Cour de justice de l’Union européenne, le 9 avril 2014, n°C-616/11

Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne est venue apporter des clarifications substantielles sur l’interprétation de la directive 2007/64/CE relative aux services de paiement. En l’espèce, un litige opposait vraisemblablement un consommateur à un opérateur de téléphonie mobile au sujet de frais supplémentaires appliqués par ce dernier pour certains modes de paiement de ses factures. Saisie par le consommateur, une juridiction nationale a été confrontée à des difficultés d’interprétation du droit de l’Union, notamment quant à l’étendue de la faculté pour les États membres de réglementer ou d’interdire de telles pratiques de surfacturation, également connues sous le nom de « surcharging ». Face à l’incertitude, cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait pour la haute juridiction européenne de déterminer, d’une part, le champ d’application de la directive et la notion d’instrument de paiement et, d’autre part, la portée du pouvoir conféré aux États membres pour interdire la facturation de frais liés à l’utilisation de ces instruments. À ces questions, la Cour répond en adoptant une conception large, affirmant que la directive s’applique à la relation entre un opérateur de téléphonie et son client, que la notion d’instrument de paiement inclut tant les virements papier que les virements en ligne, et qu’un État membre peut interdire de manière générale la surfacturation pour tout instrument de paiement, sous certaines conditions. La Cour a ainsi procédé à une clarification bienvenue du champ d’application de la directive (I), avant de reconnaître aux États membres une marge d’action significative mais contrôlée (II).

I. L’interprétation extensive du champ d’application de la directive sur les services de paiement

La Cour de justice opte pour une lecture large des dispositions de la directive, tant sur le plan de son champ d’application personnel et matériel (A) que sur celui de la notion même d’instrument de paiement (B).

A. L’assujettissement de la relation commerciale à la directive

La première clarification apportée par la Cour concerne l’applicabilité de la directive à des relations contractuelles qui ne relèvent pas strictement du secteur bancaire. La décision énonce que l’article 52, paragraphe 3, de la directive « s’applique à l’utilisation d’un instrument de paiement dans le cadre de la relation contractuelle nouée entre un opérateur de téléphonie mobile, en tant que bénéficiaire, et son client, en tant que payeur ». Cette position est essentielle car elle confirme que les règles de protection des payeurs ne se limitent pas aux seules interactions avec les prestataires de services de paiement, tels que les banques, mais s’étendent aux transactions effectuées auprès de bénéficiaires commerciaux. En qualifiant l’opérateur de « bénéficiaire » et le client de « payeur », la Cour ancre solidement leur relation dans le cadre réglementaire de la directive, empêchant ainsi les commerçants d’échapper à ses contraintes au motif qu’ils ne sont pas des entités financières. Cette approche renforce la protection du consommateur dans ses actes de paiement quotidiens, garantissant une application cohérente des règles sur l’ensemble du marché intérieur.

B. La conception large de la notion d’instrument de paiement

Dans un second temps, la Cour se penche sur la définition de l’instrument de paiement lui-même, une notion clé pour l’application du texte. Elle juge que l’article 4, point 23, de la directive « doit être interprété en ce sens que tant la procédure d’émission d’un ordre de virement par un bulletin de virement revêtu de la signature manuscrite du payeur que la procédure d’émission d’un ordre de virement en ligne constituent des instruments de paiement ». Cette interprétation est remarquable par sa neutralité technologique. En incluant à la fois une méthode traditionnelle et matérielle, le bulletin de virement papier, et une méthode dématérialisée, l’ordre en ligne, la Cour refuse de limiter la protection aux seuls moyens de paiement modernes. Elle adopte une définition fonctionnelle : ce qui compte est la capacité de la procédure à initier un ordre de paiement, peu importe son support. Cette vision extensive assure la pérennité de la directive et sa capacité à s’adapter aux évolutions technologiques, tout en garantissant que des instruments plus anciens mais toujours en usage ne soient pas exclus du champ de la protection. Cette définition large des instruments de paiement posait alors la question de l’étendue du pouvoir des États membres pour en réguler l’usage.

II. La consécration d’une faculté étatique encadrée de prohibition des frais supplémentaires

Après avoir défini le périmètre de la directive, la Cour examine la marge de manœuvre laissée aux législateurs nationaux. Elle reconnaît une faculté de principe d’interdire la surfacturation (A), tout en soumettant cette dernière à un contrôle de proportionnalité (B).

A. La validation de principe d’une interdiction générale

Le point le plus significatif de la décision réside dans l’interprétation de la faculté offerte aux États membres par la directive. La Cour affirme que l’article 52, paragraphe 3, « confère aux États membres le pouvoir d’interdire de manière générale aux bénéficiaires d’appliquer des frais au payeur pour l’utilisation de tout instrument de paiement ». Cette solution consacre la possibilité pour un État de mettre en place une interdiction totale de la pratique du « surcharging », allant au-delà de l’interdiction minimale prévue par la directive pour certains types de paiement. La Cour légitime ainsi une politique législative visant une protection maximale du consommateur, en empêchant les bénéficiaires de le pénaliser financièrement en fonction du mode de paiement choisi. En validant une interdiction « de manière générale » et pour « tout instrument de paiement », la décision offre une base juridique solide aux États souhaitant éradiquer cette pratique, perçue comme un obstacle à la transparence des prix et à la fluidité des transactions sur le marché.

B. L’encadrement de la faculté d’interdiction par les objectifs du marché

Toutefois, ce pouvoir étatique n’est pas inconditionnel. La Cour assortit cette faculté d’une réserve importante, précisant que l’interdiction est possible « pour autant que la réglementation nationale, dans son ensemble, tienne compte de la nécessité d’encourager la concurrence et l’utilisation d’instruments de paiement efficaces ». Cette condition agit comme un garde-fou, rappelant que la protection des consommateurs ne doit pas se faire au détriment des objectifs fondamentaux du marché intérieur. La Cour transfère ainsi la charge de l’appréciation à la juridiction nationale, indiquant qu’il « appartient à la juridiction de renvoi de vérifier » le respect de cette condition. Ce faisant, elle respecte le principe de subsidiarité et invite les juges nationaux à réaliser une mise en balance des intérêts en présence. Une interdiction générale ne serait donc pas conforme au droit de l’Union si elle avait pour effet de freiner l’innovation dans les moyens de paiement ou de fausser la concurrence entre les différents acteurs, rappelant que le droit de la consommation et le droit de la concurrence poursuivent des objectifs complémentaires.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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