Par un arrêt rendu le 8 mars 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée de la directive 2004/39/CE concernant les marchés d’instruments financiers, dite « MiFID », à l’égard des mesures de police administrative prises par une autorité nationale à l’encontre d’un conseiller financier. En l’espèce, un conseiller financier exerçant son activité en dehors des locaux de l’entreprise pour le compte exclusif d’un intermédiaire habilité a fait l’objet d’une décision d’interdiction temporaire d’exercice de son activité pour une durée d’un an. Cette mesure conservatoire, prise par l’autorité de régulation nationale compétente, était motivée par le fait que l’intéressé faisait l’objet d’une procédure pénale, sans lien avec une éventuelle méconnaissance des règles régissant sa profession.
Saisi d’un recours contre cette décision, le juge administratif national a été conduit à interroger la Cour de justice sur la compatibilité de la législation interne fondant une telle sanction avec le droit de l’Union. La juridiction de renvoi se demandait en substance si la directive MiFID et les libertés fondamentales garanties par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’opposaient à une réglementation nationale permettant à une autorité de suspendre, de manière discrétionnaire, l’activité d’un conseiller financier en raison de faits étrangers à la violation des règles professionnelles issues de cette directive. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si le statut et la surveillance des intermédiaires agissant en qualité d’agent lié relevaient du champ d’harmonisation de la directive MiFID ou, à défaut, des libertés de circulation, au point de priver les États membres de la faculté d’édicter des mesures de suspension fondées sur des considérations de droit commun.
La Cour de justice a répondu par la négative, en jugeant qu’une telle interdiction temporaire ne relevait ni du champ d’application de la directive, ni de celui des articles 49 et 56 du Traité. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a soigneusement distingué la notion d’agent lié de celle d’entreprise d’investissement, estimant que la directive n’harmonisait pas les conditions d’exercice de l’activité des premiers. Elle a par ailleurs constaté que la situation litigieuse, dépourvue de tout élément d’extranéité, ne permettait pas d’invoquer les libertés d’établissement et de libre prestation des services.
Cette solution conduit à examiner la stricte délimitation du champ d’application de la directive MiFID opérée par la Cour (I), avant d’analyser les conséquences de cette interprétation sur l’autonomie réglementaire des États membres en matière de surveillance des intermédiaires financiers (II).
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I. Une interprétation stricte du périmètre de la directive MiFID
La Cour fonde son raisonnement sur une analyse rigoureuse des concepts définis par la directive, ce qui la conduit à opérer une distinction nette entre l’entreprise d’investissement et l’agent lié (A), pour en déduire que la réglementation de l’activité de ce dernier demeure largement de la compétence des États membres (B).
A. La qualification exclusive d’agent lié
Le raisonnement de la Cour repose entièrement sur la distinction entre les notions d’« entreprise d’investissement » et d’« agent lié », telles qu’explicitées à l’article 4, paragraphe 1, de la directive MiFID. La première notion vise toute personne morale dont l’activité habituelle consiste à fournir des services d’investissement à titre professionnel. La seconde, quant à elle, définit l’agent lié comme « toute personne physique ou morale qui, sous la responsabilité entière et inconditionnelle d’une seule et unique entreprise d’investissement pour le compte de laquelle elle agit », exerce certaines activités d’intermédiation. La Cour souligne que la directive « établit une distinction nette entre les notions d’“entreprise d’investissement” et d’“agent lié” », le critère déterminant de cette seconde catégorie étant le lien d’exclusivité et la dépendance juridique vis-à-vis d’une seule entreprise d’investissement.
En l’espèce, le conseiller financier en cause agissait exclusivement dans l’intérêt d’une seule entité habilitée, ce qui justifiait sans ambiguïté sa qualification d’agent lié. Cette qualification emporte une conséquence juridique essentielle : l’agent lié n’est pas lui-même une entreprise d’investissement au sens de la directive. Partant, les dispositions de la directive qui s’appliquent spécifiquement aux entreprises d’investissement, notamment celles relatives à l’agrément ou à son retrait prévues à l’article 8, ne sauraient lui être directement opposées. La Cour écarte donc logiquement l’application de cet article, constatant que la directive ne soumet pas l’activité des agents liés à un régime d’agrément européen.
B. Une réglementation prudentielle relevant de la compétence nationale
Une fois la qualification d’agent lié établie, la Cour examine les dispositions de la directive qui lui sont spécifiquement consacrées, en particulier l’article 23. Elle constate que cet article ne régit pas directement les conditions d’exercice de l’activité de l’agent lié, mais plutôt les obligations incombant à l’entreprise d’investissement qui recourt à ses services. L’entreprise mandante doit ainsi assumer l’entière responsabilité des actions de son agent, contrôler ses activités et s’assurer de son inscription sur un registre public. Cependant, la Cour relève que « l’article 23 de la directive MiFID ne régit pas les conditions dans lesquelles les autorités nationales peuvent interdire temporairement l’activité d’agent lié ».
Au contraire, elle met en exergue le paragraphe 6 de ce même article, qui dispose expressément que les États membres « peuvent rendre plus strictes les exigences énoncées dans le présent article ou prévoir des exigences supplémentaires pour les agents liés immatriculés sur leur territoire ». Cette disposition confère aux États membres une marge de manœuvre significative pour encadrer la profession. La mesure de suspension litigieuse, fondée sur l’existence d’une procédure pénale et non sur un manquement aux règles transposant la directive, peut ainsi être considérée comme l’une de ces exigences supplémentaires. La directive n’ayant pas procédé à une harmonisation exhaustive du statut de l’agent lié, la compétence des États membres pour adopter des mesures de police administrative demeure donc intacte.
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II. La confirmation de l’autonomie nationale en l’absence d’élément transfrontalier
La Cour complète son analyse en examinant la situation au regard des libertés fondamentales, réaffirmant sa jurisprudence classique sur les situations purement internes (A), ce qui a pour effet de consacrer une importante marge de manœuvre aux autorités nationales pour la surveillance des marchés financiers (B).
A. L’inapplicabilité des libertés de circulation
Après avoir écarté l’application de la directive MiFID, la Cour se penche sur l’applicabilité des articles 49 et 56 du TFUE relatifs à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services. Elle rappelle à ce titre une jurisprudence constante selon laquelle « les dispositions du traité FUE en matière de liberté d’établissement et de libre prestation des services ne trouvent pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre ». L’application des libertés de circulation suppose en effet l’existence d’un élément d’extranéité, c’est-à-dire un lien de rattachement avec la situation d’un autre État membre.
Or, en l’espèce, la juridiction de renvoi n’a fourni aucun élément concret permettant d’établir un tel lien. Le litige opposait un ressortissant italien à une autorité de régulation italienne, concernant une activité exercée en Italie. La Cour juge que les arguments de l’intéressé sur les conséquences purement abstraites que la mesure de suspension pourrait avoir sur sa capacité à exercer son activité dans l’Union sont insuffisants pour déclencher l’application du droit de l’Union. Faute de franchissement d’une frontière, réelle ou potentielle, la situation échappe donc au champ des libertés économiques garanties par le traité.
B. La portée de la décision : la clarification de la répartition des compétences de surveillance
En jugeant que ni la directive MiFID ni les libertés de circulation ne s’opposent à la mesure de suspension litigieuse, la Cour de justice apporte une clarification importante sur la répartition des compétences entre l’Union et les États membres dans le domaine de la surveillance des intermédiaires financiers. La décision confirme que si la directive a harmonisé le cadre applicable aux entreprises d’investissement, elle n’a pas entendu créer un statut européen complet et uniforme pour les agents liés. Ces derniers demeurent soumis à un double niveau de régulation : celui, harmonisé, des obligations de l’entreprise qui les mandate, et celui, national, des conditions d’accès et d’exercice de leur profession.
La portée de cet arrêt est donc de reconnaître aux autorités nationales le pouvoir de prendre des mesures de police administrative à l’encontre de ces intermédiaires, y compris pour des motifs qui ne sont pas directement liés à un manquement aux règles de conduite financière. Les États membres conservent ainsi la faculté d’apprécier l’honorabilité d’un conseiller financier au regard de leur ordre public interne, par exemple en tenant compte de l’existence de poursuites pénales. Cette solution garantit une certaine souplesse et permet aux autorités nationales de préserver l’intégrité de leurs marchés, tout en soulignant les limites de l’harmonisation financière européenne, laquelle n’a pas vocation à effacer toutes les spécificités des droits nationaux en matière de surveillance et de sanction.