Cour de justice de l’Union européenne, le 9 décembre 2004, n°C-123/03

Par un arrêt en date du 9 décembre 2004, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la recevabilité d’un recours en annulation dirigé contre une lettre de la Commission européenne refusant le paiement d’intérêts. En l’espèce, une société s’était vu infliger une amende par la Commission, amende qu’elle avait acquittée. Saisi d’un recours, le Tribunal de première instance avait réduit le montant de cette amende, ouvrant droit au remboursement de la somme trop perçue. La société avait alors demandé à la Commission le remboursement du principal ainsi que le versement d’intérêts sur cette somme. L’institution a procédé au virement du montant principal, mais n’a versé aucun intérêt et n’a fourni aucune explication à ce sujet. Après l’intervention d’un arrêt dans une autre affaire clarifiant l’obligation pour la Commission de verser de tels intérêts, la société a réitéré sa demande. La Commission y a répondu par une lettre refusant le paiement, au motif que la société aurait dû contester la décision initiale de ne pas payer les intérêts, matérialisée selon elle par le paiement du seul principal, dans le délai de recours de deux mois.

La société a formé un recours en annulation contre cette lettre devant le Tribunal de première instance. La Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, soutenant que sa lettre n’était qu’un acte confirmatif d’une décision antérieure implicite de refus, et donc insusceptible de recours. Le Tribunal a rejeté cette exception, jugeant la lettre comme un acte attaquable exprimant un refus. La Commission a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant cette qualification. Le problème de droit posé à la Cour était donc de déterminer si le simple paiement du principal, en l’absence de toute prise de position explicite sur une demande de versement d’intérêts, constituait une décision implicite de refus insusceptible d’être remise en cause par un recours tardif contre un refus explicite ultérieur. La Cour de justice annule l’ordonnance du Tribunal pour erreur de droit, estimant qu’il n’a pas correctement examiné l’argument de la Commission. Statuant elle-même sur le litige, elle juge cependant que « en principe, le seul silence d’une institution ne saurait s’assimiler à un refus implicite ». Par conséquent, le paiement partiel ne constituait pas une décision, et la lettre de refus postérieure était bien le premier acte attaquable.

La Cour clarifie ainsi la notion d’acte attaquable en droit de l’Union, en distinguant nettement l’inaction de l’institution d’une prise de position formelle (I), une solution qui renforce la sécurité juridique des administrés (II).

I. La consécration d’une conception stricte de l’acte attaquable

La Cour de justice, en se prononçant sur la nature du silence de l’institution, refuse de lui conférer la qualité de décision attaquable (A), ce qui la conduit logiquement à reconnaître le caractère décisoire du refus formalisé par écrit (B).

A. Le rejet de la qualification de décision implicite en cas de silence

Pour être susceptible d’un recours en annulation au sens de l’article 230 du traité CE, un acte doit produire des « effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci ». La Commission soutenait que son paiement partiel, en réponse à une demande de remboursement du principal et des intérêts, constituait une prise de position implicite mais certaine, rejetant la demande pour les intérêts. Une telle approche aurait eu pour conséquence de faire courir le délai de recours à compter de ce paiement, rendant toute action ultérieure tardive.

La Cour de justice écarte cette analyse avec fermeté. Elle énonce le principe selon lequel « le seul silence d’une institution ne saurait s’assimiler à un refus implicite, sauf lorsque cette conséquence est expressément prévue par une disposition du droit communautaire ». En l’absence d’un texte prévoyant une telle fiction juridique, l’inaction ou l’absence de réponse explicite ne cristallise pas la position de l’institution de manière à créer un acte faisant grief. La Cour admet que des « circonstances spécifiques » pourraient exceptionnellement justifier une solution contraire, mais elle constate qu’en l’espèce, de telles circonstances ne sont ni invoquées ni présentes. Cette solution préserve la clarté des rapports juridiques entre les institutions et les justiciables.

Dès lors que le silence initial ne constitue pas une décision, la Cour en tire la conséquence logique quant à la nature de la réponse écrite ultérieure.

B. La reconnaissance du caractère décisoire du refus explicite postérieur

L’argument principal de la Commission reposait sur le caractère prétendument confirmatif de sa lettre du 11 février 2002. Selon une jurisprudence constante, un acte qui ne fait que confirmer une décision antérieure non contestée dans les délais n’est pas un acte attaquable. Or, cette construction ne pouvait tenir qu’à la condition que le paiement partiel du 4 janvier 2000 soit lui-même une décision.

En jugeant que ce paiement partiel, non accompagné d’une prise de position, n’était pas constitutif d’une décision implicite de rejet, la Cour prive l’argumentation de la Commission de son fondement. La lettre du 11 février 2002 ne pouvait donc pas confirmer une décision qui n’avait jamais existé. Au contraire, c’est par cette lettre que, pour la première fois, la Commission expose sa position de manière formelle et définitive, niant le droit de la société à obtenir le versement des intérêts. Cet acte modifie donc bien de façon caractérisée la situation juridique de l’entreprise, en lui opposant un refus clair. Il constitue dès lors un acte attaquable au sens de l’article 230 du traité CE, ouvrant un nouveau délai de recours.

Au-delà de son apport technique à la théorie de l’acte attaquable, la solution retenue par la Cour de justice emporte des conséquences significatives pour les justiciables dans leurs rapports avec les institutions.

II. Une solution protectrice de la sécurité juridique

En refusant d’assimiler le silence à une décision implicite, la Cour de justice offre une garantie essentielle quant au point de départ des délais de recours (A) et clarifie par là même l’agencement des différentes voies de droit à la disposition du justiciable (B).

A. La garantie d’un point de départ certain pour les délais de recours

Admettre la thèse de la Commission aurait introduit une insécurité juridique considérable pour les administrés. Si le simple silence ou une action partielle valait décision, le justiciable serait contraint d’interpréter en permanence le comportement de l’institution pour déterminer si un délai de recours a commencé à courir à son encontre. Une telle solution ferait peser sur lui le risque de voir son droit d’action périmé pour ne pas avoir deviné l’existence d’une décision non formalisée.

L’arrêt commenté écarte ce risque. En exigeant un acte explicite pour caractériser un refus, la Cour assure que le point de départ du délai de recours est un événement certain et objectivement identifiable : la notification de la décision de rejet. Le justiciable sait ainsi sans ambiguïté à partir de quel moment il doit agir pour préserver ses droits. Cette exigence de formalisme protège les droits de la défense et assure une application prévisible des règles de procédure, conformément aux exigences d’un État de droit. La charge de la clarté pèse sur l’institution, qui ne peut se prévaloir de sa propre ambiguïté pour opposer une forclusion au requérant.

Cette clarification renforce non seulement les droits de la défense, mais elle précise également l’articulation des différentes voies de droit ouvertes au justiciable.

B. La clarification de l’articulation entre le recours en annulation et le recours en carence

Face au silence de la Commission après sa première demande, la société aurait pu, comme le suggérait l’institution, engager un recours en carence sur le fondement de l’article 232 du traité CE. Cette procédure vise précisément à faire constater l’abstention illégale d’une institution et à la contraindre à prendre position. La Commission arguait que le fait de ne pas avoir utilisé cette voie privait la société du droit d’agir ultérieurement.

La Cour rejette implicitement cette lecture. En jugeant que la société était en droit d’attaquer le refus explicite lorsqu’il est finalement intervenu, elle confirme que le recours en carence est une faculté pour le justiciable, et non une obligation. Celui-ci conserve le choix stratégique : soit il tente de contraindre l’institution à agir rapidement par la voie du recours en carence, soit il peut attendre une prise de position formelle, quitte à la provoquer par une nouvelle demande, pour ensuite la contester par un recours en annulation. L’arrêt préserve ainsi la flexibilité des voies de droit, en refusant d’enfermer le justiciable dans un choix procédural unique face à l’inertie d’une institution.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture