Cour de justice de l’Union européenne, le 8 novembre 2007, n°C-379/05

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel du Gerechtshof te Amsterdam, la Cour de Justice des Communautés européennes a précisé l’étendue de la libre circulation des capitaux en matière de fiscalité directe des dividendes. En l’espèce, une société établie au Portugal détenait une participation de quatorze pour cent dans le capital d’une société néerlandaise. Lors d’une distribution de bénéfices, les dividendes versés à l’actionnaire portugais ont subi une retenue à la source, tandis que ceux versés à un actionnaire résident des Pays-Bas, détenant une participation majoritaire, en étaient exonérés en application de la législation nationale. La société distributrice a introduit une réclamation au nom de son actionnaire portugais auprès des autorités fiscales néerlandaises, laquelle fut rejetée. Saisie du litige, la juridiction néerlandaise a interrogé la Cour sur la compatibilité de cette différence de traitement avec les articles 56 CE et 58 CE. Il s’agissait de déterminer si la libre circulation des capitaux s’opposait à une législation nationale qui, pour les participations ne relevant pas de la directive mère-filiale, exonère de retenue à la source les dividendes versés à un actionnaire résident tout en imposant ceux distribués à un actionnaire non-résident. La Cour a jugé qu’une telle réglementation constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, non justifiée par les dérogations prévues au traité.

La Cour consacre ainsi une interprétation extensive de la protection des investissements transfrontaliers en matière de dividendes (I), tout en neutralisant fermement les justifications avancées par les États membres pour maintenir des traitements fiscaux différenciés (II).

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I. La consécration d’une restriction de la liberté des capitaux par l’imposition discriminatoire des dividendes

La Cour de justice identifie une restriction à la libre circulation des capitaux en constatant d’abord l’existence d’un traitement fiscal défavorable fondé sur le lieu de résidence de l’actionnaire (A), puis en affirmant la comparabilité des situations entre actionnaires résidents et non-résidents au regard de l’objectif de la législation en cause (B).

A. La caractérisation d’un traitement désavantageux fondé sur la résidence de l’actionnaire

La législation néerlandaise en cause instaurait une distinction claire dans le traitement fiscal des dividendes. Les bénéfices distribués à une société actionnaire résidente des Pays-Bas étaient exonérés de retenue à la source, pour autant que la participation atteigne au moins cinq pour cent du capital. En revanche, une société actionnaire non-résidente ne pouvait bénéficier d’une telle exonération que si sa participation atteignait le seuil, bien plus élevé, prévu par la directive mère-filiale. Cette divergence de traitement aboutit à une charge fiscale supplémentaire pour l’investisseur étranger. La Cour relève que « les dividendes distribués aux sociétés non établies aux Pays-Bas sont imposés auprès de la société distributrice au titre de l’impôt sur les sociétés et auprès de la société bénéficiaire au titre de l’impôt sur les dividendes et subissent, de cette manière, une double imposition économique, tandis que pour les dividendes distribués aux sociétés établies aux Pays-Bas, une telle double imposition économique est prévenue ». Cette situation est de nature à rendre les investissements aux Pays-Bas moins attractifs pour les sociétés établies dans d’autres États membres, constituant une entrave prohibée par l’article 56 CE. La Cour affirme sans ambiguïté qu’un tel régime « est susceptible de dissuader les sociétés établies dans un autre État membre de procéder à des investissements aux Pays-Bas et constitue, par conséquent, une restriction à la libre circulation des capitaux ».

B. L’affirmation de la comparabilité objective des situations

Pour qu’une différence de traitement constitue une discrimination prohibée, elle doit affecter des situations objectivement comparables. Les gouvernements intervenant au soutien de la législation néerlandaise soutenaient que la situation d’un actionnaire résident, soumis à une obligation fiscale illimitée aux Pays-Bas, n’est pas comparable à celle d’un actionnaire non-résident, imposé uniquement sur ses revenus de source néerlandaise. La Cour écarte cet argument en se fondant sur la décision même de l’État membre d’imposer les non-résidents. Elle énonce que « à partir du moment où un État membre, de manière unilatérale ou par voie conventionnelle, assujettit à l’impôt sur le revenu non seulement les actionnaires résidents, mais également les actionnaires non-résidents, pour les dividendes qu’ils perçoivent d’une société résidente, la situation desdits actionnaires non-résidents se rapproche de celle des actionnaires résidents ». En choisissant d’exercer sa compétence fiscale sur les dividendes versés aux non-résidents, l’État de la source crée lui-même le risque de double imposition économique et place ces derniers dans une situation comparable à celle des résidents au regard de la nécessité de prévenir cette double imposition. L’État qui impose doit donc assurer un traitement équivalent et ne peut se prévaloir de la différence de résidence pour justifier une inégalité de traitement fiscal.

II. Le rejet des justifications de la restriction et de la pertinence des mécanismes compensatoires

Après avoir caractérisé la restriction, la Cour examine les justifications possibles et les rejette de manière systématique (A), avant de préciser que l’obligation de respecter le traité incombe à l’État de la source, indépendamment du traitement fiscal appliqué par l’État de résidence de l’actionnaire (B).

A. La réfutation des justifications tenant à la cohérence du système fiscal et à la répartition du pouvoir d’imposition

Le gouvernement néerlandais invoquait la nécessité de préserver la cohérence de son régime fiscal. Selon lui, l’exonération de la retenue à la source pour les résidents était le corollaire indispensable de l’exonération des participations au titre de l’impôt sur les sociétés. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une telle justification « exige que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé ». Or, ce lien direct n’existait pas en l’espèce, l’exonération accordée aux résidents n’étant pas compensée par un prélèvement spécifique. De même, la Cour écarte l’argument tiré de la nécessité de sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres. Elle juge que, dès lors qu’un État a choisi de ne pas imposer les revenus de participation perçus par ses propres résidents, il ne peut légitimement invoquer cet objectif pour justifier l’imposition des seuls non-résidents. En effet, la Cour estime que « dès lors qu’un État membre a choisi de ne pas imposer les sociétés bénéficiaires établies sur son territoire à l’égard de ce type de revenus, il ne saurait invoquer la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres afin de justifier l’imposition des sociétés bénéficiaires établies dans un autre État membre ».

B. La réaffirmation de l’obligation première de l’État de la source

La juridiction de renvoi demandait également si l’existence d’un crédit d’impôt dans l’État de résidence de l’actionnaire pouvait neutraliser la restriction imposée par l’État de la source. La Cour répond par la négative, affirmant le principe de l’autonomie des obligations de chaque État membre au regard du droit de l’Union. Un traitement fiscal défavorable contraire à une liberté fondamentale ne peut être justifié par l’existence d’un avantage accordé par un autre État membre. La Cour affirme que l’État de la source « ne saurait invoquer l’existence d’un avantage concédé de manière unilatérale par un autre État membre afin d’échapper aux obligations qui lui incombent en vertu du traité ». Si une convention fiscale bilatérale peut potentiellement remédier à la situation, il appartient à la juridiction nationale d’en vérifier la portée et l’effet neutralisant. En l’absence d’une telle neutralisation conventionnelle, l’État de la source reste seul tenu de mettre fin à la restriction qu’il a lui-même créée, consolidant ainsi la primauté de ses obligations découlant du traité sur les arrangements fiscaux unilatéraux ou bilatéraux.

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