Cour de justice de l’Union européenne, le 8 septembre 2020, n°C-265/19

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 8 septembre 2020, une décision essentielle relative à la rémunération des artistes interprètes et des producteurs. Cette affaire concerne l’interprétation de la directive 2006/115/CE à la lumière du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les interprétations et les phonogrammes. Un litige opposait deux entités de gestion collective sur les critères d’éligibilité à la rémunération perçue lors de la diffusion publique de divers enregistrements sonores.

La High Court (Irlande) a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle par une ordonnance datée du 29 mars 2019. Elle cherchait à déterminer si un État membre peut restreindre ce droit aux seuls ressortissants de l’Espace économique européen. Elle interrogeait également la juridiction européenne sur la validité d’une pratique réservant la totalité de la rémunération au seul producteur du phonogramme concerné.

La question de droit porte sur l’autonomie des États membres pour limiter le champ d’application personnel du droit à une rémunération équitable et unique. Le juge européen affirme que la directive s’oppose à l’exclusion des artistes étrangers et impose un partage effectif de la rémunération entre les différents ayants droit. L’examen de cette solution conduit à analyser l’universalité du droit à rémunération avant d’étudier le régime strict des limitations autorisées.

I. La reconnaissance d’un droit universel à la rémunération équitable

A. L’interdiction d’une exclusion fondée sur la nationalité

La Cour précise que l’article 8 de la directive doit s’interpréter conformément aux engagements internationaux souscrits par l’Union européenne dans le domaine de la propriété intellectuelle. Les juges considèrent que les dispositions européennes s’opposent à ce qu’un État exclue les artistes ressortissants d’États tiers du bénéfice de la protection légale prévue. Une telle restriction ne saurait se justifier par le seul fait que l’artiste n’a ni domicile ni résidence habituelle au sein de l’Espace économique européen.

Le texte communautaire désigne les « artistes interprètes ou exécutants […] concernés » sans opérer de distinction explicite fondée sur l’origine géographique ou le lieu de réalisation. Cette interprétation extensive garantit une protection uniforme des créateurs indépendamment des frontières nationales afin de préserver l’intégrité du marché intérieur de la culture. La solution retenue assure ainsi une application cohérente des droits voisins tout en respectant les principes fondamentaux de non-discrimination en vigueur dans l’Union.

B. L’obligation impérative de partage entre producteurs et artistes

Le juge européen examine ensuite les modalités de perception de la rémunération unique prévue pour l’utilisation publique des enregistrements sonores dans les différents États membres. La décision énonce que le droit en cause « s’oppose à ce que le droit à une rémunération équitable et unique […] soit limité de manière à ce que seul le producteur […] perçoive une rémunération ». Il appartient donc aux bénéficiaires de partager cette somme avec l’artiste interprète ou exécutant ayant apporté sa contribution créative au phonogramme.

Cette règle interdit toute appropriation exclusive des redevances par le producteur au détriment des artistes ayant participé activement à la fixation sonore de l’œuvre. Le mécanisme de la rémunération équitable repose sur une solidarité économique entre les différents contributeurs dont l’activité génère la valeur de l’enregistrement exploité. La protection accordée par la directive assure ainsi aux exécutants une juste contrepartie pour l’usage public de leur travail par les diffuseurs de musique.

II. Le monopole de l’Union sur la limitation des droits protégés

A. L’absence d’effet automatique des réserves internationales

La Cour aborde la question de l’incidence des réserves notifiées par des États tiers au traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les phonogrammes. Ces réserves internationales « ne conduisent pas, dans l’Union européenne, à des limitations du droit prévu » par la directive à l’égard des ressortissants de ces pays. Le juge souligne que le traité n’autorise pas les États membres à appliquer un principe de réciprocité de manière autonome ou purement discrétionnaire.

Une telle approche fragmentée risquerait de compromettre l’harmonisation des droits de propriété intellectuelle recherchée par le législateur européen lors de l’adoption du texte. Le respect des engagements internationaux de l’Union ne permet pas de déroger aux règles communes sans une intervention législative préalable et parfaitement explicite. La stabilité du cadre juridique européen impose une gestion centralisée des relations avec les pays tiers pour éviter toute rupture d’égalité entre les opérateurs.

B. La compétence exclusive du législateur européen pour restreindre les droits

Seul le législateur de l’Union dispose de la compétence nécessaire pour introduire des restrictions aux droits garantis par les dispositions impératives de la directive. Ces éventuelles limitations doivent impérativement respecter les exigences fixées par l’article 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pour être valides. Toute atteinte au droit de propriété doit être prévue par la loi et respecter le principe de proportionnalité pour être jugée légitime.

Les États membres ne peuvent donc pas modifier unilatéralement l’étendue de la protection accordée par le droit dérivé sous couvert de pratiques diplomatiques internationales. La primauté du droit de l’Union assure que toute dérogation aux libertés fondamentales soit strictement encadrée par les institutions européennes et soumise à leur contrôle. Cette décision renforce ainsi la sécurité juridique pour l’ensemble des acteurs de l’industrie musicale en stabilisant le cadre normatif applicable aux exploitations sonores.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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