Cour de justice de l’Union européenne, le 9 décembre 2004, n°C-79/03

Par un arrêt en date du 9 décembre 2004, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur un recours en manquement introduit par la Commission à l’encontre d’un État membre. Il était reproché à ce dernier de tolérer sur le territoire d’une de ses communautés autonomes une méthode de chasse aux oiseaux sauvages, connue sous le nom de « parany », qui recourt à l’usage de gluaux. Cette pratique était encadrée par un décret régional qui en autorisait l’usage à titre dérogatoire pour la chasse de certaines espèces de grives, en fixant des conditions précises quant à sa mise en œuvre.

Saisie de plusieurs plaintes, la Commission a engagé une procédure précontentieuse, estimant que cette pratique violait les dispositions de la directive concernant la conservation des oiseaux sauvages. L’État membre a défendu la compatibilité de sa réglementation en invoquant les dérogations prévues par la directive, arguant d’une part de la nécessité de prévenir des dommages importants aux cultures et, d’autre part, de la possibilité de permettre la capture d’oiseaux en petites quantités. La procédure amiable n’ayant pas abouti, la Commission a saisi la Cour de justice.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si un État membre manque à ses obligations découlant de la directive « Oiseaux » en autorisant une méthode de chasse utilisant des gluaux, interdite en principe en raison de son caractère non sélectif, au motif que cette pratique serait justifiée par des dérogations relatives à la prévention de dommages agricoles ou à la capture en petites quantités.

La Cour de justice a constaté le manquement de l’État membre. Elle a jugé que la méthode de chasse en cause était bien non sélective et relevait donc de l’interdiction de principe. Elle a ensuite estimé que les conditions strictes pour bénéficier des dérogations prévues par la directive n’étaient pas remplies en l’espèce. La décision de la Cour repose ainsi sur une analyse en deux temps, portant d’abord sur la qualification de la méthode de chasse au regard des principes de la directive, avant de procéder à un contrôle rigoureux des justifications avancées pour y déroger.

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I. La consécration du caractère non sélectif de la méthode de chasse par gluaux

La Cour fonde son raisonnement sur une interdiction de principe posée par la directive, en qualifiant la méthode du « parany » de non sélective. Cette appréciation repose à la fois sur une analyse factuelle de la méthode et sur le rejet des garanties réglementaires proposées par l’État membre comme étant insuffisantes pour modifier cette qualification.

A. L’appréciation factuelle du manque de sélectivité

La directive interdit le recours à tous moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort non sélective d’oiseaux, visant expressément les gluaux. L’argument central de l’État membre consistait à affirmer que, bien que le gluau soit un élément non sélectif en soi, son usage encadré par la réglementation régionale le transformait en une méthode sélective. Les captures d’espèces non ciblées ne seraient, selon lui, qu’accidentelles.

La Cour écarte cette argumentation en se fondant sur les faits. Elle retient qu’« il est constant que la chasse aux grives au moyen de gluaux telle qu’organisée sur le territoire de la Communauté de Valence ne permet pas d’éviter la capture d’oiseaux autres que des grives ». Pour étayer cette affirmation, elle s’appuie sur les données d’un rapport ornithologique versé au dossier, qui établit un ratio significatif entre les grives et les autres espèces d’oiseaux capturés. Ce constat factuel suffit à la Cour pour qualifier la méthode de non sélective.

En outre, la Cour précise que l’obligation faite aux chasseurs de nettoyer et de libérer les oiseaux protégés capturés accidentellement est sans incidence sur cette qualification. Elle juge en effet que cette mesure a posteriori « n’est pas de nature à remettre en cause le caractère non sélectif de ladite méthode de capture ». Le vice de la méthode réside dans sa capacité intrinsèque à capturer des espèces indistinctement, et non dans le sort final réservé aux spécimens non désirés.

B. L’inefficacité des mesures d’encadrement nationales

L’État membre mettait en avant les dispositions de son décret régional pour tenter de démontrer le caractère sélectif de la pratique. Ce texte imposait des conditions techniques précises, telles que la distance entre les gluaux, les caractéristiques de la glu utilisée, les espèces visées, les périodes de chasse et les quotas de capture. L’objectif de cette réglementation était de rendre la méthode compatible avec les exigences de la directive.

Cependant, la Cour considère que ces mesures d’encadrement sont inopérantes à changer la nature même de la méthode. Le raisonnement des juges demeure pragmatique : dès lors qu’il est prouvé que des oiseaux non ciblés sont capturés en nombre non négligeable, la méthode est non sélective, quelles que soient les précautions réglementaires prises en amont. Le résultat effectif de la pratique prévaut sur les intentions du législateur national.

En procédant de la sorte, la Cour affirme que le caractère sélectif d’une méthode de chasse ne s’apprécie pas de manière abstraite au regard d’un cadre normatif, mais concrètement, au vu de ses conséquences sur la faune. Ainsi, la méthode du « parany » est jugée contraire à l’article 8 de la directive, et ne pouvait être autorisée qu’à la condition de satisfaire aux exigences strictes d’une dérogation.

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Une fois établi le caractère non sélectif de la méthode de chasse, la Cour se livre à un examen approfondi des dérogations invoquées par l’État membre. Cet examen se caractérise par une interprétation stricte des conditions posées par le texte, conduisant au rejet des deux justifications avancées.

II. L’interprétation stricte des conditions dérogatoires

L’article 9 de la directive permet de déroger à l’interdiction de principe, mais seulement s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et pour des motifs limitativement énumérés. La Cour examine successivement les deux motifs invoqués par l’État défendeur, à savoir la prévention de dommages importants aux cultures et l’exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités, en les soumettant à un contrôle de proportionnalité et de nécessité.

A. Le rejet de la justification tirée de la prévention des dommages agricoles

L’État membre soutenait que la chasse aux grives était nécessaire pour protéger les cultures d’oliviers et de vignes. Pour qu’une telle dérogation soit admise, l’État doit prouver non seulement l’existence de dommages importants, mais aussi et surtout l’absence d’autre solution satisfaisante. La Cour concentre son contrôle sur cette dernière condition.

Elle relève que dans d’autres régions du même État où les mêmes cultures sont présentes, « la chasse aux gluaux n’est pas autorisée » et que la chasse au fusil, qui est sélective, y est pratiquée. Or, il n’est pas démontré que ces régions subissent des dommages plus importants. L’existence d’une solution alternative, efficace et moins dommageable pour l’environnement suffit donc à écarter la dérogation. La Cour rejette par ailleurs l’argument d’un prétendu « comportement singulier des chasseurs valenciens » qui rendrait la chasse au fusil plus dangereuse, le jugeant non étayé.

De plus, la Cour met en évidence une incohérence majeure dans l’argumentation de l’État. Elle constate que la majorité des installations de « parany » sont situées dans des zones dépourvues des cultures qu’elles sont censées protéger. Cette dissociation géographique achève de priver de crédibilité la justification agricole. Elle révèle que le véritable motif, d’ailleurs mentionné dans le préambule du décret régional, est la préservation d’une « tradition fortement ancrée », un argument jugé irrecevable au regard des objectifs de la directive.

B. L’inobservation du critère des « petites quantités »

En second lieu, l’État membre invoquait la possibilité de permettre, de manière sélective, la capture d’oiseaux en « petites quantités ». La Cour rappelle que pour être conforme à cette disposition, une dérogation doit remplir deux conditions cumulatives : être sélective et ne concerner que de petites quantités. La méthode ayant déjà été jugée non sélective, la dérogation aurait pu être écartée d’office, mais la Cour examine néanmoins la seconde condition.

Pour définir la notion non précisée de « petites quantités », elle se réfère à un critère dégagé par le comité ORNIS, un comité d’experts assistant la Commission. Ce critère fixe le seuil à un prélèvement inférieur à 1 % de la mortalité annuelle totale de la population concernée. La Cour reconnaît que cet avis « n’est pas juridiquement contraignant », mais elle estime qu’il constitue, « en raison de l’autorité scientifique dont jouissent les avis de ce comité et de l’absence de production de tout élément de preuve scientifique contraire », une base de référence pertinente.

En appliquant ce critère aux populations de grives concernées, la Cour calcule le seuil de prélèvement autorisé et le compare au nombre total de captures permises par les autorisations régionales. Il en ressort que ce nombre « dépasse largement le seuil des petites quantités ». Le non-respect de cette condition quantitative suffit donc, à lui seul, à invalider la dérogation. Ce faisant, la Cour donne une portée pratique à une notion juridique indéterminée en s’appuyant sur une expertise scientifique, renforçant ainsi l’effectivité du contrôle juridictionnel en matière environnementale.

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