Cour de justice de l’Union européenne, le 9 avril 2014, n°C-583/12

Par un arrêt du 9 avril 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée des compétences des autorités douanières en matière de lutte contre la contrefaçon. En l’espèce, une société avait importé des marchandises soupçonnées par l’administration des douanes de porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle détenu par une autre entité. Après avoir saisi lesdites marchandises, l’autorité douanière a sollicité l’avis du titulaire du droit, lequel a confirmé les soupçons de contrefaçon. Sur cette base, l’administration a constaté l’atteinte au droit de propriété intellectuelle et a refusé la mainlevée des produits.

La société importatrice a contesté cette décision devant les juridictions nationales. Saisie en appel, la cour d’appel de Tallinn a jugé que le règlement (CE) n° 1383/2003 ne permettait pas aux autorités douanières de statuer elles-mêmes sur l’existence d’une contrefaçon, estimant qu’une procédure distincte devait être engagée. La Cour suprême estonienne, la Riigikohus, a alors saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si la « procédure visant à déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété intellectuelle », au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1383/2003, peut être menée par les autorités douanières elles-mêmes, y compris en l’absence d’initiative du titulaire du droit prétendument violé.

La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant que le règlement ne s’oppose pas à ce que les autorités douanières engagent et mettent en œuvre une telle procédure. Elle assortit toutefois cette faculté d’une condition essentielle : les décisions prises par ces autorités doivent pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel effectif. Cette décision clarifie ainsi l’étendue du pouvoir d’action des autorités douanières, tout en le soumettant aux garanties fondamentales de l’État de droit. L’arrêt reconnaît ainsi l’autonomie d’action des autorités douanières (I), tout en l’inscrivant dans un cadre procédural garantissant les droits des justiciables (II).

I. L’affirmation d’un rôle autonome des autorités douanières

La Cour de justice consacre la capacité des autorités douanières à agir de leur propre chef pour constater une atteinte à un droit de propriété intellectuelle. Cette solution repose sur une interprétation finaliste du règlement, qui reconnaît aux autorités une véritable faculté d’initiative (A) et valide leur compétence pour se prononcer sur le fond de l’infraction (B).

A. La reconnaissance d’une faculté d’initiative procédurale

L’arrêt établit que les autorités douanières peuvent engager la procédure de vérification d’une contrefaçon sans dépendre de l’action du titulaire du droit. Cette interprétation dépasse une lecture littérale des dispositions, qui mettent souvent en avant le rôle du titulaire de droit. La Cour souligne que les objectifs du règlement n° 1383/2003 ne se limitent pas à la protection des intérêts privés des titulaires de droits, mais visent également des objectifs d’intérêt général. Elle rappelle à ce titre que le règlement a pour but d’« empêcher la mise sur le marché de marchandises qui, outre qu’elles enfreignent les droits de propriété intellectuelle, trompent les consommateurs en leur faisant courir parfois des risques pour leur santé et leur sécurité ».

Dès lors, l’inaction du titulaire du droit ne saurait paralyser l’action des autorités publiques chargées de la protection du marché et des consommateurs. La Cour déduit de plusieurs dispositions du règlement, notamment de ses articles 10 et 14, que le législateur de l’Union a lui-même envisagé le cas où la procédure serait engagée par une autorité autre que le titulaire du droit. En permettant aux autorités douanières de se saisir d’office, l’arrêt assure l’effectivité de la lutte contre la contrefaçon, en la dissociant de la seule diligence des acteurs privés.

B. La validation d’une compétence décisionnelle au fond

Au-delà de l’initiative procédurale, la Cour admet que les autorités douanières puissent être compétentes pour statuer elles-mêmes sur l’existence de la contrefaçon. Le règlement n° 1383/2003, dans son article 10, renvoie au droit national pour « déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété intellectuelle ». La Cour en déduit que le législateur de l’Union n’a pas entendu imposer une compétence exclusive des autorités judiciaires en la matière.

Elle précise ainsi que « le législateur de l’Union n’a dès lors pas exclu, par principe, qu’une autorité autre que juridictionnelle puisse être désignée comme l’autorité compétente pour statuer au fond ». Cette solution est mise en perspective avec les obligations internationales de l’Union, notamment l’accord ADPIC, qui permet que des mesures correctives soient ordonnées à la suite de procédures administratives. En conséquence, un État membre peut légitimement confier à une autorité administrative, telle que l’administration des douanes, le pouvoir de prendre une décision sur le fond, concluant à l’existence ou non d’une atteinte. Cette habilitation renforce considérablement l’efficacité du dispositif de contrôle aux frontières.

II. Une compétence administrative encadrée par le droit au recours effectif

Si la Cour de justice étend de manière significative les prérogatives douanières, elle prend soin d’encadrer cette compétence en la soumettant à des garanties procédurales strictes. Cette solution pragmatique se justifie par la poursuite d’un intérêt public renforcé (A), mais trouve sa limite impérative dans l’exigence d’un contrôle juridictionnel (B).

A. Une solution justifiée par la protection de l’intérêt public

L’arrêt confirme que la lutte contre la contrefaçon transcende la simple protection des droits de propriété intellectuelle pour devenir un enjeu d’ordre public. En permettant aux douanes d’agir même en cas de défaillance du titulaire du droit, la Cour assure la cohérence d’un système destiné à protéger l’intégrité du marché intérieur, la sécurité et la santé des consommateurs. Une solution contraire aurait créé une dépendance excessive à l’égard d’acteurs privés, dont les intérêts ou les moyens peuvent ne pas toujours coïncider avec l’intérêt général.

Le rôle actif confié aux autorités douanières est donc la conséquence logique d’une conception élargie des objectifs du règlement. Il s’agit moins de se substituer au titulaire du droit que de garantir que la protection conférée par le droit de l’Union ne soit pas rendue illusoire par des considérations purement privées. Cette approche fonctionnelle permet de donner toute leur portée aux mesures de contrôle aux frontières et de renforcer la crédibilité de la politique commerciale de l’Union.

B. Le contrôle juridictionnel comme condition de validité du système

L’autonomie accordée aux autorités douanières n’est pas sans limite. La Cour de justice énonce une condition de validité essentielle : le système national doit garantir un droit au recours effectif contre les décisions administratives. Elle conclut que le règlement ne s’oppose pas à la compétence des douanes « à la condition que les décisions prises en la matière par ces autorités puissent faire l’objet des recours assurant la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ».

Cette exigence constitue la contrepartie indispensable à l’extension des pouvoirs de l’administration. Elle garantit que l’importateur ou le détenteur des marchandises, dont les droits sont affectés par une décision de saisie et de destruction, puisse faire examiner la légalité et le bien-fondé de cette mesure par un tribunal indépendant. Cette condition est conforme aux principes généraux du droit de l’Union, ainsi qu’aux exigences de l’accord ADPIC qui prévoit un droit à la révision des décisions administratives finales par une autorité judiciaire. Le contrôle juridictionnel apparaît ainsi comme la clé de voûte de l’équilibre entre l’efficacité de l’action administrative et la protection des droits fondamentaux des opérateurs économiques.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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