La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 8 octobre 2020, un arrêt relatif aux normes communes en matière de retour des ressortissants de pays tiers. Elle précise l’articulation entre une directive européenne et une réglementation nationale prévoyant soit une amende, soit l’éloignement en cas de séjour irrégulier. Un ressortissant étranger, entré régulièrement sur le territoire espagnol, s’y maintenait indûment malgré l’expiration de son titre de séjour depuis plusieurs années. L’administration a engagé une procédure d’éloignement, invoquant un prétendu manque de coopération, bien que l’intéressé ait démontré une intégration sociale réelle. Le tribunal administratif de Tolède a rejeté, par une première décision, le recours formé contre l’éloignement assorti d’une interdiction de territoire de cinq ans. La Cour supérieure de justice de Castille-La Manche, saisie de l’appel, a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice. Le droit de l’Union permet-il d’imposer l’éloignement d’un étranger en écartant une disposition nationale prévoyant seulement une amende sans facteurs aggravants ? La Cour de justice répond par la négative, interdisant à l’État d’invoquer une directive non transposée pour aggraver la situation d’un administré. L’analyse de cette décision suppose d’envisager l’impossibilité d’appliquer directement la directive au détriment du particulier (I), avant d’étudier les limites de l’interprétation conforme (II).
I. L’impossibilité d’une application directe de la directive au détriment du particulier
A. L’incompatibilité de la législation nationale avec les objectifs de la directive
La réglementation espagnole permettait de remplacer l’amende par l’éloignement uniquement en présence de circonstances aggravantes précises, selon le principe de proportionnalité. Cette dualité de sanctions exclusives est jugée contraire aux articles 6 et 8 de la directive imposant l’obligation de prendre une décision de retour. La Cour rappelle que cette réglementation nationale « est susceptible de faire échec à l’application des normes et des procédures communes établies par la directive ». L’absence de mesures d’éloignement systématiques nuit à l’effet utile du texte européen, lequel vise à instaurer une politique de retour efficace. Cette contrariété de la norme interne avec les objectifs de l’Union soulève alors la question de l’invocabilité directe de la directive.
B. Le rappel de l’interdiction de l’effet direct vertical descendant
L’administration souhaitait écarter le droit interne plus favorable pour appliquer directement l’obligation de retour prévue par les dispositions claires de la directive. Les juges rappellent toutefois qu’une directive « ne peut, par elle-même, créer des obligations pour un particulier » à l’encontre d’un État membre défaillant. Cette jurisprudence constante protège les citoyens contre l’invocation d’un acte européen non transposé qui viendrait aggraver leur responsabilité juridique ou pénale. L’État ne peut tirer avantage de sa propre carence en imposant une mesure d’éloignement là où sa loi ne prévoyait qu’une simple amende. L’impossibilité d’un effet direct descendant conduit toutefois à s’interroger sur l’étendue du pouvoir d’interprétation du juge national.
II. Les limites de l’obligation d’interprétation conforme du droit interne
A. La primauté du principe de légalité des peines sur l’effet utile
Le juge national doit interpréter son droit à la lumière de la directive, mais cette obligation rencontre des limites infranchissables dans les principes généraux. L’interprétation conforme ne saurait aboutir à une application de la règle européenne qui méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines. La Cour affirme qu’en l’absence de circonstances aggravantes, l’autorité nationale « ne peut se fonder directement sur les dispositions de cette directive » pour expulser. Cette solution consacre la supériorité des droits fondamentaux du particulier sur la nécessaire efficacité des politiques migratoires définies par les institutions européennes. Une telle limite aux pouvoirs de l’administration renvoie ainsi la responsabilité de la conformité du droit vers le législateur national.
B. La persistance d’une protection nationale plus favorable malgré le manquement étatique
Le maintien d’une législation nationale plus douce malgré un arrêt en manquement impose à l’État une réforme législative préalable à toute sanction aggravée. Les juridictions nationales doivent donc appliquer la loi interne plus favorable, même si celle-ci contrevient aux objectifs globaux de la directive retour. Cette décision souligne la responsabilité des États membres dans la transposition correcte des normes européennes sans pouvoir court-circuiter les procédures législatives internes. Le droit de l’Union privilégie ainsi la sécurité juridique des administrés face aux tentatives de l’administration de durcir les sanctions par voie jurisprudentielle.