Par un arrêt du 9 novembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié l’articulation entre les critères de qualification d’une aide d’État et l’examen de sa compatibilité avec le marché intérieur dans le contexte du financement d’un service public de radiodiffusion. En l’espèce, une entreprise de radiodiffusion commerciale contestait la validité d’une décision de la Commission européenne. Cette décision avait déclaré compatibles avec le marché intérieur, sur le fondement de l’article 106, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, plusieurs mesures de financement accordées par un État membre à un organisme de radiodiffusion public. L’entreprise requérante avait initialement saisi le Tribunal de l’Union européenne afin d’obtenir l’annulation de cette décision, arguant que la Commission aurait dû tenir compte de certains critères jurisprudentiels pour évaluer la proportionnalité de l’aide. Le Tribunal ayant rejeté son recours, l’entreprise a formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit. La question juridique centrale soumise à la Cour était donc de déterminer si les conditions établies par la jurisprudence pour qu’une compensation de service public ne soit pas qualifiée d’aide d’État doivent également être intégrées dans l’analyse de la compatibilité d’une mesure, une fois celle-ci qualifiée d’aide d’État au sens de l’article 106, paragraphe 2, du traité. La Cour de justice a rejeté le pourvoi, confirmant l’analyse du Tribunal. Elle juge que l’examen visant à qualifier une mesure d’aide d’État est distinct et préalable à celui de sa compatibilité au titre de la dérogation pour les services d’intérêt économique général. La solution retenue par la Cour consacre une distinction nette entre les deux étapes du raisonnement en matière d’aides d’État aux services d’intérêt économique général (I), dont la portée confirme une approche pragmatique du financement des missions de service public (II).
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I. La consécration d’une analyse séquentielle et étanche des aides d’État au service public
La Cour de justice opère une distinction rigoureuse entre la phase de qualification de l’aide d’État, où s’appliquent les critères jurisprudentiels issus de l’arrêt *Altmark* (A), et la phase d’examen de sa compatibilité, qui obéit à la logique propre de l’article 106, paragraphe 2, du traité (B).
A. Le rappel de la fonction exclusive des critères Altmark à la qualification de l’aide
L’arrêt commenté réaffirme avec force que les conditions dégagées par la jurisprudence *Altmark* ne servent qu’à déterminer si une compensation de service public confère un avantage économique à une entreprise, et donc si elle constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du traité. Ces critères permettent de distinguer une simple compensation, qui échappe à la qualification d’aide, d’une subvention qui fausse la concurrence. La Cour rappelle notamment l’importance de la deuxième condition, exigeant que les paramètres de calcul de la compensation soient établis au préalable de manière objective et transparente, et de la quatrième, selon laquelle la compensation doit être déterminée sur la base des coûts d’une entreprise moyenne et bien gérée.
La Cour approuve sans réserve le raisonnement du Tribunal qui avait jugé que « le contrôle du respect des conditions posées par cette jurisprudence intervient en amont, c’est-à-dire lors de l’examen de la question de savoir si les mesures en cause doivent être qualifiées d’aides d’État ». L’analyse menée au titre des critères *Altmark* est donc une étape préliminaire et autonome. Une fois que l’une de ces conditions n’est pas remplie, la mesure est qualifiée d’aide d’État ; l’analyse fondée sur ces critères prend alors fin, laissant place, le cas échéant, à l’examen des dérogations prévues par le traité.
B. L’autonomie de l’examen de compatibilité au regard de l’article 106, paragraphe 2, TFUE
Dès lors qu’une mesure est qualifiée d’aide d’État, son éventuelle compatibilité avec le marché intérieur doit être évaluée à l’aune de l’article 106, paragraphe 2, du traité, qui prévoit une dérogation pour les entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général. La Cour confirme que ce second examen suit une logique distincte et ne réintègre pas les critères *Altmark*. Selon les termes de l’arrêt, « il n’y a plus lieu de faire application des conditions posées par la jurisprudence Altmark lorsque la Commission, ayant constaté qu’une mesure devait être qualifiée d’aide, […] examine si cette aide est susceptible d’être justifiée au titre de l’article 106, paragraphe 2, TFUE ».
Le test de compatibilité se concentre sur la nécessité et la proportionnalité de l’aide par rapport à la mission de service public. Il s’agit de vérifier si l’application des règles de concurrence ferait échec à l’accomplissement de la mission et si le développement des échanges n’est pas affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union. Ce cadre d’analyse est plus souple que celui de la quatrième condition *Altmark*, car il ne s’agit plus de comparer les coûts à ceux d’une entreprise idéale, mais d’assurer que l’aide ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour permettre l’accomplissement de la mission dans des conditions économiquement acceptables.
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II. La portée d’une solution pragmatique pour le financement du service public
En validant une séparation stricte des deux niveaux d’analyse, la Cour de justice adopte une position qui, bien que critiquable du point de vue de sa cohérence systémique (A), renforce le pouvoir d’appréciation des États membres dans le financement de leurs services publics (B).
A. La critique d’une séparation potentiellement excessive des contrôles
L’argumentation de la société requérante, bien que rejetée, mettait en lumière une tension dans le raisonnement juridique. Elle suggérait que les principes de transparence et d’efficience, incarnés par les deuxième et quatrième conditions *Altmark*, devraient logiquement irriguer également l’appréciation de la proportionnalité d’une aide au titre de l’article 106, paragraphe 2. En effet, une aide accordée sans paramètres clairs ou excédant les coûts d’une gestion saine pourrait difficilement être considérée comme « nécessaire » à l’accomplissement de la mission de service public.
La solution de la Cour crée ainsi une dichotomie où un État membre peut échouer au test de l’efficience lors de la qualification de l’aide, pour ensuite voir cette même aide validée sans qu’il soit requis de démontrer que le respect de critères d’efficience aurait compromis la mission. Cette approche semble dissocier l’existence d’une mauvaise gestion de l’appréciation de la nécessité de la compensation financière qui en résulte, ce qui peut paraître contraire à une utilisation optimale des deniers publics et à une concurrence saine.
B. La confirmation du large pouvoir d’appréciation des États membres
Toutefois, la portée de l’arrêt réside principalement dans le pragmatisme dont il fait preuve à l’égard des spécificités du service public. En refusant d’importer la rigidité des critères *Altmark* dans l’examen de compatibilité, la Cour reconnaît implicitement que certaines missions d’intérêt général, notamment dans le domaine de la radiodiffusion publique, ne se prêtent pas aisément à une comparaison avec un modèle d’entreprise « moyenne et bien gérée ». Des objectifs culturels, éducatifs ou de pluralisme peuvent justifier des coûts que ne supporterait pas un opérateur purement commercial.
La Cour assoit sa décision en se référant au Protocole n° 29 sur le système de radiodiffusion publique, qui souligne que « les dispositions des traités sont sans préjudice de la compétence des États membres de pourvoir au financement du service public de radiodiffusion ». Ce faisant, elle confirme que les États membres disposent d’une marge d’appréciation considérable pour définir et organiser leurs services publics. L’aide est jugée nécessaire dès lors qu’elle permet à l’entreprise d’accomplir sa mission dans des conditions économiquement viables, consacrant ainsi une approche plus flexible et politique que purement économique du contrôle des aides d’État dans ce secteur.