Par un arrêt du 9 juin 2011, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’articulation entre le droit de l’Union en matière d’assurance automobile obligatoire et les régimes nationaux de responsabilité civile. En l’espèce, l’enfant mineur des requérants est décédé à la suite d’une collision entre sa bicyclette et un véhicule automoteur. Il a été établi que l’enfant circulait à contresens et n’avait pas respecté les règles de priorité. Les parents de la victime ont engagé une action en indemnisation contre l’assureur du véhicule impliqué. Leur demande a été rejetée en première instance puis en appel, les juridictions du fond ayant considéré que l’accident était exclusivement imputable à la faute de la jeune victime, exonérant ainsi le conducteur de toute responsabilité, y compris sur le fondement du risque. Saisi d’un pourvoi, le Supremo Tribunal de Justiça du Portugal a sursis à statuer afin de demander à la Cour de justice si les directives européennes relatives à l’assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile s’opposaient à une législation nationale permettant d’écarter ou de limiter le droit à indemnisation de la victime en raison de sa contribution, même exclusive, à la survenance de son propre dommage. La Cour répond que les directives « ne s’opposent pas à des dispositions nationales relevant du droit de la responsabilité civile qui permettent d’exclure ou de limiter le droit de la victime d’un accident de réclamer une indemnisation », dès lors que cette limitation repose sur « une appréciation individuelle de la contribution exclusive ou partielle de cette victime à son propre dommage ».
La Cour de justice réaffirme ainsi la compétence des États membres pour définir les contours de la responsabilité civile (I), tout en précisant la portée de la protection accordée aux victimes par le droit de l’Union (II).
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I. La compétence maintenue des États membres en matière de responsabilité civile
La Cour de justice rappelle que les directives sur l’assurance automobile n’ont pas pour objet d’harmoniser les régimes de responsabilité civile, confirmant ainsi une distinction fondamentale entre l’obligation d’assurance et l’étendue de la réparation (A). Elle en déduit qu’une limitation de l’indemnisation fondée sur la contribution de la victime est compatible avec les objectifs du droit de l’Union (B).
A. La distinction entre obligation d’assurance et étendue de l’indemnisation
L’arrêt souligne avec clarté que le droit de l’Union impose aux États membres une obligation de garantir la couverture d’assurance pour la responsabilité civile, mais ne définit pas cette dernière. La Cour juge en effet que « l’obligation de couverture par l’assurance de la responsabilité civile des dommages causés aux tiers […] est distincte de l’étendue de l’indemnisation de ces derniers au titre de la responsabilité civile de l’assuré ». La première est donc garantie par le droit de l’Union, tandis que la seconde demeure régie, pour l’essentiel, par le droit national.
Cette solution réitère une jurisprudence constante selon laquelle les États membres restent libres, en l’état actuel du droit, de « déterminer le régime de responsabilité civile applicable aux sinistres résultant de la circulation des véhicules ». Le droit de l’Union vise à assurer qu’une victime bénéficie d’un traitement comparable quel que soit le lieu de l’accident, en lui garantissant un recours contre un assureur, mais non à uniformiser les conditions d’engagement de la responsabilité de l’auteur du dommage.
B. La compatibilité d’une appréciation de la contribution de la victime
En conséquence logique de cette autonomie procédurale et substantielle, la Cour valide un régime national qui module le droit à indemnisation selon le comportement de la victime. Elle observe que le droit portugais n’écarte la responsabilité pour risque du conducteur que « lorsque l’accident est exclusivement imputable à la victime » et prévoit une réduction proportionnelle de l’indemnisation en cas de faute ayant contribué au dommage.
Un tel mécanisme n’est pas jugé contraire à l’effet utile des directives. La Cour considère qu’une telle législation « n’a donc pas pour effet, en cas de contribution de la victime à son propre dommage, d’exclure d’office ou de limiter de manière disproportionnée son droit […] à une indemnisation ». L’essentiel est que la responsabilité civile, telle que déterminée par le droit national, soit effectivement couverte par une assurance, ce qui demeure le cas en l’espèce.
La Cour trace ainsi une frontière claire entre la garantie d’assurance et les règles de fond de la responsabilité, marquant les limites de l’harmonisation européenne en matière de protection des victimes d’accidents de la circulation.
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II. La portée circonscrite de la protection des victimes en droit de l’Union
Cette décision permet à la Cour de justice de clarifier la portée de sa jurisprudence antérieure relative aux limitations du droit à indemnisation (A) et de consacrer le principe d’une appréciation individualisée de la contribution de la victime à son dommage (B).
A. La clarification de la jurisprudence relative aux clauses d’exclusion
L’arrêt se distingue de solutions antérieures, notamment l’arrêt *Candolin*, dans lequel la Cour avait censuré une réglementation nationale qui, sur la base de critères généraux et abstraits, limitait de manière disproportionnée l’indemnisation en raison de la contribution de la victime à son propre dommage. La Cour précise ici que ces affaires concernaient des limitations issues de dispositions relatives à l’assurance elle-même.
Dans la présente espèce, la limitation du droit à indemnisation ne découle pas d’une clause contractuelle ou d’une disposition légale spécifique au droit des assurances, mais « d’une limitation de la responsabilité civile du conducteur assuré, en vertu du régime de responsabilité civile applicable ». La distinction est capitale : ce n’est pas la couverture d’assurance qui est limitée, mais le principe même de la responsabilité qui est écarté ou réduit en amont, ce que le droit de l’Union n’interdit pas.
B. La consécration de l’appréciation individualisée de la contribution de la victime
La Cour insiste sur le fait que l’indemnisation ne peut être limitée que sur la base d’une « appréciation individuelle ». Elle s’oppose à des règles qui refuseraient « le droit d’être indemnisée par l’assurance automobile obligatoire » ou le limiteraient « d’une façon disproportionnée » sur le seul fondement de la contribution de la victime, par le biais de « critères généraux et abstraits ».
Ainsi, un droit national qui permet au juge d’analyser les circonstances concrètes de l’accident pour déterminer si la faute de la victime, fût-elle mineure, a joué un rôle causal exclusif ou partiel, est parfaitement conforme au droit de l’Union. En validant cette approche, la Cour reconnaît que la protection des victimes, bien que fondamentale, ne saurait conduire à une objectivation totale de la réparation qui ignorerait le comportement de la victime elle-même.