La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 9 juillet 2020, précise l’application des règles de compétence en matière délictuelle. Cette décision concerne l’interprétation de l’article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012 relatif à la compétence judiciaire en matière civile et commerciale. Un constructeur automobile a installé un logiciel manipulant les données d’émission sur des moteurs produits dans un premier État membre. Des consommateurs ont acquis ces véhicules viciés auprès de tiers dans un second État membre avant la révélation publique de cette fraude. Une association agissant pour le compte des acheteurs a saisi le tribunal régional de Klagenfurt le 6 septembre 2018 contre la société productrice. La demanderesse sollicite l’indemnisation de la perte de valeur marchande des véhicules tandis que la défenderesse soulève une exception d’incompétence internationale. Le tribunal régional de Klagenfurt a sursis à statuer le 17 avril 2019 pour interroger la Cour sur la localisation du lieu de dommage. Le problème juridique porte sur la détermination de la compétence juridictionnelle lorsqu’un préjudice patrimonial découle de l’achat d’un bien défectueux à l’étranger. La Cour affirme que « le lieu de la matérialisation du dommage se situe » dans l’État membre où les véhicules ont été acquis.
I. L’IDENTIFICATION DU LIEU DE MATÉRIALISATION DU DOMMAGE INITIAL
A. La caractérisation d’un dommage matériel immédiat
La Cour distingue les préjudices purement financiers des dommages affectant un bien matériel pour fonder la compétence du lieu de situation de la chose. Elle précise que « le fait que la demande de dommages et intérêts soit exprimée en euros ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse d’un préjudice purement patrimonial ». Le préjudice allégué consiste ici en une moins-value des véhicules résultant de la différence entre le prix payé et la valeur réelle des biens. Bien que les véhicules soient affectés d’un vice dès l’installation du logiciel, le dommage ne se réalise qu’au moment de la transaction financière. Les juges soulignent ainsi que « le dommage invoqué ne s’est matérialisé qu’au moment de l’achat desdits véhicules » par l’acquisition pour un prix excessif. Cette analyse écarte la qualification de dommage consécutif, lequel ne permettrait pas de déroger au principe du domicile du défendeur en matière civile.
B. La localisation du préjudice au jour de l’acquisition
Le rattachement territorial s’opère au lieu où le patrimoine de l’acquéreur est effectivement atteint par l’entrée d’un actif vicié dans sa sphère juridique. La décision retient que « le lieu de la matérialisation du dommage se situe » dans l’État membre où le consommateur a réalisé son achat. Cette solution permet de fixer un critère de rattachement unique et identifiable, évitant ainsi la dispersion des litiges devant plusieurs juridictions nationales. L’évènement causal, situé au siège du constructeur, coexiste avec le lieu de survenance du dommage pour offrir au demandeur une option de compétence. Cette dualité de fors respecte la jurisprudence classique tout en l’adaptant aux spécificités techniques des produits industriels circulant librement sur le marché.
II. LA CONCILIATION ENTRE PRÉVISIBILITÉ JURIDIQUE ET PROXIMITÉ
A. La protection de la sécurité juridique du défendeur
L’interprétation retenue favorise la sécurité juridique en permettant au constructeur de prévoir raisonnablement les juridictions devant lesquelles il pourrait être attrait. En commercialisant sciemment des produits non conformes, l’entreprise « peut raisonnablement s’attendre à être attrait devant les juridictions » des États de commercialisation. Cette prévisibilité est essentielle pour garantir l’efficacité des règles de compétence spéciales et éviter les forums shopping abusifs au détriment des entreprises. La Cour protège ainsi l’équilibre entre les intérêts des victimes et la nécessité pour le défendeur de ne pas subir de procédures imprévisibles. Le lieu d’acquisition devient le point de contact légitime entre le fait dommageable initial et la victime finale subissant la perte de valeur.
B. L’objectif de bonne administration de la justice
La proximité géographique facilite la bonne administration de la justice en permettant au juge saisi d’apprécier les conditions locales du marché concerné. Les juridictions nationales du lieu de l’achat sont « susceptibles d’avoir le plus facilement accès aux moyens de preuve nécessaires » aux évaluations. Cette solution s’harmonise enfin avec le règlement Rome II, où le lieu du dommage correspond au pays affecté par l’acte de concurrence déloyale. La cohérence entre la compétence juridictionnelle et la loi applicable renforce la clarté du droit international privé pour les litiges de masse. En définitive, cette décision assure une protection efficace des consommateurs tout en maintenant une structure rigoureuse des fors spéciaux prévus par le règlement.