Par un arrêt du 8 mars 2011, la Cour de justice de l’Union européenne, siégeant en grande chambre, a rendu une décision préjudicielle essentielle sur la portée de la citoyenneté de l’Union. En l’espèce, un ressortissant d’un État tiers et son épouse, également ressortissante d’un État tiers, résidaient dans un État membre où ils avaient déposé des demandes d’asile, lesquelles furent refusées. Le couple a eu par la suite deux enfants sur le territoire de cet État membre. Ces enfants ont acquis la nationalité de leur État de naissance, conformément à la législation nationale visant à éviter l’apatridie. Le père, qui subvenait aux besoins de sa famille, occupait un emploi salarié pour lequel il n’avait pas obtenu de permis de travail. S’étant retrouvé au chômage, il a sollicité des allocations, qui lui ont été refusées par l’organisme national compétent au motif que ses périodes de travail n’avaient pas été accomplies en conformité avec la législation sur le séjour et l’emploi des étrangers. Saisie du litige, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur la question de savoir si le droit de l’Union, et plus particulièrement les dispositions relatives à la citoyenneté, conférait un droit de séjour et, par extension, une dispense de permis de travail à l’ascendant, ressortissant d’un État tiers, qui assume la charge de ses enfants mineurs, citoyens de l’Union, alors même que ces derniers n’ont jamais exercé leur droit à la libre circulation. La Cour a jugé que l’article 20 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’oppose à ce qu’un État membre refuse un droit de séjour et un permis de travail à un tel parent, dans la mesure où ces refus priveraient les enfants de la jouissance effective de l’essentiel des droits que leur confère leur statut de citoyen de l’Union.
La solution retenue par la Cour consacre ainsi un droit de séjour autonome pour le parent d’un citoyen de l’Union statique, fondé directement sur la citoyenneté européenne (I), afin de garantir l’effectivité des droits qui en découlent (II).
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I. La consécration d’un droit de séjour autonome fondé sur la citoyenneté de l’Union
L’arrêt se distingue par le fait qu’il ancre la solution en dehors du cadre traditionnel de la libre circulation, en faisant du statut de citoyen de l’Union la clé de voûte de son raisonnement. Il acte ainsi le dépassement du critère de la mobilité transfrontalière (A) pour affirmer la portée fondamentale du statut de citoyen de l’Union (B).
A. Le dépassement du critère de la mobilité transfrontalière
La Cour écarte d’emblée l’application de la directive 2004/38/CE, car celle-ci ne vise que les citoyens de l’Union qui se rendent ou séjournent dans un État membre autre que celui dont ils ont la nationalité. Or, la situation des enfants mineurs dans l’affaire au principal était purement interne à leur État membre de nationalité. Ils n’avaient jamais quitté le territoire de cet État et n’avaient donc pas activé les droits liés à la libre circulation des personnes. En l’absence de tout élément d’extranéité au sens classique du droit de l’Union, la situation semblait relever de la seule compétence de l’État membre concerné. Pourtant, la Cour choisit de ne pas s’arrêter à ce constat. Elle opère un changement de paradigme en déplaçant le centre de gravité de l’analyse du droit de la libre circulation vers le statut de citoyen de l’Union, tel qu’énoncé à l’article 20 du TFUE. Cette approche lui permet d’examiner les conséquences des mesures nationales sur les droits inhérents à ce statut, indépendamment de tout exercice préalable d’une activité économique ou d’un déplacement au sein de l’Union.
B. L’affirmation de la portée fondamentale du statut de citoyen de l’Union
Pour justifier son intervention dans une situation interne, la Cour rappelle avec force que « le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres ». Ce faisant, elle confère à l’article 20 du TFUE une portée autonome, capable de produire des effets juridiques directs même en l’absence de lien avec les libertés de circulation. La citoyenneté n’est plus seulement un corollaire du marché intérieur, mais devient une source de droits en elle-même. La Cour établit que ce statut s’oppose à des mesures nationales qui auraient pour effet de priver les citoyens de l’Union de la substance même des droits conférés par leur statut. Cette interprétation maximaliste transforme la citoyenneté en un rempart contre des décisions nationales qui, bien que relevant de la compétence des États membres, videraient de son sens l’appartenance à l’Union. L’enjeu n’est plus de faciliter la circulation, mais d’assurer l’existence même de la citoyenneté.
II. La garantie de l’effet utile des droits attachés à la citoyenneté de l’Union
Le raisonnement de la Cour se fonde sur le principe de l’effet utile, en vertu duquel les droits reconnus par le traité doivent être effectifs et non purement théoriques. Cette exigence conduit à une protection contre la privation de la jouissance des droits (A) et se matérialise par l’octroi de droits dérivés à l’ascendant ressortissant d’un État tiers (B).
A. La protection contre la privation de la jouissance effective des droits
Le critère décisif développé par la Cour réside dans la question de savoir si la décision nationale a pour conséquence de priver le citoyen de l’Union de « la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l’Union ». La Cour applique ce critère de manière très concrète. Elle considère que le refus de séjour opposé au parent qui assume la charge effective de ses enfants mineurs, citoyens de l’Union, obligerait ces derniers à quitter non seulement leur État membre de nationalité, mais aussi le territoire de l’Union tout entier pour accompagner leurs parents. Une telle conséquence, inéluctable en raison de leur jeune âge et de leur dépendance, les placerait de fait dans l’impossibilité d’exercer l’essentiel de leurs droits de citoyens européens. La Cour identifie donc une menace existentielle pour le statut de citoyen de l’Union, qui serait vidé de sa substance si son titulaire était contraint à l’exil.
B. L’octroi de droits dérivés à l’ascendant ressortissant d’un État tiers
Pour parer à cette menace, la Cour tire les conséquences logiques de son raisonnement en accordant au parent les moyens de permettre à ses enfants de demeurer sur le territoire de l’Union. Ces moyens sont un droit de séjour et une dispense de permis de travail. Il ne s’agit pas de droits propres au parent, mais de droits dérivés, dont la finalité est exclusivement de garantir l’effectivité du droit de séjour du citoyen mineur. La Cour précise que si un permis de travail n’était pas octroyé, le parent risquerait de ne pas disposer des ressources nécessaires pour subvenir aux besoins de sa famille. Cette précarité économique aurait pour conséquence, tout comme un refus de séjour, d’obliger la famille à quitter le territoire de l’Union. Le droit de travailler est donc présenté comme l’accessoire indispensable du droit de séjour, lui-même nécessaire à la sauvegarde de la citoyenneté de l’enfant. L’ensemble de ces droits dérivés constitue ainsi le socle indispensable à la jouissance réelle et concrète des droits attachés au statut de citoyen de l’Union.