Cour de justice de l’Union européenne, le 9 juin 2016, n°C-78/16

L’arrêt rendu le 9 juin 2016 par la Cour de justice de l’Union européenne, en réponse à une demande de décision préjudicielle du Tribunale amministrativo regionale per il Lazio, porte sur la validité des mesures d’urgence destinées à lutter contre la propagation de la bactérie *Xylella fastidiosa*. En l’espèce, des propriétaires de terrains agricoles situés dans les Pouilles, en Italie, se sont vu notifier par les autorités régionales des ordres d’abattage de leurs oliviers. Ces mesures, prises en application du droit national qui transposait une décision d’exécution de la Commission européenne, imposaient l’enlèvement non seulement des végétaux infectés, mais également de tous les végétaux hôtes, même sains, dans un rayon de 100 mètres autour des plantes contaminées. Les propriétaires concernés ont contesté ces ordres devant la juridiction administrative italienne, arguant que la décision d’exécution européenne sous-jacente était invalide au regard de plusieurs principes fondamentaux du droit de l’Union. Saisis de ce litige, les juges italiens ont décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur la compatibilité de ladite décision avec la directive phytosanitaire 2000/29/CE, les principes de précaution et de proportionnalité, l’obligation de motivation et le droit de propriété, notamment en l’absence de régime d’indemnisation. La question posée à la Cour était donc de savoir si l’obligation radicale d’éradiquer des végétaux sains à titre préventif, dans un périmètre défini et sans indemnisation expressément prévue par l’acte européen, constituait une mesure légale au regard des objectifs de protection sanitaire de l’Union. Dans sa décision, la Cour de justice a jugé que l’examen des questions posées n’avait révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la décision d’exécution contestée.

La Cour consacre ainsi une mesure d’éradication particulièrement rigoureuse en s’appuyant sur une interprétation extensive du principe de précaution (I), tout en procédant à une mise en balance des intérêts qui subordonne clairement le droit de propriété à l’impératif de protection sanitaire de l’Union (II).

I. La validation d’une mesure d’éradication radicale fondée sur le principe de précaution

La Cour de justice justifie le caractère drastique de la mesure d’abattage en se fondant sur une application rigoureuse du principe de précaution, qui autorise une action des pouvoirs publics même en présence d’incertitudes scientifiques (A), et valide la pertinence du périmètre d’action retenu par la Commission (B).

A. L’incertitude scientifique comme fondement de l’action préventive

Les requérants au principal mettaient en doute la légalité des mesures d’éradication en l’absence de preuve scientifique certaine établissant un lien de causalité direct entre la bactérie *Xylella* et le dessèchement des oliviers. La Cour rejette cet argument en rappelant la portée du principe de précaution, selon lequel « lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées ». Pour la Cour, le fait que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ait mis en évidence une « corrélation significative » entre la bactérie et la pathologie, sans pour autant établir une certitude absolue, suffit à justifier l’adoption de mesures restrictives. Loin de paralyser l’action de l’Union, l’incertitude scientifique devient ici le moteur de l’intervention, la probabilité d’un dommage réel pour la santé végétale à l’échelle de l’Union primant sur la nécessité d’une démonstration irréfutable. La Cour confirme ainsi que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans la gestion des risques phytosanitaires, et que son action ne peut être censurée que si elle apparaît manifestement erronée au vu des éléments disponibles au moment de l’adoption de la réglementation.

B. La justification de l’étendue de la zone d’abattage systématique

La validité de la mesure reposait également sur la justification de son étendue, à savoir l’obligation d’enlever tous les végétaux hôtes, même sains, dans un rayon de 100 mètres. La Cour s’appuie de nouveau sur l’avis de l’EFSA, qui considérait cette distance comme « une distance de dispersion qui semble appropriée » pour les insectes vecteurs de la bactérie. Plus encore, la Cour valide l’obligation d’abattre des végétaux asymptomatiques en se référant au risque posé par la période de latence de la maladie. L’avis scientifique soulignait en effet que la bactérie est difficile à détecter sur des végétaux récemment contaminés ou exempts de symptômes. Par conséquent, l’enlèvement des seuls végétaux infectés aurait été insuffisant pour atteindre l’objectif d’éradication. La Cour cite l’avis de l’EFSA qui conclut qu’« il est essentiel, lors de l’éradication de végétaux reconnus comme étant infectés, de détruire également tous les autres végétaux se trouvant dans leur voisinage ». En adoptant ce raisonnement, la Cour légitime une mesure qui, par sa nature même, impose la destruction de biens sains sur la base d’une présomption de risque, considérant que toute approche moins contraignante serait inapte à enrayer efficacement la propagation de l’organisme nuisible.

Cette approche, qui privilégie une sécurité sanitaire maximale, conduit la Cour à effectuer un contrôle de proportionnalité favorable à l’intérêt général européen, malgré les atteintes portées aux droits des particuliers.

II. Un contrôle de proportionnalité pragmatique au service de l’intérêt général européen

La Cour de justice examine la proportionnalité de la mesure en procédant à une mise en balance des intérêts en présence, qui consacre la primauté de l’objectif phytosanitaire sur le droit de propriété (A), tout en dissociant la validité de la mesure de la question de l’indemnisation des propriétaires lésés (B).

A. La primauté de l’intérêt général phytosanitaire sur le droit de propriété

Face à l’atteinte indéniable portée au droit de propriété des agriculteurs, la Cour met en balance cet intérêt privé avec l’intérêt général consistant à assurer une protection efficace du territoire de l’Union contre la propagation de la bactérie. Elle estime que les conséquences économiques, sociales et environnementales de la mesure dans la région des Pouilles, bien que sérieuses, ne sont pas démesurées par rapport au but visé. La Cour souligne que la Commission a fait preuve d’une certaine gradation dans sa réponse, les mesures ayant été renforcées face à l’expansion de l’épizootie. De plus, la mesure n’est pas appliquée uniformément, une dérogation étant prévue pour la province de Lecce où l’éradication n’est plus jugée possible, ce qui démontre, selon la Cour, que le dispositif est adapté à l’évolution de la situation. En refusant de considérer comme des alternatives viables des mesures moins contraignantes telles que la taille ou l’application de traitements, jugées inefficaces par l’EFSA, la Cour confirme que la protection du marché intérieur agricole et la santé végétale sur l’ensemble du territoire de l’Union constituent des objectifs légitimes qui peuvent justifier des restrictions sévères aux droits individuels.

B. L’absence de régime d’indemnisation, une question laissée à la charge des États membres

Le dernier argument des requérants portait sur l’absence, dans la décision d’exécution, de toute disposition prévoyant une indemnisation pour la perte des végétaux sains. La Cour écarte cet argument comme motif d’invalidité de l’acte. Elle rappelle qu’il n’existe pas de principe général en droit de l’Union imposant une indemnisation en toutes circonstances pour des mesures de police sanitaire. Cependant, elle prend soin de noter que l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit que nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique et « moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte ». La Cour en déduit que le droit à indemnisation découle directement de la Charte. Par conséquent, le silence de la décision d’exécution sur ce point ne peut être interprété comme excluant un tel droit. En d’autres termes, la décision n’est pas invalide pour ce motif, mais il appartiendra à l’État membre, lors de la mise en œuvre de la mesure, de garantir le respect de l’article 17 de la Charte. La Cour opère ainsi une dissociation entre la validité de la mesure phytosanitaire, qui relève de la compétence de l’Union, et la charge de l’indemnisation, qui incombe aux autorités nationales en application d’un droit fondamental de rang supérieur.

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Hassan KOHEN
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