Cour de justice de l’Union européenne, le 9 janvier 2025, n°C-627/23

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 9 janvier 2025, précise le champ d’application de l’obligation de publier un prospectus financier. Une société holding a procédé à une augmentation de capital par apports en numéraire sans publier préalablement de prospectus d’offre au public. Cette opération s’adressait exclusivement à ses actionnaires historiques, composés de communes et de provinces, pour libérer des souscriptions après une crise financière. Après la mise en liquidation de la société, deux autorités locales ont sollicité l’annulation de leurs souscriptions devant les juridictions de l’État membre. Le Tribunal de commerce francophone de Bruxelles puis la Cour d’appel de Bruxelles, le 12 avril 2022, ont rejeté cette demande en niant la qualification de valeurs mobilières. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation de Belgique, le 29 septembre 2023, a interrogé la juridiction européenne sur l’interprétation de la directive concernant le prospectus. La question visait à savoir si des actions dont la détention et la cession sont restreintes constituent des valeurs mobilières négociables. La Cour répond que de tels titres relèvent de cette notion si leur négociation n’est pas rendue impossible ou extrêmement difficile par les modalités. L’examen de cette décision conduit à analyser l’interprétation large de la négociabilité des titres (I), avant d’étudier les conséquences sur l’obligation de transparence (II).

I. Une interprétation extensive de la négociabilité des titres de capital

A. La prédominance de la nature de l’instrument financier

La Cour souligne que la notion de valeurs mobilières doit être interprétée de manière large afin de garantir la protection efficace des investisseurs sur le marché. Elle rappelle que les actions de sociétés figurent explicitement parmi les exemples de titres négociables sur le marché des capitaux fournis par le droit de l’Union. Selon le juge européen, cette qualification ne dépend pas de l’absence totale de restrictions particulières concernant les caractéristiques des détenteurs ou la cession des titres. L’arrêt précise que les « titres négociables sur le marché des capitaux » doivent inclure les actions dont la cession n’est pas interdite par les clauses statutaires. Cette approche privilégie la substance de l’instrument sur les modalités contractuelles de sa circulation pour maintenir l’unité du régime juridique des titres de capital.

B. Le critère de l’accessibilité résiduelle au marché

La juridiction subordonne la qualification de valeur mobilière à l’absence de restrictions rendant la négociabilité « impossible ou extrêmement difficile » entre l’offreur et des investisseurs potentiels. Elle estime qu’une clause d’agrément du conseil d’administration ne suffit pas à exclure un titre du marché si des transactions régulières restent juridiquement envisageables. Le juge distingue cette situation d’une procédure d’exécution forcée où la vente ne vise pas à participer à une activité économique normale sur le marché financier. Tant qu’un nombre non négligeable d’investisseurs peut acquérir les titres, la négociabilité subsiste malgré les obstacles procéduraux posés par les statuts de la société. Cette souplesse favorise le maintien d’une protection élevée pour les opérations financières réalisées au sein de l’espace européen, justifiant ainsi l’obligation de transparence.

II. L’application rigoureuse de l’obligation de transparence aux offres publiques

A. L’assimilation des autorités locales à des investisseurs non qualifiés

Le juge européen refuse d’étendre la dispense de prospectus aux autorités locales en précisant que ces dernières ne constituent pas des investisseurs qualifiés par principe général. Il observe que la directive énumère limitativement les gouvernements nationaux et régionaux parmi les professionnels de la finance exemptés de certaines obligations de publicité préalable. Les communes ne sont pas visées par cette liste dérogatoire et doivent donc bénéficier des informations complètes prévues par les mécanismes de protection des épargnants. L’arrêt confirme que toute offre adressée à des acteurs publics locaux est une « offre au public » nécessitant la rédaction d’un document d’information financier. Cette solution écarte une interprétation restrictive des besoins de protection des personnes morales de droit public intervenant dans le secteur des investissements mobiliers.

B. La portée protectrice de la publication d’un prospectus

L’obligation de publier un prospectus permet à l’investisseur de décider de souscrire des valeurs mobilières en disposant d’une information suffisante sur les conditions de l’opération. La Cour rappelle que cet impératif s’applique même lorsque l’offre est adressée à titre onéreux aux seuls actionnaires déjà présents au capital de la société. Cette exigence de transparence assure le bon fonctionnement des marchés en prévenant les asymétries d’information entre l’émetteur et ses partenaires territoriaux. En l’absence d’une exception explicitement prévue par le texte européen, la sécurité juridique impose la diffusion de données fiables lors de chaque émission d’actions. La décision renforce ainsi la responsabilité des émetteurs dans la gestion de l’appel à l’épargne publique au sein du marché intérieur des capitaux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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