Cour de justice de l’Union européenne, le 8 novembre 2012, n°C-342/10

Par un arrêt rendu le 8 novembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la libre circulation des capitaux en matière fiscale. La législation d’un État membre prévoyait une imposition effective sur les dividendes perçus par les organismes de retraite non-résidents tout en exonérant quasiment les fonds nationaux. Ces derniers pouvaient déduire de leur base imposable les montants affectés à la couverture de leurs engagements futurs, contrairement aux entités établies hors du territoire national. La requérante a introduit un recours en manquement, estimant que cette pratique constituait une discrimination contraire au fonctionnement du marché intérieur et aux accords économiques. Le problème juridique portait sur la possibilité pour un État de réserver un avantage fiscal lié aux provisions techniques aux seuls fonds de pension résidents. L’analyse de cette décision suppose d’étudier la caractérisation d’une restriction à la libre circulation des capitaux avant d’apprécier l’absence de justification de la discrimination fiscale.

**I. La caractérisation d’une restriction à la libre circulation des capitaux**

L’examen de la réglementation nationale révèle une disparité de traitement manifeste entre les organismes de placement selon leur résidence fiscale, entraînant un désavantage pour les investisseurs étrangers.

**A. L’existence d’un traitement fiscal désavantageux**

L’État membre en cause applique une retenue à la source sur les dividendes versés aux fonds non-résidents, tandis que les fonds résidents bénéficient de déductions spécifiques. La juridiction souligne que les résidents peuvent déduire les « montants provisionnés en vue de faire face à leurs engagements en matière de pensions », aboutissant à une exonération effective. Les dividendes perçus par les entités non-résidentes subissent une imposition réelle, sans aucune faculté de déduction pour ces mêmes engagements techniques directement liés à l’activité. Un tel dispositif est « de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements » dans l’État concerné, caractérisant une entrave aux mouvements de capitaux. Cette entrave est renforcée par la considération légale des provisions comme des dépenses nécessaires à l’acquisition ou à la conservation du revenu. La restriction constatée impose d’examiner si les mécanismes de correction conventionnelle permettent d’écarter l’existence d’une entrave au sens du droit de l’Union.

**B. L’insuffisance de la neutralisation par les conventions fiscales**

Des États intervenants soutenaient que les conventions bilatérales de prévention de la double imposition suffisaient à compenser le préjudice subi par les organismes de retraite non-résidents. Les juges rappellent qu’une convention doit permettre de « compenser les effets de la différence de traitement issue de la législation nationale » pour neutraliser la restriction constatée. La plupart des accords prévoyaient un taux d’imposition de 15 %, ce qui ne permettait pas d’annuler totalement la charge fiscale pesant sur les entités étrangères. La persistance d’une imposition confirme l’existence d’une restriction dès lors que les fonds nationaux demeurent, en pratique, totalement dispensés de toute contribution fiscale. L’existence de la restriction étant établie, il convenait alors pour la Cour d’analyser la comparabilité des situations ainsi que les éventuelles justifications avancées par le pays.

**II. L’absence de justification de la discrimination fiscale**

La validité du régime litigieux dépendait de la démonstration d’une différence objective entre les situations ou de la présence d’une raison impérieuse d’intérêt général.

**A. La comparabilité objective des fonds de pension**

L’État membre contestait la comparabilité des situations en affirmant que les provisions techniques ne constituaient pas des frais professionnels directement liés aux dividendes de source nationale. La Cour rejette cet argument en relevant que le législateur national a lui-même assimilé ces montants à des « dépenses […] exposées pour acquérir ou conserver le revenu ». Cette technique d’assimilation crée un lien direct et indissociable entre les réserves constituées pour les pensions futures et les revenus générés par les investissements du fonds. Dès lors que les fonds non-résidents poursuivent la même finalité d’accumulation de capitaux pour honorer leurs engagements, ils se trouvent dans une situation identique aux résidents. La différence de modalité de perception de l’impôt, entre retenue à la source et impôt sur les sociétés, ne saurait à elle seule justifier une telle distinction. Le constat de cette comparabilité objective oblige à vérifier si des motifs impérieux d’intérêt général peuvent légitimer le maintien d’une telle barrière.

**B. Le rejet des motifs de cohérence et de territorialité**

Le principe de territorialité a été invoqué pour limiter l’assiette fiscale des non-résidents aux seuls bénéfices et pertes provenant d’activités exercées sur le territoire national. Ce motif est écarté puisque le lien direct entre les dépenses et les revenus imposables découle de la structure même de la législation fiscale choisie. La nécessité de garantir la cohérence du système fiscal exige l’existence d’un « lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement ». L’État n’a pas démontré que l’avantage accordé aux résidents était compensé par une imposition ultérieure spécifique justifiant le traitement différencié des dividendes versés à l’étranger. L’arrêt conclut au manquement de l’État à ses obligations issues du traité, faute de pouvoir justifier une mesure portant atteinte à la liberté fondamentale de circulation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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