Cour de justice de l’Union européenne, le 8 septembre 2005, n°C-191/03

Par un arrêt du 8 septembre 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours du principe d’égalité de rémunération entre travailleurs masculins et féminins face à la maladie liée à la grossesse. En l’espèce, une salariée employée par un organisme de santé public s’est trouvée en congé de maladie pour une pathologie liée à son état de grossesse. Son employeur a appliqué le régime de congé de maladie commun, lequel prévoyait le versement du salaire intégral pendant une période maximale de 183 jours par an, puis une rémunération réduite de moitié au-delà, dans la limite d’un plafond global sur quatre ans. Les jours d’absence de la salariée ont été imputés sur ce total, et sa rémunération a été réduite après l’épuisement de la période de rémunération intégrale.

La salariée a contesté cette décision, estimant avoir subi une discrimination. Une première autorité nationale lui a donné raison, mais l’employeur a formé un recours devant la juridiction supérieure, la Labour Court. Celle-ci, confrontée à une question d’interprétation du droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait pour la haute juridiction de déterminer si le principe d’égalité de rémunération, tel que prévu à l’article 141 du traité CE et par la directive 75/117/CEE, s’oppose à ce qu’un régime de congé de maladie traite une absence pour une pathologie liée à la grossesse de la même manière qu’une absence pour une maladie ordinaire, tant au regard de la réduction de la paie que de l’imputation des jours d’absence sur un droit global.

La Cour a répondu par la négative, considérant qu’un tel traitement identique ne constitue pas une discrimination fondée sur le sexe, mais a assorti cette solution de conditions strictes. D’une part, la travailleuse enceinte doit être traitée de la même manière qu’un travailleur masculin en arrêt maladie. D’autre part, le niveau de la prestation maintenue ne doit pas être si faible qu’il compromettrait l’objectif de protection de la maternité. De même, l’imputation des jours d’absence ne doit pas avoir pour conséquence de faire tomber la salariée, après son congé de maternité, sous le seuil de protection minimal qui lui était garanti durant sa grossesse.

La solution de la Cour, qui valide le principe d’un traitement unifié des absences pour maladie tout en l’encadrant, repose sur une distinction claire entre la protection de la grossesse et le régime de la maladie (I). Cette approche pragmatique conduit à fixer des conditions précises à l’application d’un régime général, dessinant ainsi une protection conditionnelle mais effective pour la travailleuse enceinte (II).

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I. La consécration d’un traitement unifié des absences pour maladie au nom du principe de non-discrimination

La Cour de justice affirme d’abord que le régime de congé de maladie relève bien du principe d’égalité de rémunération, ce qui en justifie l’analyse (A). Elle refuse cependant d’assimiler l’incapacité de travail liée à la grossesse à un état protégé qui imposerait, en toutes circonstances, le maintien intégral du salaire, la distinguant ainsi d’une maladie ordinaire (B).

A. L’assujettissement des indemnités de congé de maladie au principe d’égalité de rémunération

La Cour rappelle avec force que les prestations versées par un employeur durant un congé de maladie constituent une forme de rémunération au sens de l’article 141 du traité CE. Elle établit que « un régime de congé de maladie qui traite de manière identique les travailleurs féminins souffrant d’une maladie liée à une grossesse et les autres travailleurs atteints d’une maladie étrangère à un état de grossesse relève du champ d’application de l’article 141 ce et de la directive 75/117 ». Ce faisant, elle confirme sa jurisprudence antérieure selon laquelle la notion de rémunération englobe tous les avantages, en espèces ou en nature, versés directement ou indirectement par l’employeur en raison de l’emploi.

Cette qualification est déterminante, car elle soumet l’ensemble du régime litigieux au contrôle du principe de non-discrimination entre travailleurs masculins et féminins. La Cour écarte ainsi une analyse sous l’angle des conditions de travail régies par la directive 76/207/CEE, pour se concentrer sur l’aspect pécuniaire de la situation. Le litige porte en effet sur une réduction de salaire et l’épuisement d’un droit à rémunération, conséquences directes et automatiques d’un décompte de jours d’absence. En qualifiant le régime de rémunération, la Cour se donne les moyens d’examiner si le traitement identique appliqué à des situations apparemment différentes ne dissimule pas une discrimination indirecte.

B. Le refus de principe d’un statut dérogatoire pour la maladie liée à la grossesse

Bien que la Cour reconnaisse « la spécificité de cet état » pour les troubles liés à la grossesse, elle se garde de leur conférer un statut d’exception absolue qui les soustrairait au régime général de la maladie. Elle opère une distinction fondamentale : si la grossesse elle-même n’est pas une maladie et justifie une protection spécifique, notamment contre le licenciement, l’incapacité de travail qui peut en résulter relève des « risques inhérents à l’état de grossesse ». Or, la survenance d’un risque ne crée pas automatiquement un droit au maintien intégral de la rémunération, surtout lorsque les travailleurs masculins, atteints d’autres pathologies, ne bénéficient pas d’un tel droit.

La Cour considère qu’un traitement identique n’est pas en soi discriminatoire. Le véritable comparateur n’est pas une femme en bonne santé et une femme malade, mais la femme enceinte en incapacité de travail et un homme dans une situation d’incapacité de travail de même durée. Dès lors que le régime de congé de maladie leur applique les mêmes règles de réduction de salaire et de décompte des jours, il n’y a pas, a priori, de discrimination directe ou indirecte. Cette position s’inscrit dans une logique de cohérence avec sa jurisprudence antérieure, qui admet déjà une absence de maintien intégral du salaire durant le congé de maternité lui-même. Valider un traitement unifié préserve ainsi une certaine symétrie dans le système de protection.

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II. L’encadrement du traitement unifié par des garanties de protection effectives

La Cour ne se contente pas de valider le principe d’un régime unique ; elle en subordonne la légalité au respect de conditions strictes visant à préserver l’objectif de protection de la santé de la travailleuse. Ces garanties concernent tant le niveau de la rémunération maintenue (A) que les effets futurs de l’imputation des jours d’absence (B).

A. La condition d’une prestation adéquate lors de la réduction de la rémunération

La Cour de justice transpose la logique de protection appliquée au congé de maternité à la période de maladie qui le précède. Elle énonce qu’une réduction de la rémunération est possible, « à condition que, d’une part, le travailleur féminin soit traité de la même façon qu’un travailleur masculin absent pour cause de maladie et que, d’autre part, le montant des prestations versées ne soit pas minime au point de mettre en cause l’objectif de protection des travailleuses enceintes ». La première condition réaffirme l’exigence d’une comparaison avec le travailleur masculin. La seconde constitue une limite matérielle essentielle.

Ce faisant, la Cour introduit un plancher de protection. Elle ne définit pas ce qu’est un montant « non minime », laissant une marge d’appréciation à la juridiction nationale, mais le critère téléologique est clair : la prestation doit être suffisante pour permettre à la salariée de se reposer sans subir une pression financière qui pourrait nuire à sa santé ou à celle de l’enfant à naître. Il ne s’agit plus seulement d’une égalité formelle, mais d’une égalité réelle qui tient compte de la vulnérabilité particulière de la femme enceinte. La Cour cherche un équilibre entre le droit de l’employeur à gérer les absences et l’impératif de santé publique lié à la maternité.

B. La limitation des effets de l’imputation des droits à congé de maladie

La Cour applique un raisonnement similaire à la question de l’imputation des absences sur le droit global à congé maladie. Elle admet qu’un tel décompte est possible et ne heurte pas en soi le droit communautaire. Cependant, elle y met une condition prospective cruciale : « l’imputation des absences pour cause de maladie liée à une grossesse n’ait pas pour effet que, pendant l’absence affectée par cette imputation postérieurement au congé de maternité, le travailleur féminin perçoive des prestations inférieures au montant minimal auquel il avait droit au cours de la maladie survenue pendant sa grossesse ».

Cette garantie vise à empêcher qu’une salariée, ayant épuisé une part substantielle de ses droits à congé maladie en raison de sa grossesse, se retrouve dans une situation de précarité excessive lors d’une maladie ultérieure. La protection accordée durant la grossesse établit un seuil minimal de prestation qui ne peut être franchi à la baisse pour les absences postérieures qui seraient affectées par le décompte initial. La Cour reconnaît ainsi que la spécificité de la grossesse peut avoir des conséquences à long terme sur les droits sociaux de la femme. Elle impose donc à l’employeur, et par extension au législateur national, de prévoir des « dispositions spéciales » pour neutraliser cet effet pervers, assurant une protection qui s’étend au-delà de la seule période de grossesse.

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