Par un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les règles de compétence judiciaire en matière de contrats de concession commerciale internationale. En l’espèce, une société portugaise, agissant en qualité de concessionnaire, avait conclu verbalement un contrat de concession quasi-exclusive avec une société belge, le concédant, pour la distribution de produits sur le territoire espagnol. Suite à la résiliation unilatérale du contrat par le concédant, le concessionnaire l’a assigné devant le Tribunal de Comarca de Aveiro au Portugal, en vue d’obtenir une indemnisation pour rupture abusive et une indemnité de clientèle. Le concédant a soulevé une exception d’incompétence, invoquant une clause attributive de juridiction aux tribunaux belges, stipulée dans ses conditions générales de vente mentionnées sur les factures émises postérieurement à la conclusion du contrat verbal. Le tribunal portugais de première instance ayant rejeté cette exception, le concédant a interjeté appel devant le Tribunal da Relação do Porto. Cette juridiction, confrontée à l’incertitude quant à l’interprétation du règlement (UE) n° 1215/2012, a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si une clause attributive de juridiction insérée dans des conditions générales de vente mentionnées sur des factures satisfait aux exigences formelles de l’article 25 dudit règlement. D’autre part, en cas de réponse négative, il était demandé de clarifier, au regard de l’article 7, point 1, du même règlement, quel était le for compétent pour connaître d’un litige relatif à un contrat de concession commerciale exécuté sur le territoire d’un État membre par un concessionnaire établi dans un autre État membre, pour le compte d’un concédant sis dans un troisième État. La Cour de justice a répondu qu’une telle clause ne satisfait pas, en principe, aux exigences de forme de l’article 25. Elle a ajouté que le contrat de concession commerciale doit être qualifié de contrat de fourniture de services, dont le lieu d’exécution principal, critère de compétence, doit être déterminé par le juge national, à défaut duquel la compétence revient aux juridictions du domicile du prestataire.
L’analyse de la décision conduit à examiner la stricte appréciation par la Cour des conditions de validité d’une convention attributive de juridiction, réaffirmant la nécessité d’un consentement avéré (I). Par suite, il convient d’étudier la méthode de détermination de la compétence spéciale en matière de contrat de concession, que la Cour ancre dans la qualification de fourniture de services (II).
I. L’interprétation stricte des conditions de validité de la clause attributive de juridiction
La Cour de justice, en se prononçant sur la onzième question préjudicielle, adopte une approche rigoureuse quant aux exigences de l’article 25 du règlement, qui encadrent la validité des clauses attributives de juridiction. Elle subordonne l’efficacité d’une telle clause à la manifestation d’un consentement certain des parties (A), ce qui la conduit logiquement à écarter la validité d’une clause insérée unilatéralement dans des documents commerciaux postérieurs à la conclusion du contrat (B).
A. L’exigence d’un consentement clair et précis des parties
La Cour rappelle avec constance que les dispositions de l’article 25 du règlement, qui dérogent aux règles de compétence générales et spéciales, sont d’interprétation stricte. L’un des piliers de cette interprétation est la certitude du consentement des parties. La Cour souligne que le juge saisi a « l’obligation d’examiner, in limine litis, si la clause attributive de juridiction a effectivement fait l’objet d’un consentement entre les parties, qui doit se manifester d’une manière claire et précise ». Cette exigence a pour fonction de garantir que la prorogation de compétence ne soit pas le fruit d’une surprise ou d’une inadvertance de l’une des parties, particulièrement celle qui pourrait se voir attraite devant une juridiction qu’elle n’avait pas consciemment choisie. En l’espèce, le contrat de concession avait été conclu verbalement, sans qu’un écrit ne vienne le formaliser. La protection du consentement prend alors une acuité particulière, car l’absence de support contractuel unique et signé rend plus difficile la preuve d’un accord sur un élément aussi essentiel que le choix d’une juridiction.
B. L’inefficacité d’une clause insérée dans des factures unilatérales
Appliquant ce principe au cas d’espèce, la Cour examine si la mention des conditions générales de vente, contenant la clause litigieuse, sur les factures émises par le concédant, suffit à établir le consentement du concessionnaire. Sa réponse est négative. Elle s’appuie sur une jurisprudence antérieure selon laquelle une clause attributive de juridiction figurant dans des conditions générales n’est valide que si le contrat signé par les deux parties y fait un renvoi exprès. Or, dans la présente affaire, non seulement le contrat initial était verbal, mais les factures n’étaient que des documents d’exécution postérieurs et unilatéraux, émanant du seul concédant. Reconnaître la validité de la clause dans de telles circonstances reviendrait à admettre qu’une partie puisse imposer sa volonté à l’autre par le simple biais de ses documents comptables. Une telle solution porterait atteinte à la prévisibilité et à la sécurité juridique que le règlement vise à garantir. La Cour précise qu’il incombe néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier si la clause n’aurait pas été validée par une autre forme prévue à l’article 25, comme les habitudes établies entre les parties ou un usage du commerce international, bien que les faits soumis ne semblaient pas l’indiquer.
Écartant la compétence exclusive fondée sur une clause attributive de juridiction jugée inopérante, la Cour se tourne vers les règles de compétence spéciale de l’article 7 du règlement. Elle s’engage alors dans un exercice de qualification du contrat de concession pour déterminer le for compétent.
II. La qualification de fourniture de services au cœur de la détermination de la compétence spéciale
Pour déterminer la juridiction compétente en l’absence de clause valide, la Cour examine la nature du contrat de concession commerciale. Elle confirme que ce type de contrat relève de la catégorie des fournitures de services (A), ce qui la conduit à définir une méthode pragmatique pour localiser le lieu d’exécution principal de ces services, critère central de la compétence spéciale (B).
A. La confirmation du contrat de concession comme contrat de fourniture de services
La Cour devait déterminer si le contrat de concession relevait de la « vente de marchandises » ou de la « fourniture de services » au sens de l’article 7, point 1, sous b), du règlement. L’enjeu de cette qualification est majeur, car elle détermine le critère de rattachement : le lieu de livraison pour la vente, ou le lieu de fourniture pour les services. Se fondant sur sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Corman-Collins*, la Cour retient l’obligation caractéristique du contrat comme critère de qualification. Elle estime que dans un contrat de concession, l’obligation caractéristique n’est pas la simple livraison de marchandises, mais bien l’activité de distribution et de promotion assurée par le concessionnaire. Cette activité se matérialise par des « actes positifs » visant à développer la diffusion des produits du concédant. En contrepartie, le concessionnaire reçoit une « rémunération » qui ne se limite pas à un versement d’argent mais peut consister en des avantages concurrentiels, tels qu’une exclusivité ou une aide à la commercialisation. Par cette analyse, la Cour confirme qu’un contrat de concession, en raison de l’implication active du concessionnaire dans la stratégie commerciale du concédant, constitue bien une fourniture de services.
B. La détermination du lieu de la fourniture principale des services comme critère de compétence
Une fois le contrat qualifié de fourniture de services, il restait à déterminer le lieu d’exécution lorsque les services sont fournis dans plusieurs États membres. En l’espèce, le concessionnaire portugais développait son activité en Espagne. La Cour réitère ici la solution dégagée dans l’arrêt *Wood Floor Solutions*, selon laquelle le tribunal compétent est celui du « lieu de fourniture principale des services ». Cette notion pragmatique vise à identifier le lien de rattachement le plus étroit entre le contrat et une juridiction. Pour déterminer ce lieu, le juge national doit d’abord examiner les dispositions du contrat. À défaut, il doit se fonder sur l’exécution effective du contrat. Si, même sur cette base, le lieu principal ne peut être identifié, la compétence revient, à titre subsidiaire, à la juridiction du domicile du prestataire de services. La Cour offre ainsi une méthode en cascade, claire et prévisible, qui garantit qu’une solution juridictionnelle sera toujours trouvée. En l’espèce, il appartiendra donc au Tribunal da Relação do Porto de déterminer si l’activité principale du concessionnaire se situait en Espagne, lieu de la distribution, ou si, en l’absence de critère clair, la compétence devait revenir au Portugal, lieu du domicile du prestataire.