Cour de justice de l’Union européenne, le 9 mars 2017, n°C-573/15

Par un arrêt en date du 9 mars 2017, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’application du principe de neutralité fiscale en matière de taux de taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, une société spécialisée dans la location et la vente de concentrateurs d’oxygène avait appliqué un taux réduit de TVA à ses opérations, estimant que ces appareils devaient bénéficier du même traitement fiscal que les bonbonnes d’oxygène médical. L’administration fiscale nationale a contesté cette pratique, considérant que seul le taux normal était applicable à ces dispositifs. Après avoir obtenu gain de cause en première instance, l’État belge a interjeté appel devant la cour d’appel de Liège, laquelle a sursis à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si la directive TVA, et plus particulièrement le principe de neutralité fiscale, s’opposait à une réglementation nationale qui soumet à des taux de TVA différents deux dispositifs d’oxygénothérapie, les bonbonnes d’oxygène et les concentrateurs d’oxygène, alors que ces derniers sont fonctionnellement interchangeables et concurrents. La Cour a répondu par la négative, jugeant que le principe de neutralité fiscale ne saurait permettre d’étendre le bénéfice d’un taux réduit à des biens non explicitement visés par les catégories de l’annexe III de la directive. La solution retenue confirme ainsi une interprétation restrictive des dérogations au taux normal de TVA (I), tout en circonscrivant précisément la portée du principe de neutralité fiscale en la matière (II).

I. La consécration d’une interprétation stricte des dispositions dérogatoires

La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture rigoureuse des textes régissant l’application des taux réduits de TVA, rappelant le caractère exhaustif des catégories de biens et services éligibles (A) et subordonnant ainsi l’application du principe de neutralité fiscale au respect littéral de la directive (B).

A. Le caractère exhaustif et d’interprétation stricte de l’annexe III de la directive TVA

La Cour rappelle en premier lieu que l’application d’un taux réduit de TVA constitue une dérogation au principe selon lequel le taux normal s’applique à toutes les livraisons de biens et prestations de services. À ce titre, les États membres ne peuvent user de cette faculté que pour les catégories de biens et de services limitativement énumérées à l’annexe III de la directive TVA. Se fondant sur une jurisprudence constante, la Cour souligne que « les dispositions qui ont le caractère de dérogation à un principe doivent être interprétées de manière stricte ».

En l’occurrence, la Cour examine si les concentrateurs d’oxygène peuvent relever des points 3 ou 4 de cette annexe. Elle écarte rapidement le point 3, relatif aux « produits pharmaceutiques », en jugeant que cette notion, bien que non limitée aux seuls médicaments, ne saurait englober des équipements médicaux de cette nature. Elle constate ensuite que le point 4, qui vise les « équipements médicaux » destinés à soulager ou traiter des handicaps, impose une condition d’usage « personnel et exclusif des handicapés ». La Cour laisse à la juridiction de renvoi le soin de vérifier cette condition, mais il transparaît de son raisonnement que les concentrateurs d’oxygène, destinés à des patients souffrant d’insuffisance respiratoire, ne relèvent pas, par principe, de cette catégorie très spécifique. Faute de correspondre à une catégorie clairement définie par l’annexe, ces biens ne peuvent donc bénéficier d’un taux réduit.

B. La subordination du principe de neutralité fiscale au respect du texte

Face à l’argument tiré de l’interchangeabilité des concentrateurs et des bonbonnes d’oxygène, la Cour procède à une hiérarchisation des normes en jeu. Elle reconnaît que le principe de neutralité fiscale s’oppose à ce que des biens ou des services semblables, et donc concurrents, soient traités différemment du point de vue de la TVA. Toutefois, elle affirme avec force que ce principe ne peut prévaloir sur la lettre même de la directive.

La Cour énonce ainsi que le principe de neutralité « est non pas une règle de droit primaire pouvant déterminer la validité d’un taux réduit, mais un principe d’interprétation qui doit être appliqué parallèlement au principe selon lequel les taux réduits sont d’interprétation stricte ». En d’autres termes, le principe de neutralité ne peut servir à étendre le champ d’application d’un taux réduit au-delà des cas expressément prévus par le législateur de l’Union. Même si le consommateur perçoit les deux produits comme étant similaires, cette seule circonstance est insuffisante pour imposer une identité de traitement fiscal si l’un des produits n’entre pas dans le champ d’une des catégories de l’annexe III. Cette analyse conduit à limiter la portée du principe de neutralité en matière de taux de TVA.

II. La portée limitée du principe de neutralité en matière de taux réduits de TVA

En faisant prévaloir la lettre du texte sur la réalité économique, la Cour de justice réaffirme la primauté de la sécurité juridique (A) et clarifie par là même le rôle résiduel du principe de neutralité dans le choix opéré par les États membres d’appliquer un taux réduit (B).

A. La primauté de la sécurité juridique sur l’équivalence fonctionnelle des produits

La solution retenue par la Cour de justice a pour principal mérite de garantir la sécurité juridique pour les États membres et les assujettis. Admettre que le principe de neutralité puisse contraindre un État membre à appliquer un taux réduit à un bien non visé par l’annexe III, au seul motif de sa similitude avec un bien qui en bénéficie, ouvrirait la voie à une insécurité juridique considérable. Une telle approche imposerait aux administrations fiscales nationales et aux juges une analyse au cas par cas de l’état du marché et de la perception des consommateurs pour déterminer le taux applicable, ce qui serait contraire à l’objectif d’harmonisation et de simplicité du système de la TVA.

En refusant de se fonder sur l’équivalence fonctionnelle des produits, la Cour réaffirme que la définition du champ des taux réduits relève de choix politiques, économiques et sociaux opérés par le législateur de l’Union. Ce dernier, en adoptant l’annexe III, a procédé à des arbitrages complexes. Laisser au juge ou aux opérateurs économiques le soin de redéfinir les contours de ces catégories sur la base de critères subjectifs de substituabilité reviendrait à remettre en cause ces choix et à créer une source d’instabilité fiscale. La rigueur textuelle s’impose donc comme un rempart nécessaire à la prévisibilité de la norme fiscale.

B. La clarification du rôle du principe de neutralité fiscale

Cet arrêt permet de mieux cerner la fonction du principe de neutralité dans ce contexte précis. Il ne s’agit pas d’un principe autonome permettant de corriger les éventuelles incohérences d’une législation nationale ou européenne. Son rôle est essentiellement interprétatif : il doit guider l’application des dispositions de la directive TVA afin d’éviter des distorsions de concurrence entre des produits relevant de la même catégorie de l’annexe III. Par exemple, un État membre qui déciderait d’appliquer un taux réduit aux produits pharmaceutiques ne pourrait, sans justification objective, traiter différemment deux médicaments similaires remplissant la même fonction thérapeutique.

En revanche, le principe ne peut être invoqué pour créer un pont entre des catégories distinctes ou pour intégrer un produit dans une catégorie dont il est textuellement exclu. La Cour confirme ainsi que la charge de garantir la cohérence du système fiscal pèse sur le législateur. Si un État membre souhaite soumettre les concentrateurs d’oxygène à un taux réduit, il lui appartient de vérifier si ces biens peuvent être rattachés, sans extension abusive, à l’une des catégories existantes de l’annexe III, ou de plaider pour une modification de cette annexe au niveau de l’Union. La décision circonscrit donc le débat au strict terrain du droit positif, fermant la porte à une application extensive des taux réduits fondée sur des considérations d’équité ou de logique économique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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