une juridiction nationale doit donner à la constatation d’une discrimination contraire au droit de l’Union. En l’absence de mesures nationales conformes rétablissant l’égalité de traitement, il incombe au juge d’assurer le plein effet du principe de non-discrimination. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, « aussi longtemps que des mesures rétablissant l’égalité de traitement n’ont pas été adoptées, le respect du principe d’égalité ne saurait être assuré que par l’octroi aux personnes de la catégorie défavorisée des mêmes avantages que ceux dont bénéficient les personnes de la catégorie privilégiée ».
Cette obligation implique pour le juge national d’écarter toute disposition nationale discriminatoire et d’appliquer aux agents défavorisés le régime dont bénéficie la catégorie favorisée. La Cour identifie un système de référence valable, à savoir les règles de rémunération et d’avancement qui s’appliquent aux agents n’ayant pas subi la discrimination liée à l’âge. Le rétablissement de l’égalité exige donc d’accorder aux agents lésés les mêmes avantages, tant pour la prise en compte des périodes de service accomplies avant dix-huit ans que pour l’avancement dans les échelons. Par voie de conséquence, les agents concernés ont droit à une compensation financière pour le préjudice subi. Cette compensation doit correspondre « à la différence entre le montant de la rémunération que l’agent contractuel concerné aurait dû percevoir s’il n’avait pas été traité de manière discriminatoire et la rémunération qu’il a effectivement perçue ». La solution s’inscrit dans une logique de réparation intégrale, visant à replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence de discrimination.
Au-delà de cette question relative à la discrimination fondée sur l’âge, l’arrêt apporte également des précisions importantes concernant les règles de prise en compte de l’ancienneté au regard de la libre circulation des travailleurs.
II. L’entrave à la libre circulation des travailleurs par une reconnaissance partielle de l’expérience
La Cour examine la seconde question préjudicielle portant sur la compatibilité avec l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne d’une réglementation nationale qui module la prise en compte de l’expérience professionnelle antérieure selon l’employeur. Elle y voit une restriction injustifiée à la mobilité des travailleurs (A), rejetant les arguments avancés par l’État membre concerné (B).
A. La qualification d’une restriction à la mobilité des travailleurs
La réglementation nationale en cause prévoit que les périodes d’activité antérieures sont prises en compte dans leur intégralité si elles ont été accomplies auprès de certains employeurs publics ou d’organisations internationales. En revanche, pour toute autre période d’activité, la prise en compte est limitée à un maximum de dix ans et soumise à une condition de pertinence. La Cour note que, bien qu’applicable sans distinction de nationalité, une telle disposition est susceptible de constituer une entrave à la libre circulation. Elle rappelle que les mesures nationales qui empêchent ou dissuadent un ressortissant d’un État membre de quitter son pays d’origine pour exercer son droit à la libre circulation sont considérées comme des restrictions.
En l’espèce, la limitation à dix ans de la reconnaissance de l’expérience acquise auprès de la plupart des employeurs est de nature à dissuader les travailleurs de postuler un emploi d’agent contractuel dans cet État membre. En effet, « un travailleur migrant qui aurait acquis une expérience professionnelle pertinente de plus de dix ans auprès d’un employeur autre que ceux énumérés […] sera classé au même échelon de rémunération que celui dans lequel sera classé un travailleur qui aura acquis une expérience de même nature, mais d’une durée inférieure ou égale à dix ans ». Cette situation crée un désavantage pour les travailleurs plus expérimentés qui ont exercé leur mobilité en dehors du secteur public privilégié par la loi, rendant l’emploi public dans cet État moins attractif pour eux. La réglementation est donc susceptible de violer l’article 45 du Traité et l’article 7 du règlement n° 492/2011.
Face à cette restriction caractérisée, la Cour examine si elle peut néanmoins être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.
B. Le rejet des justifications tirées de la politique salariale et de la fidélisation
L’État membre invoquait deux motifs pour justifier la mesure. Le premier était la volonté de récompenser l’expérience pertinente, qui permet au travailleur de mieux accomplir ses tâches. La Cour reconnaît qu’il s’agit d’un but légitime de politique salariale. Cependant, elle juge que la mesure en cause n’est pas apte à garantir la réalisation de cet objectif. En effet, une réglementation « qui prend en compte de manière limitée l’expérience pertinente ne saurait être considérée comme visant à valoriser entièrement cette expérience ». La limitation à dix ans contredit directement l’objectif de récompenser l’expérience dans son intégralité.
Le second motif était de récompenser la fidélité des agents. La Cour admet qu’un tel objectif peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général. Toutefois, elle estime que la mesure n’est pas davantage apte à atteindre ce but. La législation privilégie une très large catégorie d’employeurs publics nationaux et européens, ce qui ne favorise pas la fidélité envers un employeur déterminé, mais plutôt la mobilité au sein d’un vaste secteur public. La Cour en conclut que « le nouveau régime de rémunération et d’avancement est destiné à permettre une mobilité maximale au sein d’un groupe d’employeurs juridiquement distincts et non pas à récompenser la fidélité d’un salarié envers un employeur déterminé ». Les justifications avancées étant écartées, la restriction à la libre circulation est jugée contraire au droit de l’Union.