Par un arrêt de grande chambre rendu le 8 novembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’accès à la justice environnementale. Un constructeur automobile commercialisait des véhicules diesel dotés d’une vanne pour le recyclage des gaz d’échappement et d’un logiciel de gestion des émissions. Une mise à jour logicielle instaura ensuite une fenêtre de températures réduisant l’efficacité de la purification des gaz selon les conditions climatiques extérieures. Une association agréée pour la protection de la nature contesta l’autorisation accordée à ce nouveau paramétrage par l’autorité administrative nationale compétente. Le tribunal administratif de Schleswig-Holstein, saisi du litige le 24 avril 2018, interroge les magistrats européens sur la recevabilité du recours et la licéité du dispositif. La juridiction de renvoi souhaite savoir si une association peut attaquer une réception par type de véhicule en invoquant la violation des normes environnementales. Les juges doivent également déterminer si l’exception d’invalidation pour protection du moteur se limite aux dangers immédiats et à l’absence d’alternatives techniques. La Cour affirme que le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale empêchant une association agréée de contester une telle décision administrative. Elle précise qu’un dispositif d’invalidation ne se justifie que par la nécessité stricte d’éviter un danger concret sans autre solution technique possible. Cette décision consacre le droit de recours associatif tout en limitant les dérogations techniques aux normes d’émissions.
I. La consécration du droit de recours des associations de protection de l’environnement
A. L’inclusion des autorisations de produits dans le champ de la convention d’Aarhus
La Cour souligne d’abord qu’une décision de réception par type « relève du champ d’application matériel de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus ». Le règlement relatif aux émissions des véhicules légers vise à « garantir un niveau élevé de protection de l’environnement » par une réduction des gaz polluants. La base juridique liée au marché intérieur ne saurait occulter l’objectif environnemental prépondérant des dispositions techniques régissant la construction automobile. L’interdiction des dispositifs d’invalidation constitue une norme du droit de l’environnement dont le respect doit pouvoir être invoqué par les membres du public.
B. L’exigence d’une protection juridictionnelle effective des droits
Les États membres ne peuvent restreindre l’objet des recours associatifs en excluant arbitrairement certaines catégories d’actes administratifs du contrôle des juges nationaux. L’article 9 de la convention doit être interprété conjointement avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux pour assurer une « protection juridictionnelle effective ». Priver une organisation agréée de la possibilité de contester une homologation de produit viderait son droit de recours de son utilité et de sa substance. Le juge national a donc l’obligation d’écarter toute disposition de procédure interne faisant obstacle à la recevabilité d’une telle action en justice.
II. La restriction substantielle des exceptions à l’interdiction des dispositifs d’invalidation
A. Une interprétation restrictive de la notion de besoin technique
L’utilisation de dispositifs réduisant l’efficacité des systèmes de contrôle est interdite sauf si le besoin se justifie par la protection contre des dégâts ou accidents. Cette dérogation au principe de réduction des émissions « doit faire l’objet d’une interprétation stricte » afin de ne pas vider la norme de son sens. Le dispositif doit répondre au besoin d’éviter « les risques immédiats de dégâts ou d’accident au moteur » générant un « danger concret lors de la conduite ». Une fenêtre de températures fonctionnant durant la majeure partie de l’année constituerait une atteinte disproportionnée aux objectifs de qualité de l’air fixés.
B. L’indifférence des contraintes économiques des constructeurs
Le besoin d’un dispositif d’invalidation n’existe que si « aucune autre solution technique ne permet d’éviter des risques immédiats » lors de la conception du véhicule. Il incombe aux constructeurs de mettre en œuvre les technologies propres à respecter les valeurs limites d’émission tout au long de la vie normale des voitures. Les frais de recherche élevés ou les coûts de maintenance accrus pour l’utilisateur ne sauraient légitimer une dérogation à l’interdiction générale des dispositifs d’invalidation. La solution retenue confirme ainsi la prééminence des impératifs de santé publique sur les intérêts financiers et la compétitivité des acteurs industriels.