Cour de justice de l’Union européenne, le 8 mai 2019, n°C-486/18

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 8 mai 2019 offre une clarification substantielle sur la protection des travailleurs en congé parental. La décision porte spécifiquement sur les modalités de calcul des indemnités de rupture du contrat de travail. En l’espèce, un salarié, titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein, a été licencié alors qu’il bénéficiait d’un congé parental à temps partiel. L’employeur avait calculé les indemnités dues au titre de la rupture sur la base de la rémunération réduite perçue par le salarié durant cette période de temps partiel. Saisi du litige, le travailleur a contesté cette méthode de calcul, estimant qu’elle portait atteinte à ses droits. La juridiction nationale, confrontée à une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, a alors saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Le problème de droit soumis à la Cour était double. Il s’agissait, d’une part, de déterminer si l’accord-cadre sur le congé parental s’opposait à ce qu’une indemnité de licenciement soit calculée sur la base de la rémunération afférente au temps partiel. D’autre part, la Cour était interrogée sur la compatibilité d’une telle pratique avec le principe de non-discrimination salariale entre les femmes et les hommes, tel que prévu par l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Cour a répondu par l’affirmative à ces deux questions. Elle juge que l’accord-cadre « s’oppose à ce que, lorsqu’un travailleur engagé à durée indéterminée et à temps plein est licencié au moment où il bénéficie d’un congé parental à temps partiel, l’indemnité de licenciement […] soi[t] déterminée […] sur la base de la rémunération réduite qu’il perçoit quand le licenciement intervient ». De plus, elle considère que l’article 157 du Traité fait obstacle à une telle réglementation nationale dès lors qu’il est établi qu’un nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes recourent au congé parental.

Il convient d’analyser la protection renforcée que la Cour confère au statut du travailleur en congé parental (I), avant d’étudier la confirmation de l’interdiction des discriminations indirectes fondées sur le sexe (II).

I. La protection renforcée du statut du travailleur en congé parental

La Cour de justice consolide les droits des travailleurs en congé parental en affirmant le principe de neutralité de ce congé sur le calcul des indemnités de rupture (A), consacrant ainsi une interprétation large des garanties offertes par le droit de l’Union (B).

A. Le principe de neutralité du congé parental sur le calcul des droits

La décision réaffirme avec force que la période de congé parental ne doit pas avoir pour conséquence de pénaliser le travailleur dans l’exercice de ses droits. En jugeant que l’accord-cadre sur le congé parental s’oppose au calcul de l’indemnité de licenciement sur la base de la rémunération réduite, la Cour garantit l’effectivité de ce congé. Le raisonnement sous-jacent est que le droit à une indemnité de licenciement est un droit lié à l’ancienneté et au statut contractuel du salarié, acquis tout au long de la relation de travail. Le passage à temps partiel dans le cadre d’un congé parental est une modalité d’exercice temporaire du travail et non une modification définitive du contrat.

Prendre en compte la rémunération réduite reviendrait à décourager les travailleurs de recourir au congé parental, ce qui serait contraire à l’objectif même de l’accord-cadre, qui vise à faciliter la conciliation entre les responsabilités professionnelles et familiales. La solution protège donc la situation financière du travailleur licencié en la rattachant à son statut contractuel de référence, celui de travailleur à temps plein. Cette interprétation assure que le congé parental demeure une option viable sans engendrer de conséquences préjudiciables sur les droits financiers futurs du salarié.

B. La portée extensive des garanties contre les traitements défavorables

Au-delà de la seule indemnité de licenciement, la Cour étend la protection à l’ensemble des droits dont le calcul dépend de la rémunération. La solution mentionne également « l’allocation de congé de reclassement », ce qui suggère une approche globale. Tout traitement défavorable lié à la prise d’un congé parental est ainsi proscrit. La Cour interprète la clause de l’accord-cadre relative au maintien des droits « acquis ou en cours d’acquisition » de manière extensive.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à faire du congé parental un droit effectif et non une source de précarisation. La protection ne se limite pas au maintien de l’emploi, mais s’étend aux conditions financières de la rupture du contrat. En refusant que le congé parental puisse diminuer les droits pécuniaires du salarié, la Cour envoie un signal clair : l’exercice d’un droit social fondamental ne saurait justifier une détérioration de la situation du travailleur. La portée de cet arrêt dépasse donc le cas d’espèce et s’applique à toute prestation calculée sur la base du salaire au moment de la rupture.

Au-delà de la violation de l’accord-cadre, la Cour fonde également sa solution sur le principe fondamental de non-discrimination.

II. La sanction d’une discrimination indirecte fondée sur le sexe

La Cour de justice mobilise le principe d’égalité de traitement pour censurer la réglementation nationale, en caractérisant l’existence d’une discrimination indirecte (A) et en fixant des conditions strictes à sa potentielle justification (B).

A. La caractérisation d’une discrimination indirecte

La Cour rappelle qu’une mesure apparemment neutre peut constituer une discrimination indirecte si elle désavantage en pratique un pourcentage beaucoup plus élevé de personnes d’un sexe. En l’espèce, la règle nationale qui prévoit le calcul des indemnités sur la base du salaire perçu au moment de la rupture s’applique indifféremment aux hommes et aux femmes. Cependant, la Cour prend acte d’une réalité statistique et sociale. Elle relève que la mesure litigieuse affecte un « nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes » qui choisissent de prendre un congé parental à temps partiel.

Cette approche factuelle est déterminante pour qualifier la discrimination. Le raisonnement n’est pas abstrait mais fondé sur les conséquences concrètes d’une norme sur une population spécifique. En liant le mode de calcul des indemnités à un choix professionnel majoritairement féminin, la législation nationale crée une inégalité de traitement de fait. La Cour considère que cette situation contrevient à l’article 157 du Traité, qui impose une égalité de rémunération, interprétée largement comme incluant les indemnités de licenciement.

B. L’exigence d’une justification objective et étrangère à la discrimination

Une discrimination indirecte peut être admise si elle est justifiée par des facteurs objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe. La Cour souligne que la différence de traitement qui résulte de la réglementation nationale n’est acceptable que si elle peut « s’expliquer par des facteurs objectivement justifiés ». La charge de la preuve incombe alors à l’État membre qui a édicté la mesure.

En l’espèce, la Cour ne détaille pas les justifications possibles, mais sa formulation établit un standard de contrôle élevé. Des arguments d’ordre purement budgétaire ou de simplicité administrative seraient vraisemblablement insuffisants pour justifier une telle atteinte au principe d’égalité. L’objectif poursuivi par la mesure doit être légitime et les moyens employés pour l’atteindre doivent être à la fois appropriés et nécessaires. En ne retenant aucune justification apparente dans ce cas, la Cour réaffirme la primauté du principe d’égalité de traitement et assure la cohérence du droit de l’Union, en articulant la protection du congé parental avec l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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