Cour de justice de l’Union européenne, le 8 septembre 2020, n°C-119/19

Par un arrêt rendu en grande chambre le 8 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée du droit fondamental au congé annuel payé pour les fonctionnaires et agents de l’Union. En l’espèce, plusieurs fonctionnaires et agents affectés dans des pays tiers contestaient la légalité des décisions individuelles appliquant une modification de leur statut. Cette modification, issue d’un règlement du législateur de l’Union, réduisait progressivement le nombre de leurs jours de congé annuel, qui était historiquement plus élevé que celui du personnel en poste sur le territoire de l’Union. Saisi en première instance, le Tribunal de l’Union européenne avait annulé ces décisions. Il avait estimé que la réduction significative des jours de congé, même si le solde restait supérieur au minimum légal, portait atteinte à la nature et à la finalité du droit au congé annuel, qui tend à l’amélioration des conditions de travail. Les institutions de l’Union ont alors formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour de justice. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si le législateur de l’Union peut réduire la durée des congés annuels accordés à son personnel et dans quelle mesure une telle modification est encadrée par le droit fondamental à un congé annuel payé, tel que garanti par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, considérant que le législateur dispose d’une marge d’appréciation pour modifier le statut de son personnel, y compris de manière moins favorable, tant que le droit octroyé respecte les prescriptions minimales du droit de l’Union. En conséquence, la Cour a annulé l’arrêt du Tribunal et rejeté le recours initial des agents.

Le raisonnement de la Cour clarifie la hiérarchie des normes et la marge d’appréciation du législateur de l’Union, en distinguant nettement le principe fondamental de sa mise en œuvre concrète. Cette approche réaffirme la primauté des seuils minimaux définis par le droit dérivé comme critère principal du contrôle de légalité, au détriment d’une interprétation plus téléologique qui tendrait vers une protection sociale progressive. Il convient donc d’analyser la consécration d’une conception formelle du droit au congé annuel (I), qui a pour corollaire de limiter de manière significative la portée du contrôle exercé par le juge sur les choix du législateur (II).

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I. La consécration d’une conception formelle du droit au congé annuel

La Cour de justice opère une distinction claire entre le principe fondamental du droit au congé, qui s’impose au législateur, et sa mise en œuvre normative, qui relève de la compétence de ce dernier (A). Ce faisant, elle écarte l’idée d’un principe de non-régression qui aurait pu être déduit de la finalité de ce droit (B).

A. La dissociation entre le principe fondamental et sa concrétisation normative

La Cour rappelle que si l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux consacre le droit de tout travailleur à une période de congés annuels payés, il n’en fixe pas lui-même la durée. Ce droit fondamental nécessite donc une précision par la loi. Pour interpréter sa portée, la Cour se réfère, conformément aux explications relatives à la Charte, à la directive 2003/88/CE. Elle précise cependant que seule la substance de ce droit, telle que concrétisée par l’article 7 de cette directive, constitue la référence pertinente. Cet article garantit à tout travailleur un congé payé d’au moins quatre semaines.

Dès lors, le contrôle de la Cour se limite à vérifier que la norme adoptée par le législateur respecte ce plancher minimal. En l’espèce, le nouveau régime de congés, bien que réduisant le nombre de jours de 42 à un régime de base de 24 jours, reste supérieur à ce seuil de quatre semaines, soit vingt jours ouvrables. La Cour en déduit qu’une telle disposition ne saurait, par nature, constituer une atteinte au droit fondamental. Comme elle le souligne, « ne saurait être considérée comme constituant une atteinte au droit fondamental au congé annuel payé une disposition du droit de l’Union qui, à l’instar du nouvel article 6 de l’annexe X du statut, assure à des travailleurs un droit au congé annuel payé d’une durée supérieure aux quatre semaines minimales prévues à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 ». Le respect de ce minimum suffit à satisfaire la double finalité du droit au congé : permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisir.

B. Le rejet d’un principe implicite de non-régression sociale

En validant une modification statutaire qui réduit un avantage social, la Cour de justice écarte l’approche du Tribunal qui avait vu dans la finalité du droit au congé, tendant à « favoriser l’amélioration des conditions de vie et de travail », une limite à la compétence du législateur. La Cour reconnaît certes cette finalité, mais considère qu’elle n’implique pas une interdiction de toute régression. Elle rappelle que le lien entre les fonctionnaires et l’administration est de nature statutaire et non contractuelle, ce qui autorise le législateur à modifier à tout moment leurs droits et obligations.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui confère au législateur une large marge d’appréciation pour adapter les conditions de travail de son personnel, y compris de manière moins favorable, pour des motifs d’intérêt général. En l’espèce, les modifications statutaires étaient justifiées par des objectifs de modernisation et de maîtrise des coûts. En refusant de consacrer un principe de non-régression, même implicite, la Cour préserve la capacité des institutions à réformer l’administration publique de l’Union. L’arrêt affirme ainsi qu’une fois le seuil minimal de protection garanti, le législateur reste libre de ses choix quant au niveau de protection qu’il accorde au-delà de ce seuil.

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II. La portée circonscrite du contrôle juridictionnel sur les choix du législateur

La Cour de justice, en se fondant sur une approche formaliste, limite son contrôle à la seule conformité avec les prescriptions minimales (A). Par conséquent, elle juge que les autres arguments tirés de la situation spécifique des agents ou de leurs droits fondamentaux ne sont pas opérants pour remettre en cause la légalité de la réforme (B).

A. Un contrôle de légalité cantonné au respect des prescriptions minimales

L’arrêt illustre une forme de déférence judiciaire envers les choix du législateur de l’Union agissant dans le cadre de sa compétence d’organisation de la fonction publique. La Cour se refuse à substituer son appréciation à celle du législateur quant à l’opportunité d’une réduction du nombre de jours de congé. Le seul critère mobilisé pour évaluer la violation de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte est arithmétique : le nombre de jours de congé octroyés est-il supérieur au minimum de quatre semaines ?

Cette approche restreint considérablement le contrôle de proportionnalité. Le Tribunal avait jugé la réduction « démesurée » au regard de l’objectif de protection de la santé et de la sécurité. La Cour, au contraire, estime que le respect du seuil minimal suffit à garantir cette protection. Elle ne procède pas à une mise en balance approfondie entre les objectifs d’économies budgétaires et la situation particulière des agents affectés dans des pays tiers. Le contrôle se borne à une simple vérification formelle, laissant au législateur le soin d’effectuer les arbitrages politiques et sociaux nécessaires.

B. Le caractère inopérant des autres atteintes alléguées

Le caractère limité de ce contrôle se manifeste également dans le rejet des autres moyens soulevés par les requérants. Concernant la prétendue rupture d’égalité de traitement avec le personnel resté dans l’Union, la Cour estime que les situations ne sont pas identiques et que des dispositifs spécifiques, comme le congé de détente, existent pour compenser la pénibilité des conditions de vie dans les pays tiers. Elle écarte ainsi l’idée que le seul alignement du nombre de jours de congé créerait une inégalité.

De même, l’argument tiré de la violation du droit au respect de la vie privée et familiale est rejeté. La Cour considère que le statut contient d’autres dispositions qui prennent en compte la situation familiale, telles que les frais de voyage ou les indemnités de logement. Elle refuse d’isoler la seule question des jours de congé de l’ensemble des avantages et contraintes liés à une affectation en pays tiers. En somme, la Cour juge que la légalité d’une réforme du statut doit s’apprécier globalement et non au travers de la seule modification d’un de ses éléments, dès lors que les garanties fondamentales minimales sont assurées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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