Par l’arrêt commenté, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’étendue du droit à une rémunération équitable et unique reconnu aux artistes interprètes ou exécutants et aux producteurs de phonogrammes. En l’espèce, un litige opposait une société de gestion collective des droits voisins à des artistes et producteurs, portant sur les conditions de répartition de la rémunération perçue lors de la diffusion de phonogrammes publiés à des fins de commerce. La difficulté principale résidait dans le traitement des artistes ressortissants d’États n’appartenant pas à l’Espace économique européen, ainsi que dans les modalités de partage de cette rémunération. Le juge national, confronté à une question d’interprétation de la directive 2006/115/CE, a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles.
Il était demandé à la Cour si le droit de l’Union permettait à un État membre d’exclure du bénéfice de la rémunération équitable les artistes qui ne sont pas ressortissants d’un État de l’Espace économique européen. La juridiction de renvoi s’interrogeait également sur l’incidence des réserves émises par des États tiers au titre du traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, et sur la possibilité pour la législation nationale de n’attribuer la rémunération qu’au seul producteur. La Cour de justice de l’Union européenne répond que la directive s’oppose à une exclusion fondée sur la nationalité, que les réserves émises par les États tiers n’ont pas d’effet direct en droit de l’Union pour limiter ce droit, et que le partage de la rémunération entre l’artiste et le producteur est impératif. La solution retenue par la Cour renforce ainsi la protection des artistes interprètes en clarifiant l’étendue des bénéficiaires du droit à rémunération (I), avant de consacrer le caractère indivisible et autonome de ce droit au sein de l’ordre juridique de l’Union (II).
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I. L’interprétation extensive des bénéficiaires du droit à rémunération
La Cour de justice adopte une lecture large de la directive, d’une part en rejetant une vision restrictive des artistes concernés par le droit à rémunération (A), et d’autre part en réaffirmant le principe de non-discrimination en fonction de la nationalité (B).
A. Le rejet d’une conception restrictive des artistes éligibles
La Cour était interrogée sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’une législation nationale qui restreint le bénéfice de la rémunération équitable aux seuls artistes ressortissants de l’Espace économique européen, ou à ceux dont la contribution a été réalisée sur ce territoire. Elle y répond par la négative, en jugeant que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 « s’oppose à ce qu’un État membre exclue […] les artistes ressortissants d’États tiers à l’Espace économique européen ». Cette solution repose sur une interprétation combinée de la directive et du traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT), auquel l’Union est partie.
En se référant à cet instrument international, la Cour souligne que le principe du traitement national constitue la pierre angulaire du système de protection des droits voisins. Exclure des artistes du bénéfice de la rémunération équitable au seul motif de leur nationalité extra-communautaire reviendrait à vider de sa substance l’objectif de la directive, qui est d’assurer un niveau de protection élevé et harmonisé. La décision précise ainsi que la notion d’« artistes interprètes ou exécutants […] concernés » ne saurait faire l’objet d’une interprétation restrictive qui créerait une discrimination non prévue par les textes.
B. La confirmation du principe de non-discrimination
Au-delà de la seule interprétation textuelle, la décision affirme avec force un principe fondamental du droit de la propriété intellectuelle. En refusant qu’un État membre puisse instaurer une discrimination fondée sur la nationalité, la Cour garantit l’application uniforme du droit de l’Union et prévient le risque d’un morcellement de la protection au sein du marché intérieur. Une solution contraire aurait permis à chaque État membre de définir ses propres critères d’éligibilité, compromettant ainsi l’harmonisation recherchée par le législateur de l’Union.
Cette approche revêt une portée pratique considérable pour les organismes de gestion collective, qui opèrent dans un contexte international et doivent pouvoir répartir les sommes perçues sans avoir à tenir compte d’une multitude de règles nationales divergentes. La Cour consolide ainsi un système où la protection est attachée à la prestation artistique elle-même, et non à la nationalité de celui qui l’a réalisée, ce qui correspond à la logique profonde des droits voisins du droit d’auteur.
II. L’autonomie et l’indivisibilité du droit à rémunération dans l’ordre juridique de l’Union
Après avoir clarifié le champ d’application personnel du droit, la Cour s’attache à son régime juridique, en soulignant d’une part l’indifférence des réserves internationales sur le droit de l’Union (A), et d’autre part le caractère impératif du partage de la rémunération (B).
A. L’inefficacité des réserves internationales pour limiter le droit de l’Union
La Cour se devait de répondre à l’argument selon lequel les réserves formulées par des États tiers au traité de l’OMPI, en application de son article 15, paragraphe 3, pourraient justifier une limitation des droits des ressortissants de ces États dans l’Union, sur la base de la réciprocité. La Cour l’écarte fermement, en affirmant que de telles réserves « ne conduisent pas, dans l’Union européenne, à des limitations du droit prévu à cet article 8, paragraphe 2 ». Elle ajoute que de telles limitations ne pourraient être introduites que par le législateur de l’Union lui-même, dans le respect des droits fondamentaux.
Cette position illustre de manière classique l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union. Si les traités internationaux lient l’Union, les modalités de leur mise en œuvre relèvent de ses propres règles et principes. Permettre à chaque État membre d’appliquer unilatéralement un principe de réciprocité en réaction aux réserves d’États tiers introduirait une hétérogénéité contraire aux objectifs du marché intérieur. La Cour réaffirme ainsi que l’application uniforme du droit de l’Union prime, et que toute restriction aux droits garantis par une directive doit être explicitement prévue par le droit de l’Union lui-même.
B. Le caractère impératif du partage de la rémunération
Enfin, la Cour tranche la question de la répartition de la rémunération entre l’artiste interprète ou exécutant et le producteur du phonogramme. Elle juge que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 « s’oppose à ce que le droit à une rémunération équitable et unique qui y est prévu soit limité de manière à ce que seul le producteur du phonogramme concerné perçoive une rémunération, sans la partager avec l’artiste interprète ou exécutant ». Cette clarification était essentielle pour garantir l’effectivité du droit reconnu à l’artiste.
Le caractère « unique » de la rémunération s’entend de la collecte d’un paiement unique auprès de l’utilisateur, mais n’implique nullement l’existence d’un bénéficiaire unique. La Cour rappelle que le texte de la directive vise conjointement les artistes et les producteurs, qui doivent donc tous deux bénéficier du produit de l’exploitation de l’œuvre. En consacrant le caractère impératif du partage, la Cour protège la partie souvent la plus faible économiquement dans la relation contractuelle, et assure que la rémunération remplit bien sa fonction d’assurer un revenu à l’artiste pour l’utilisation de sa prestation.