Cour de justice de l’Union européenne, le 8 septembre 2022, n°C-263/21

Par un arrêt dont la date n’est pas précisée, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser les conditions de compatibilité d’un système national de gestion de la compensation pour copie privée avec le droit de l’Union. En l’espèce, un litige est né au sujet d’une réglementation nationale confiant la gestion des exemptions et des remboursements de cette compensation à une personne morale spécifique. Cette entité était notamment établie et contrôlée par les organismes de gestion collective des droits de propriété intellectuelle, qui sont les bénéficiaires finaux de ladite compensation. Une telle situation soulevait des interrogations quant à l’impartialité du mécanisme mis en place pour exempter les usagers professionnels, qui ne sont en principe pas redevables.

Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction nationale, probablement espagnole au vu de la langue de procédure, la Cour de justice a été amenée à examiner la conformité de ce dispositif au regard de la directive 2001/29/CE sur le droit d’auteur et du principe d’égalité de traitement. La question posée était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si le droit de l’Union s’oppose à ce qu’un État membre délègue la gestion des exemptions de la redevance pour copie privée à une entité émanant directement des organismes percevant cette même redevance. D’autre part, la Cour devait se prononcer sur la légalité des pouvoirs d’investigation accordés à cette entité pour vérifier le bien-fondé des demandes d’exemption, y compris l’accès à des informations protégées par le secret des affaires.

La Cour de justice de l’Union européenne répond par la négative à ces deux questions, mais assortit sa décision de conditions strictes. Elle estime que la directive 2001/29/CE et le principe d’égalité de traitement ne font pas obstacle à une telle réglementation nationale, pourvu que le système offre des garanties suffisantes d’objectivité et d’équité. De même, elle valide le pouvoir de contrôle de l’entité gestionnaire, à condition que celui-ci soit encadré par une obligation de confidentialité. La Cour valide ainsi un modèle de gestion pragmatique (I), tout en le soumettant à des garanties rigoureuses destinées à prévenir les conflits d’intérêts (II).

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I. La validation d’un modèle de gestion déléguée sous l’empire du droit de l’Union

La décision de la Cour de justice reconnaît la marge de manœuvre des États membres dans l’organisation de la compensation pour copie privée, validant le principe d’une délégation à une entité privée (A), tout en la conditionnant à l’existence de mécanismes assurant un traitement impartial des demandes (B).

A. La compatibilité du mandat de gestion avec la directive sur le droit d’auteur

La Cour considère que la directive 2001/29/CE, qui harmonise le régime de la copie privée, ne régit pas les modalités procédurales de mise en œuvre des exemptions. En l’absence de règles européennes spécifiques sur l’identité ou la nature de l’organisme chargé des remboursements, les États membres conservent leur autonomie pour organiser ce système. La délégation de cette mission à une personne morale, même si elle est contrôlée par les sociétés de perception et de répartition des droits, n’est donc pas en soi contraire au droit de l’Union. Cette approche pragmatique reconnaît que les organismes de gestion collective disposent de l’expertise et de l’infrastructure nécessaires pour administrer un tel dispositif de manière efficace.

Cette latitude laissée aux États membres n’est cependant pas sans limites. La Cour rappelle que l’objectif de l’exception pour copie privée est de compenser les titulaires de droits pour les reproductions réalisées par des personnes physiques à des fins privées. En corollaire, les acquisitions à des fins professionnelles doivent être exclues du champ de la redevance. Le système de remboursement doit donc fonctionner de manière à ne pas soumettre indûment les professionnels à cette charge, ce qui impose d’examiner la neutralité de l’entité gestionnaire.

B. L’encadrement de la délégation par des garanties d’objectivité et de contrôle

Pour que le système soit compatible avec le droit de l’Union, la Cour exige la mise en place de garde-fous stricts. Elle précise que la réglementation nationale doit assurer que « les certificats d’exemption et les remboursements doivent être octroyés en temps utile et en application de critères objectifs ». Cette exigence vise à neutraliser le conflit d’intérêts potentiel de l’entité gestionnaire. Celle-ci ne doit disposer d’aucune marge d’appréciation discrétionnaire qui lui permettrait de refuser une demande fondée.

En outre, la Cour souligne l’importance capitale d’une voie de recours effective. Elle juge indispensable que « les décisions de celle-ci refusant une telle demande peuvent faire l’objet d’un recours devant une instance indépendante ». Cette garantie juridictionnelle constitue la pierre angulaire de la légalité du dispositif. Elle assure qu’un tiers impartial puisse trancher les litiges, prévenant ainsi tout risque d’arbitraire de la part d’une entité qui est à la fois juge et partie. Le principe d’égalité de traitement est ainsi respecté, car tous les demandeurs sont soumis aux mêmes règles objectives et disposent d’une même protection juridique.

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II. La portée des prérogatives reconnues à l’entité gestionnaire

Après avoir validé le principe de la délégation, la Cour se prononce sur les moyens nécessaires à son exercice, en légitimant un pouvoir de contrôle au profit de l’entité (A), tout en le tempérant par une obligation de confidentialité (B).

A. La reconnaissance d’un pouvoir de contrôle nécessaire à l’exercice de la mission

La Cour de justice estime que la mission de gestion des exemptions implique nécessairement la capacité de vérifier l’exactitude des informations fournies par les demandeurs. Sans un tel pouvoir, le système serait vulnérable à la fraude et pourrait ne pas atteindre son objectif, qui est de réserver le bénéfice de l’exemption aux seuls utilisateurs professionnels. Par conséquent, elle juge que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que l’entité gestionnaire puisse « demander accès aux informations nécessaires à l’exercice des compétences de contrôle dont elle est investie ».

Cette prérogative peut aller jusqu’à écarter certaines protections prévues par le droit national, tel que « le secret de la comptabilité commerciale ». La Cour admet ainsi une ingérence dans le secret des affaires, la considérant comme une mesure proportionnée à l’objectif poursuivi. L’efficacité du système de compensation pour copie privée justifie donc que l’entité gestionnaire dispose de moyens d’investigation robustes pour assurer une application correcte et équitable de la redevance.

B. La confidentialité des données comme garde-fou à l’ingérence

Cette prérogative de contrôle, bien que nécessaire, est elle-même conditionnée. La Cour prend soin de préciser que sa validité est subordonnée au fait que l’entité gestionnaire soit « obligée de sauvegarder le caractère confidentiel des informations obtenues ». Cette obligation de confidentialité constitue un contrepoids indispensable au pouvoir d’accès à l’information. Elle garantit que les données commerciales sensibles collectées ne soient pas utilisées à d’autres fins que la stricte vérification du droit à exemption.

Cet équilibre est essentiel pour la valeur et la portée de l’arrêt. En liant le pouvoir de contrôle à un devoir de confidentialité, la Cour établit un cadre juridique qui protège les intérêts légitimes des entreprises soumises à vérification. Elle envoie un signal clair aux législateurs nationaux : la mise en place d’un système de gestion délégué doit impérativement s’accompagner de dispositions expresses garantissant la protection des secrets d’affaires. La décision fournit ainsi un modèle complet, alliant efficacité administrative et respect des droits fondamentaux des opérateurs économiques.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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