Par un arrêt du 9 juin 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le périmètre de la coopération judiciaire en matière pénale. En l’espèce, un ressortissant hongrois avait été condamné pénalement par une juridiction autrichienne. Les autorités autrichiennes ont alors transmis les informations relatives à cette condamnation à l’autorité centrale hongroise en vue de leur inscription au casier judiciaire. Conformément au droit national hongrois, une procédure spéciale de reconnaissance judiciaire de la décision étrangère a été initiée, nécessitant la traduction du jugement autrichien. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la prise en charge des frais de cette traduction, se demandant si la procédure spéciale relevait de la notion de « procédures pénales » au sens de la directive 2010/64/UE, laquelle garantit la gratuité de la traduction des documents essentiels. Le droit hongrois prévoyait en effet de mettre ces frais à la charge de la personne condamnée. Le problème de droit soumis à la Cour était donc double : il s’agissait de déterminer si une procédure nationale de reconnaissance judiciaire, préalable à l’inscription d’une condamnation étrangère au casier judiciaire, entrait dans le champ d’application du droit à la traduction gratuite, et plus fondamentalement, si une telle procédure était compatible avec le droit de l’Union. La Cour répond par la négative à la première question et, allant au-delà de la demande initiale, juge une telle procédure contraire aux instruments de coopération européenne. Elle considère que la directive 2010/64/UE ne s’applique pas à une procédure de reconnaissance post-sententielle, car son objectif est de garantir les droits de la défense jusqu’à la détermination définitive de la culpabilité. Surtout, elle estime que la décision-cadre 2009/315/JAI et la décision 2009/316/JAI, qui organisent l’échange d’informations entre casiers judiciaires, s’opposent à la mise en place d’une procédure judiciaire nationale de reconnaissance.
La solution retenue par la Cour opère une distinction claire entre la phase de jugement et la phase d’exécution administrative des condamnations, limitant strictement le droit à la traduction gratuite à la première (I), tout en affirmant la primauté du système d’échange d’informations de l’Union sur les formalités nationales de reconnaissance (II).
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**I. Une application restrictive du droit à la traduction aux seules procédures de jugement**
La Cour de justice circonscrit le bénéfice de la directive 2010/64/UE à la seule procédure visant à établir la culpabilité, en se fondant sur une interprétation littérale de la notion de « procédure pénale » (A) et sur une approche finaliste axée sur la protection des droits de la défense (B).
**A. L’exclusion des procédures post-sententielles du champ de la directive**
La Cour procède à une lecture rigoureuse du champ d’application matériel de la directive 2010/64/UE. L’article 1er, paragraphe 2, de ce texte prévoit que le droit à l’interprétation et à la traduction « s’applique aux personnes dès le moment où elles sont informées par les autorités compétentes d’un État membre […] qu’elles sont suspectées ou poursuivies pour avoir commis une infraction, jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si elles ont commis l’infraction ». Une procédure spéciale de reconnaissance d’un jugement étranger, telle que celle prévue par le droit hongrois, intervient nécessairement après que la condamnation est devenue définitive. Elle se situe donc en dehors du périmètre temporel défini par la directive. Le raisonnement de la Cour est purement séquentiel : la finalité de la procédure hongroise n’est pas de statuer sur la responsabilité pénale, mais d’organiser les effets administratifs d’une décision déjà rendue et passée en force de chose jugée. En conséquence, cette procédure ne peut être qualifiée de « procédure pénale » au sens du texte européen, qui vise exclusivement la phase d’instruction et de jugement de l’infraction.
**B. Une garantie cantonnée à la préservation d’un procès équitable**
L’interprétation de la Cour est confortée par une analyse téléologique de la directive. Celle-ci a pour objectif, ainsi que le rappellent ses considérants, de « garantir le droit des suspects ou des personnes poursuivies à bénéficier de services d’interprétation et de traduction […] afin de garantir leur droit à un procès équitable ». La traduction des documents essentiels, notamment du jugement, est un instrument au service de l’exercice effectif des droits de la défense, comme le droit de faire appel. Or, dans le cas d’espèce, la Cour relève que la personne condamnée avait déjà obtenu une traduction du jugement autrichien, lui permettant de comprendre sa condamnation et d’envisager les voies de recours. Une seconde traduction dans le cadre de la procédure de reconnaissance hongroise ne présentait donc aucune utilité pour la protection de ses droits fondamentaux. Elle ne répondait qu’à une exigence administrative de la juridiction hongroise. En refusant d’étendre la gratuité à cette seconde traduction, la Cour veille à ce que la charge financière imposée aux États membres par la directive reste proportionnée à son objectif, qui est la garantie d’un procès équitable et non la facilitation des formalités administratives internes.
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**II. L’incompatibilité de la procédure de reconnaissance nationale avec le système européen d’échange d’informations**
Au-delà de la question de la traduction, la Cour examine la compatibilité même de la procédure spéciale hongroise avec le droit de l’Union, concluant qu’elle est contraire au mécanisme de l’ECRIS (A) et au principe de reconnaissance mutuelle qui le sous-tend (B).
**A. La négation de l’effet utile du système d’information sur les casiers judiciaires**
La Cour rappelle que la décision-cadre 2009/315/JAI et la décision 2009/316/JAI ont pour but de mettre en place « un système rapide et efficace d’échanges d’informations relatives aux condamnations pénales ». Ce système, connu sous l’acronyme ECRIS, repose sur la transmission électronique d’informations standardisées entre les autorités centrales des États membres, au moyen de codes numériques pour les infractions et les peines. L’objectif est précisément de « simplifier les procédures de transfert de pièces » et de permettre une « traduction automatique » afin d’améliorer la compréhension mutuelle. La Cour juge qu’une procédure judiciaire nationale qui exige systématiquement la transmission du jugement intégral et sa traduction pour permettre l’inscription au casier judiciaire prive ce mécanisme de son effet utile. Une telle formalité « est susceptible de ralentir fortement cette inscription, de complexifier les échanges d’informations entre les États membres » et de rendre inutile le système de codification prévu. La procédure hongroise apparaît dès lors comme une survivance d’un système de coopération ancien, que les instruments européens visaient précisément à remplacer.
**B. La consécration du principe de reconnaissance mutuelle pour l’enregistrement des condamnations**
En invalidant la procédure spéciale hongroise, la Cour donne sa pleine portée au principe de reconnaissance mutuelle, pilier de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Elle affirme que l’inscription au casier judiciaire par l’État de nationalité « doit intervenir directement sur la base de la transmission par l’autorité centrale de ce dernier État membre, au moyen de l’ECRIS, des informations relatives à ces condamnations ». Soumettre cette inscription à une procédure de reconnaissance judiciaire préalable constitue une entrave injustifiée à ce principe. Bien que l’article 4, paragraphe 4, de la décision-cadre 2009/315 permette de demander copie des condamnations « dans des cas particuliers », la Cour souligne qu’il s’agit d’une exception qui ne saurait justifier une exigence systématique. L’arrêt affirme ainsi que la confiance mutuelle entre systèmes judiciaires impose qu’une condamnation prononcée dans un État membre soit reconnue et enregistrée dans un autre sans qu’une juridiction nationale n’ait à interposer un filtre de validation. Cette solution, fondée sur l’article 82 du TFUE, a une portée considérable, car elle impose aux États membres de démanteler toute procédure d’exequatur pour l’enregistrement des condamnations pénales européennes dans leur casier judiciaire.