Cour de justice de l’Union européenne, le 9 décembre 2008, n°C-442/07

L’arrêt soumis à commentaire, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes en grande chambre, apporte une précision substantielle sur la notion d’« usage sérieux » d’une marque au sens du droit de l’Union. En l’espèce, une association autrichienne à but non lucratif, dédiée à la fois au maintien de traditions militaires et à des œuvres caritatives, était titulaire de plusieurs marques figuratives et verbales enregistrées. Ces marques, représentant des insignes d’honneur, étaient utilisées sur des invitations, du papier à lettres, et portées par les membres de l’association lors de manifestations et de collectes de dons. Une autre entité a engagé une action en annulation de ces marques pour défaut d’usage sérieux au cours des cinq dernières années, arguant que l’association n’en faisait pas un usage dans le commerce. La division d’annulation de l’Office des brevets autrichien a accueilli cette demande. Saisi en appel par l’association titulaire des marques, l’Oberster Patent- und Markensenat a sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si l’utilisation d’une marque par une association à but non lucratif, dans le cadre de ses activités non commerciales, peut constituer un « usage sérieux » au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 89/104/CEE. La Cour répond par l’affirmative, en jugeant qu’« une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’une association à but non lucratif l’utilise, dans ses relations avec le public, pour annoncer des manifestations, dans ses papiers d’affaires ainsi que sur son matériel publicitaire et que ses membres l’arborent sur des insignes qu’ils portent lors de la collecte et de la distribution de dons ».

La solution de la Cour clarifie l’application du droit des marques à des entités dont la finalité n’est pas commerciale, en consacrant une conception extensive de l’usage sérieux de la marque (I), ce qui conduit à offrir une protection renforcée, bien que conditionnée, aux associations (II).

I. La consécration d’une conception extensive de l’usage sérieux de la marque

La Cour de justice interprète la notion d’usage sérieux en la détachant de la finalité lucrative de l’entité qui en est titulaire (A), pour la recentrer sur un critère plus fonctionnel, celui de la distinction entre un usage purement interne et un usage tourné vers le public (B).

A. Le dépassement du critère du but lucratif

Le droit des marques est historiquement et fonctionnellement lié à la vie des affaires, sa raison d’être étant de « créer ou à conserver un débouché pour les produits ou les services portant le signe qui la constitue ». Dans cette perspective, l’exigence d’un usage sérieux vise à écarter la protection pour des marques qui ne remplissent plus cette fonction économique. Toutefois, la Cour juge que le caractère non lucratif des activités d’une association ne constitue pas un obstacle dirimant à la reconnaissance d’un tel usage. Elle énonce en effet que « la circonstance que l’offre de produits ou de services est faite sans but lucratif n’est pas déterminante ».

Pour justifier cette position, la Cour observe que la gratuité apparente de certains services n’exclut pas une forme de participation à la vie économique, financée par des subventions ou d’autres formes de rémunérations. Plus fondamentalement, une association, même caritative, a pour objectif de promouvoir ses services et de se distinguer d’autres entités aux buts similaires ou différents. L’usage de la marque conserve ainsi sa fonction essentielle, qui est de « garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine d’un produit ou d’un service ». Le public, qu’il s’agisse de donateurs, de bénéficiaires ou de simples observateurs, doit pouvoir identifier l’origine des services fournis et des activités menées.

B. La distinction déterminante entre usage interne et usage externe

Ayant écarté le but lucratif comme critère pertinent, la Cour établit la véritable ligne de partage entre un usage suffisant pour maintenir les droits sur la marque et un usage purement symbolique. Cette distinction repose sur le caractère public de l’utilisation du signe. La Cour précise en effet que « l’utilisation de la marque par une association à but non lucratif durant des manifestations purement privées, ou pour annoncer ou promouvoir celles-ci, constitue un usage interne de la marque et non un ‘usage sérieux’ ». Un tel usage, confiné à la sphère des membres de l’association, ne permet pas au signe de jouer son rôle de repère sur un marché, fut-il celui des activités caritatives.

A contrario, l’usage est qualifié de sérieux dès lors qu’il s’inscrit « dans ses relations avec le public ». L’emploi de la marque sur des invitations, des documents officiels, du matériel publicitaire, ou le port d’insignes par les membres lors d’activités de collecte de dons sont autant de manifestations d’un usage externe. Dans ces situations, la marque est utilisée pour identifier et promouvoir les services de l’association auprès du grand public, créant ainsi un lien entre le signe et l’entité qui l’utilise. C’est cet usage extérieur qui justifie le maintien du monopole d’exploitation conféré par l’enregistrement de la marque, car il correspond à sa fonction de distinction.

II. La portée de la solution : une protection renforcée pour les associations

En adaptant la notion d’usage sérieux au contexte associatif, la Cour aligne le droit des marques sur la réalité des activités de ces entités (A). Cette protection n’est cependant pas absolue et reste soumise à la démonstration d’un usage effectif et non équivoque dans la vie des affaires (B).

A. L’alignement du droit des marques sur la réalité des activités associatives

La décision commentée a une valeur pratique considérable, car elle reconnaît que les associations à but non lucratif ont, au même titre que les entreprises, un intérêt légitime à protéger leur identité et leur réputation. Dans un secteur où la confiance du public et la notoriété sont essentielles pour attirer des dons, des bénévoles ou des subventions, le nom et les symboles d’une association constituent un capital immatériel précieux. Permettre l’annulation de leurs marques au motif que leurs activités ne sont pas commerciales au sens strict aurait créé une insécurité juridique préjudiciable pour tout le secteur non lucratif.

Cette solution consacre le fait que la « vie des affaires » ne se limite pas aux seules transactions commerciales payantes. Les services caritatifs, culturels ou sociaux s’inscrivent dans un marché concurrentiel où différentes organisations cherchent à capter l’attention et le soutien du public. En protégeant la marque d’une association contre son annulation pour non-usage, la Cour lui donne les moyens de se prémunir « contre l’usage éventuel, dans la vie des affaires, de signes identiques ou similaires par des tiers ». Elle assure ainsi une concurrence saine et loyale entre toutes les entités, qu’elles poursuivent un but lucratif ou non.

B. Une protection conditionnée à un usage effectif dans la vie des affaires

La portée de cet arrêt ne doit cependant pas être surévaluée. La Cour n’instaure pas un régime dérogatoire pour les associations qui les dispenserait de l’obligation d’usage sérieux. Elle se borne à en préciser les contours dans leur situation particulière. La protection demeure strictement conditionnée à la preuve d’un usage effectif, qui doit être plus qu’un simple usage de convenance destiné à préserver artificiellement les droits sur la marque. Il appartiendra donc toujours à la juridiction nationale, comme le rappelle la Cour, de « vérifier si la [l’association] a fait usage des marques dont elle est titulaire pour identifier et promouvoir ses produits ou ses services auprès du grand public ».

Une association qui se contenterait d’un usage purement interne, par exemple en n’utilisant ses signes que sur des documents circulant exclusivement entre ses membres, resterait exposée au risque d’une action en déchéance de sa marque. L’extension de la notion d’usage sérieux ne vaut que pour les actes tournés vers l’extérieur. La solution retenue par la Cour apparaît ainsi équilibrée : elle protège les associations qui s’engagent activement dans la sphère publique, tout en maintenant l’exigence fondamentale d’un usage réel qui justifie le maintien d’un monopole sur un signe.

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Hassan KOHEN
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