Par un arrêt rendu le 29 juin 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa septième chambre, s’est prononcée sur l’interprétation des dispositions de la directive 2006/112/CE relatives à l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux prestations de services de transport directement liées à des exportations de biens.
En l’espèce, une société intermédiaire dans le domaine du transport routier de marchandises s’est vu notifier un rappel de taxe sur la valeur ajoutée par l’administration fiscale de son État membre d’établissement. Ce redressement concernait sept prestations de transport effectuées vers des pays tiers, pour lesquelles la société avait appliqué une exonération de taxe. L’administration a motivé sa décision par le fait que l’assujettie n’avait pas fourni les déclarations en douane d’exportation, considérant ce document comme la preuve exclusive de la réalité des exportations. La société a contesté cet avis d’imposition devant les juridictions nationales, soutenant que d’autres documents en sa possession, notamment des carnets TIR dûment visés par les autorités douanières des pays de destination, ainsi que des documents de transport CMR, suffisaient à prouver que les biens avaient bien quitté le territoire de l’Union.
Saisi du litige, le Tribunalul Prahova (tribunal de grande instance de Prahova, Roumanie) a constaté que la législation nationale n’imposait pas explicitement la production d’un type de document unique pour justifier de l’exportation. Face à cette incertitude et à l’opposition entre la pratique administrative restrictive et les arguments de l’assujettie, la juridiction a décidé de surseoir à statuer. Elle a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait pour la Cour de déterminer si le droit de l’Union, en particulier les articles 146 et 153 de la directive TVA, s’oppose à ce qu’une administration nationale exige, comme preuve unique et indispensable de l’exportation, la production de la déclaration en douane, écartant ainsi toute autre preuve alternative telle que le carnet TIR.
À cette question, la Cour répond par l’affirmative, estimant qu’une telle pratique nationale est contraire aux principes de proportionnalité et de sécurité juridique. Elle juge que les autorités fiscales doivent procéder à un examen global de tous les éléments de preuve disponibles pour déterminer si l’exportation est établie avec un degré de vraisemblance suffisant. La Cour précise en outre qu’un carnet TIR visé par les douanes du pays de destination constitue un élément de preuve pertinent qui doit, en principe, être dûment pris en compte. Ainsi, la Cour censure une approche probatoire fondée sur un formalisme exclusif (I), pour consacrer une méthode d’appréciation matérielle des preuves de l’exportation (II).
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I. La censure d’une pratique probatoire excessivement formaliste
La Cour de justice fonde sa décision sur les principes directeurs du système commun de la TVA pour écarter l’exigence nationale. Elle considère que subordonner l’exonération à la seule production d’une déclaration en douane méconnaît tant le principe de proportionnalité, par la primauté qu’il accorde aux conditions de fond (A), que le principe de sécurité juridique, en raison du caractère imprévisible d’une telle exigence (B).
A. La primauté des conditions de fond au nom du principe de proportionnalité
La Cour rappelle avec constance que les exonérations, bien que d’interprétation stricte, visent des objectifs précis qui ne sauraient être entravés par des exigences formelles disproportionnées. L’exonération des prestations de services liées à l’exportation a pour finalité de respecter le principe de l’imposition au lieu de destination des biens. Pour que ce but soit atteint, la condition matérielle essentielle est que les biens aient effectivement quitté le territoire douanier de l’Union.
La Cour juge qu’une mesure nationale « va au-delà de ce qui est nécessaire afin d’assurer l’exacte perception de la taxe si elle subordonne, pour l’essentiel, le droit à l’exonération de la TVA au respect d’obligations formelles, sans que soient prises en compte les conditions de fond ». En l’occurrence, l’exigence exclusive de la déclaration en douane d’exportation constitue une telle obligation formelle. Le refus d’examiner d’autres documents probants empêche de vérifier si la condition de fond, à savoir la sortie effective des biens, est remplie. Or, le principe de neutralité fiscale commande que l’exonération soit accordée dès lors que les conditions de fond sont satisfaites, même si certaines formalités ont été omises. La Cour précise que le non-respect d’une exigence formelle ne peut entraîner la perte du droit à exonération que dans deux cas : la participation intentionnelle à une fraude fiscale ou l’impossibilité d’apporter la preuve certaine des exigences de fond. Aucun de ces cas n’étant caractérisé en l’espèce, la pratique fiscale nationale apparaît manifestement disproportionnée.
B. La sanction d’une pratique contraire au principe de sécurité juridique
Au-delà de la violation du principe de proportionnalité, la Cour sanctionne la pratique de l’administration fiscale au regard du principe de sécurité juridique. Ce principe fondamental du droit de l’Union exige que les règles de droit soient claires, précises et que leur application soit prévisible pour les justiciables, particulièrement lorsqu’elles entraînent des charges financières. Un assujetti doit pouvoir connaître avec exactitude l’étendue de ses obligations fiscales avant de conclure une transaction.
En l’espèce, la juridiction de renvoi soulignait elle-même que la réglementation nationale se contentait d’exiger des « documents d’où il ressort que les marchandises transportées ont été exportées », sans spécifier la nature exclusive de la déclaration en douane. La Cour en déduit que l’exigence de l’administration fiscale ne découlait pas clairement de la loi, mais d’une pratique administrative non prévisible pour l’opérateur économique. Subordonner le bénéfice de l’exonération à une condition probatoire qui n’est pas expressément prévue par les textes crée une insécurité juridique inacceptable. L’opérateur, tel que la société de transport, n’est d’ailleurs pas toujours le déclarant en douane et peut ne pas détenir ce document. Lui imposer une telle obligation de manière exclusive et a posteriori contrevient directement à l’exigence de prévisibilité des règles fiscales.
Après avoir invalidé la méthode probatoire fondée sur un formalisme exclusif, la Cour s’attache à définir les contours de l’approche matérielle qui doit lui être substituée.
II. La consécration d’une appréciation matérielle des preuves de l’exportation
La Cour ne se limite pas à censurer la pratique nationale ; elle guide les autorités compétentes sur la manière d’évaluer la preuve de l’exportation. Elle instaure une méthode fondée sur un examen global des éléments disponibles (A) et reconnaît, dans ce cadre, une valeur probante particulière au carnet TIR (B).
A. L’établissement d’un examen global fondé sur un degré de vraisemblance élevé
En rejetant l’exclusivité de la déclaration en douane comme moyen de preuve, la Cour impose aux autorités fiscales une démarche plus souple et pragmatique. Elle énonce qu’il leur incombe « d’examiner si la réalisation de la condition afférente à l’exportation des biens concernés peut être déduite avec un degré de vraisemblance suffisamment élevé de l’ensemble des éléments dont ces autorités sont à même de disposer ». Cette approche globale oblige l’administration à ne pas se limiter à un seul type de document, mais à analyser la convergence des preuves fournies par l’assujetti.
Ce faisant, la Cour transpose en matière de preuve de l’exportation une logique d’appréciation concrète déjà à l’œuvre dans d’autres domaines de la TVA. Le critère du « degré de vraisemblance suffisamment élevé » offre un équilibre entre la nécessité de prévenir la fraude et l’impératif de ne pas faire peser sur les opérateurs de bonne foi une charge probatoire excessive. L’administration ne peut donc se contenter de constater l’absence d’un document spécifique pour refuser l’exonération ; elle doit évaluer la force probante combinée des éléments qui lui sont soumis, tels que les documents de transport, les contrats, ou la correspondance commerciale.
B. La reconnaissance de la pertinence particulière du carnet TIR
Dans le cadre de cette appréciation globale, la Cour accorde une place privilégiée au carnet TIR. Elle souligne que ce document, régi par une convention internationale à laquelle l’Union et ses États membres sont parties, est un instrument officiel conçu pour faciliter et contrôler le transport international. Son fonctionnement même, qui implique un visa par les bureaux de douane de départ, de passage et de destination, lui confère une fiabilité intrinsèque.
Selon la Cour, un carnet TIR « dûment visé, notamment par les autorités douanières du pays tiers de destination, constitue un document officiel permettant, en principe, d’attester que les biens concernés ont […] fait l’objet d’un mouvement physique » vers ce pays. Ce document matérialise le passage de la frontière extérieure de l’Union et l’arrivée à destination, qui sont les éléments constitutifs de l’exportation. Par conséquent, il constitue un élément de preuve d’une « pertinence toute particulière » que les autorités fiscales doivent dûment prendre en compte. La Cour nuance cependant cette affirmation en précisant que cette valeur probante peut être écartée si les autorités ont des « raisons précises de douter de l’authenticité ou de la fiabilité de ce document ». En l’absence de tels doutes, le carnet TIR se présente comme une preuve quasi suffisante, dont le rejet par l’administration fiscale devrait être solidement motivé.