La Cour de justice de l’Union européenne, par cet arrêt, précise le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable à une catégorie de services numériques dont la localisation pour les besoins de la taxation est incertaine. En l’espèce, une entreprise proposait des sessions interactives à caractère érotique qui étaient filmées et retransmises en direct sur Internet à ses clients. Un litige est né avec l’administration fiscale nationale sur la question de savoir où ces prestations de services devaient être considérées comme effectuées et, par conséquent, dans quel État membre la TVA devait être acquittée. Saisie d’un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, la Cour était amenée à interpréter plusieurs dispositions des directives européennes relatives au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. La question juridique centrale était double : il s’agissait d’une part de déterminer si de telles prestations constituent une « activité de divertissement » et où elles sont « matériellement exécutées », et d’autre part de clarifier si elles relèvent du régime spécifique des services fournis par voie électronique, notamment lorsque les clients et le prestataire sont situés dans le même État membre. La Cour juge que ces prestations sont des activités de divertissement matériellement exécutées au lieu d’établissement du prestataire, et que le régime des services électroniques ne s’applique pas dans le contexte d’une relation purement nationale. La solution retenue par la Cour ancre ainsi la taxation de la prestation interactive dans l’économie physique du prestataire (I), tout en posant une limite circonstanciée à l’application des règles spécifiques au commerce électronique (II).
I. L’assimilation de la prestation numérique interactive à une activité de divertissement physiquement localisée
La Cour de justice opère une qualification de la prestation qui la rattache à une catégorie juridique préexistante, celle des activités de divertissement, en se fondant sur sa nature intrinsèque plutôt que sur son mode de diffusion. Cette approche conduit à identifier le lieu de son exécution matérielle non pas chez le consommateur, mais à la source même de sa production.
A. La qualification extensive de la notion d’« activité de divertissement »
La Cour interprète la notion d’« activité de divertissement » de manière large, y incluant des services fournis de manière dématérialisée. Elle considère qu’une « prestation de services complexe, telle que celle en cause au principal, consistant à proposer des sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet constitue une “activité de divertissement” ». Ce faisant, elle refuse de limiter cette catégorie aux seuls événements se déroulant en présence physique du public. Le caractère interactif et la diffusion en temps réel de la prestation semblent avoir été des éléments déterminants pour la Cour, permettant de la distinguer d’une simple fourniture de contenu préenregistré. Cette interprétation finaliste, axée sur la nature du service consommé, assure que l’évolution technologique ne vide pas de leur substance les catégories fiscales établies. Elle confirme que le critère pertinent est la finalité du service pour le consommateur, ici le divertissement, et non le canal par lequel ce service est délivré.
B. La détermination du lieu d’exécution matérielle au siège du prestataire
Une fois la qualification d’activité de divertissement retenue, le défi consistait à localiser son exécution matérielle. La Cour tranche en faveur du lieu d’établissement du prestataire, considérant que la prestation est exécutée « à l’endroit où le prestataire a établi le siège de ses activités économiques ou un établissement stable à partir duquel cette prestation de services est fournie ». Cette solution est pragmatique et ancre la prestation dans une réalité économique tangible. C’est en effet au lieu d’établissement que se trouvent les moyens humains et techniques, les studios, les équipements et le personnel, qui sont mobilisés pour créer et diffuser la session en direct. Le fait générateur de la valeur ajoutée se situe donc bien à cet endroit précis. En choisissant cette localisation, la Cour offre une sécurité juridique considérable aux opérateurs économiques, qui n’ont pas à déterminer la localisation de chaque client pour appliquer la TVA, du moins pour ce type de service. Cette décision évite une fragmentation de l’imposition qui serait complexe à gérer pour le prestataire et pour les administrations fiscales.
II. La distinction avec les services fournis par voie électronique dans un contexte purement national
Après avoir rattaché la prestation à la catégorie des activités de divertissement, la Cour examine subsidiairement son lien avec le régime des services électroniques. Elle conclut à son inapplicabilité en l’espèce, en raison du contexte national de la fourniture, soulignant ainsi la finalité anti-distorsion des règles spécifiques au commerce électronique transfrontalier.
A. Le champ d’application spécifique des règles relatives aux services électroniques
Le droit de l’Union prévoit des règles particulières pour les services fournis par voie électronique, visant en principe à taxer la prestation dans le pays du consommateur. Ces règles ont été conçues pour neutraliser les distorsions de concurrence dans le marché unique, en évitant que des prestataires ne s’établissent dans des États à faible taux de TVA pour servir des consommateurs situés dans des États à taux plus élevé. La Cour rappelle implicitement cette logique en examinant l’applicabilité de « l’article 56, paragraphe 1, sous k), de la directive 2006/112 ». Cependant, elle constate que le cas d’espèce présente une particularité qui fait obstacle à l’application de ce régime spécial. L’analyse de la Cour montre que les régimes de TVA sont compartimentés et répondent à des objectifs distincts qui ne doivent pas être confondus.
B. L’inapplicabilité de la règle spéciale en l’absence de dimension transfrontalière effective
La Cour juge que le régime des services électroniques ne s’applique pas lorsqu’une prestation « a été fournie à des bénéficiaires se trouvant tous dans l’État membre du prestataire de ces services ». Cette précision est essentielle car elle limite la portée de la règle spéciale de localisation au lieu du preneur aux seules situations véritablement transfrontalières. Dès lors que tous les clients sont situés dans le même pays que le prestataire, la problématique de distorsion de concurrence entre États membres disparaît. La situation redevient purement interne, justifiant le retour à la règle générale ou à une autre règle spéciale plus adaptée, en l’occurrence celle des activités de divertissement. Cette solution téléologique évite une application mécanique des textes qui aboutirait à une complexité injustifiée. Elle témoigne d’une volonté de la Cour de n’appliquer les régimes d’exception qu’aux situations pour lesquelles ils ont été spécifiquement créés, préservant ainsi la cohérence du système commun de TVA.