Cour de justice de l’Union européenne, le 9 janvier 2025, n°C-627/23

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 9 janvier 2025, une décision fondamentale concernant le champ d’application de l’obligation de publication d’un prospectus financier. Ce litige opposait deux autorités locales à une société holding à la suite d’une opération d’augmentation de capital réalisée sans information préalable des souscripteurs. Ces collectivités publiques avaient acquis des titres en 2009 avant de subir une perte totale de leur investissement lors de la liquidation de la société émettrice en 2011.

Les demandeurs ont alors saisi le tribunal de commerce francophone de Bruxelles afin d’obtenir l’annulation de leurs souscriptions pour violation de la législation sur les offres publiques. La Cour d’appel de Bruxelles, par un arrêt du 12 avril 2022, a rejeté leurs prétentions en considérant que les actions litigieuses n’étaient pas négociables sur le marché. Cette juridiction soulignait que les titres ne pouvaient être détenus que par des entités publiques territoriales et que leur cession restait soumise à un agrément. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation de Belgique a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne sur la définition des valeurs mobilières.

La question posée porte sur l’inclusion d’actions grevées de restrictions de détention et de cession dans la catégorie des titres négociables au sens de la directive « prospectus ». Il s’agit de déterminer si des titres réservés à des autorités administratives et soumis à un agrément imposent la rédaction d’un document d’information.

La Cour de justice répond que de telles actions relèvent de la notion de valeurs mobilières dès lors que leur négociabilité n’est pas rendue impossible ou extrêmement difficile. Elle précise que l’invitation à souscrire constitue une offre au public soumise à prospectus si aucune exception textuelle ne peut légitimement s’appliquer à l’espèce. Le juge européen adopte ainsi une interprétation téléologique privilégiant la protection des investisseurs sur le formalisme des clauses restrictives de circulation des titres.

**I. L’interprétation extensive de la négociabilité des instruments financiers**

**A. L’assimilation des actions restreintes aux titres négociables**

Le juge européen lie la définition des valeurs mobilières de la directive « prospectus » aux catégories de titres négociables sur le marché des capitaux identifiées par la directive MiFID I. La Cour rappelle que « les termes « titres négociables sur le marché des capitaux » […] doivent […] être interprétés de manière large » pour englober les actions de sociétés. L’existence de clauses d’agrément ou de limitations statutaires concernant la qualité des détenteurs ne suffit pas à exclure un titre de cette qualification juridique commune.

La décision souligne que les exemples fournis par le droit de l’Union ne mentionnent aucune restriction particulière quant aux caractéristiques des personnes titulaires des droits sociaux. Par conséquent, la nature de l’émetteur ou la spécificité du cercle des investisseurs potentiels n’altèrent pas la qualification de l’instrument financier lorsqu’il s’agit d’une action. Le droit européen privilégie ainsi une approche matérielle de l’instrument plutôt qu’une analyse strictement formelle de ses conditions statutaires de circulation.

**B. Le critère de la possibilité d’une négociation effective**

La Cour de justice précise le critère de négociabilité en distinguant la liberté totale de cession de la simple possibilité de négocier entre offreurs et investisseurs. Elle affirme que « c’est non pas la négociabilité sans restrictions sur le marché de capitaux qui constitue la caractéristique essentielle des valeurs mobilières, mais la possibilité de négocier de telles valeurs ». La négociabilité n’est écartée que si les modalités de transfert des titres sont à ce point limitées qu’elles deviennent techniquement impossibles ou démesurément complexes.

Cette analyse permet d’inclure les titres de sociétés fermées ou à capital public dans le périmètre de la transparence financière due aux épargnants et aux investisseurs. La juridiction relève que les restrictions en cause n’empêchent pas les actions d’être cédées à un nombre non négligeable d’autorités locales au sein d’un État membre. La protection offerte par le prospectus doit donc s’appliquer dès lors qu’une activité économique sur le marché des titres reste envisageable entre les partenaires.

**II. La protection rigoureuse des investisseurs publics locaux**

**A. L’exclusion des autorités locales de la catégorie des investisseurs qualifiés**

Le commentaire de la Cour met en lumière la hiérarchie des besoins de protection entre les différentes catégories d’investisseurs selon leur compétence et leur nature. La directive dispense l’émetteur de publier un prospectus lorsque l’offre s’adresse uniquement à des investisseurs qualifiés disposant d’une expertise financière présumée par le législateur. Toutefois, le texte énumère limitativement ces catégories et mentionne les gouvernements nationaux et régionaux sans inclure explicitement les autorités administratives de rang inférieur.

Le juge européen refuse d’étendre cette dérogation aux communes, lesquelles doivent être considérées comme des investisseurs profanes nécessitant un niveau de protection élevé lors des souscriptions. Elle énonce que « les communes, qui sont des autorités locales, ne sont pas visées » par les dispositions permettant de déroger à l’obligation de transparence informative. Cette interprétation stricte des exceptions garantit que les collectivités territoriales reçoivent une information complète sur les risques financiers encourus lors de l’utilisation de fonds publics.

**B. L’exigence de transparence comme condition de fonctionnement du marché**

L’arrêt réaffirme que les objectifs de protection des investisseurs et d’efficacité des marchés imposent une application large des mécanismes de surveillance de l’information financière. L’obligation de prospectus constitue le corollaire de toute offre au public, laquelle est définie comme une communication permettant de décider d’un investissement en connaissance de cause. La Cour souligne que cette définition ne comporte aucune restriction quant à la forme de la communication ou à la qualité des destinataires sollicités.

Le dispositif final confirme que l’invitation à souscrire des actions est soumise à prospectus pourvu qu’aucune des exceptions prévues par la directive ne soit précisément caractérisée. La décision impose ainsi aux émetteurs une vigilance accrue lors des augmentations de capital, même lorsque celles-ci semblent limitées à un secteur public spécifique. La transparence demeure la règle de principe pour assurer l’intégrité des marchés de capitaux et la sécurité des transactions au sein de l’Union européenne.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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