Cour de justice de l’Union européenne, le 9 mars 2023, n°C-715/21

Par un arrêt en date du 9 mars 2023, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la légalité de la modification des conditions d’octroi d’une pension complémentaire volontaire pour d’anciens députés au Parlement européen. En l’espèce, plusieurs anciens députés, qui avaient cotisé à un régime de pension complémentaire volontaire, se sont vu refuser la liquidation de leur pension au motif qu’ils n’avaient pas atteint le nouvel âge de la retraite, porté de 63 à 65 ans par une décision du Bureau du Parlement européen du 10 décembre 2018. Cette décision, entrée en vigueur le 1er janvier 2019, visait à assurer la viabilité financière du fonds de pension. Les requérants ont contesté les décisions de refus devant le Tribunal de l’Union européenne, qui a rejeté leurs recours par un arrêt du 15 septembre 2021. Saisis d’un pourvoi, les anciens députés soutenaient notamment que le Bureau était incompétent pour modifier les règles du régime, que cette modification portait atteinte à leurs droits acquis ou en cours d’acquisition garantis par le statut des députés, et qu’elle violait les principes de proportionnalité, d’égalité de traitement, de sécurité juridique et de confiance légitime. La question posée à la Cour était donc de déterminer si une institution de l’Union pouvait modifier les modalités d’un régime de pension pour des affiliés n’ayant pas encore liquidé leurs droits, en particulier face à des impératifs économiques. La Cour de justice a rejeté le pourvoi, validant la démarche du Parlement. Elle a estimé que les droits des requérants n’étaient pas encore acquis mais seulement en cours d’acquisition, et que leur modification était possible sous certaines conditions. La solution retenue par la Cour, fondée sur une distinction rigoureuse entre les droits acquis et ceux en cours d’acquisition (I), réaffirme la prérogative des institutions de l’Union d’adapter les régimes de pension face à des impératifs économiques, sous le contrôle du principe de proportionnalité (II).

I. LA DISTINCTION RENFORCÉE ENTRE DROITS ACQUIS ET DROITS EN COURS D’ACQUISITION

La Cour de justice fonde son raisonnement sur une interprétation stricte de la notion de droit à pension, refusant de considérer que les expectatives des anciens députés étaient intangibles (A). Cette approche lui permet de confirmer la pleine compétence de l’organe administratif du Parlement pour réformer le régime de pension complémentaire (B).

A. L’absence de cristallisation des droits en cours d’acquisition

Les requérants soutenaient que l’article 27, paragraphe 2, du statut des députés, qui dispose que « les droits acquis ou en cours d’acquisition sont entièrement maintenus », interdisait toute modification défavorable des conditions de liquidation de leur pension. Selon eux, cette disposition avait pour effet de « figer » les règles applicables au moment de leur adhésion. La Cour écarte cette interprétation. Elle juge qu’une lecture littérale de cette phrase « ne conduit pas nécessairement à la conclusion selon laquelle le législateur a entendu “figer” les conditions d’acquisition des droits à la pension complémentaire pour l’avenir ». Pour la Cour, cette disposition est une norme transitoire dont l’unique objet était de déterminer le champ d’application personnel du régime, en le maintenant pour les députés déjà affiliés, par opposition aux nouveaux élus qui ne pouvaient plus y adhérer. Elle ne visait donc pas à garantir l’intangibilité des règles matérielles du régime pour l’avenir. La Cour s’aligne ainsi sur sa jurisprudence constante selon laquelle un droit n’est considéré comme acquis que lorsque son fait générateur s’est produit avant la modification législative. En l’espèce, le fait générateur, à savoir l’atteinte de l’âge de la retraite, ne s’était pas produit pour les requérants avant l’entrée en vigueur de la réforme. Leurs droits étaient donc simplement « en cours d’acquisition » et, à ce titre, susceptibles d’être modifiés pour l’avenir.

B. La confirmation de la compétence régulatrice du Bureau du Parlement

Les requérants contestaient également la compétence du Bureau du Parlement pour adopter une telle réforme, arguant qu’un simple organe administratif ne pouvait édicter une norme de nature législative modifiant des droits pécuniaires. La Cour rejette cet argument en qualifiant la réglementation du régime de pension complémentaire de mesure d’organisation interne. Elle estime que cette réglementation a « pour objet, dans l’intérêt général, d’assurer l’indépendance financière des députés et, par là même, le bon fonctionnement du Parlement ». Par conséquent, elle relève de la compétence générale attribuée au Bureau par l’article 25, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement, qui lui confie le soin de régler « les questions financières, d’organisation et administratives concernant les députés ». De plus, la Cour note que les conditions de paiement des pensions complémentaires ne figurent pas dans le statut des députés lui-même, mais dans les mesures d’application de ce statut, ce qui confirme la compétence de l’organe administratif pour les édicter et les modifier. Cette analyse consacre une conception large des pouvoirs du Bureau en matière de gestion administrative et financière des députés, y compris lorsque ses décisions ont des incidences substantielles sur leur situation.

II. LA PRIMAUTÉ DE L’INTÉRÊT GÉNÉRAL SOUS LE SCEAU DE LA PROPORTIONNALITÉ

Une fois admise la possibilité de modifier les droits en cours d’acquisition, la Cour valide les justifications avancées par le Parlement, les considérant comme un objectif légitime d’intérêt général (A). Elle en déduit une application restrictive des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, qui ne sauraient faire obstacle à une réforme jugée nécessaire (B).

A. La légitimation des modifications par la viabilité économique du régime

La Cour examine ensuite la proportionnalité des mesures litigieuses, à savoir le report de l’âge de la retraite à 65 ans et l’instauration d’un prélèvement de 5 %. Elle reconnaît d’emblée la légitimité des objectifs poursuivis par le Parlement, qui étaient, selon les termes de la décision de 2018, d’« améliorer la viabilité du fonds de pension complémentaire volontaire, […] remédier au problème croissant de liquidité, […] réduire le déficit actuariel et […] restreindre les conséquences négatives pour le contribuable européen ». La Cour considère que la nécessité de garantir l’équilibre financier et la pérennité d’un régime de pension constitue un objectif d’intérêt général suffisant pour justifier une atteinte aux intérêts des affiliés. Elle estime que les mesures adoptées n’étaient pas « manifestement inappropriées » pour atteindre ces objectifs, dans la mesure où elles contribuaient à réduire le déficit actuariel et à mieux répartir la charge financière. Ce faisant, la Cour opère une mise en balance des intérêts en présence qui favorise clairement l’intérêt collectif à la sauvegarde du régime par rapport aux attentes individuelles des futurs pensionnés. La Cour rejette également l’argument tiré de la violation du principe d’égalité de traitement, en soulignant que la situation des députés dont les droits n’étaient pas encore exigibles était différente de celle des retraités qui percevaient déjà leur pension, justifiant ainsi une différence de traitement.

B. Une conception restrictive de la confiance légitime et de la sécurité juridique

Enfin, la Cour écarte les arguments tirés de la violation de la confiance légitime et de la sécurité juridique. Sur le premier point, elle rappelle que la protection de la confiance légitime suppose que l’administration ait fourni des « assurances précises, inconditionnelles et concordantes » quant au maintien d’une réglementation. Or, en l’espèce, les requérants ne pouvaient se prévaloir d’aucune assurance de ce type ; la seule existence d’une réglementation à un moment donné ne crée pas une confiance légitime en son maintien indéfini. Sur le second point, relatif à l’absence de mesures transitoires, la Cour estime que le principe de sécurité juridique n’a pas été violé, car la réforme n’avait pas d’effet rétroactif : elle ne s’appliquait qu’aux effets futurs de situations non encore consolidées. De plus, elle ajoute qu’un « intérêt public péremptoire », tel que la viabilité financière du fonds, « peut s’opposer à l’adoption de mesures transitoires ». Cette position confirme une tendance jurisprudentielle qui limite fortement la possibilité pour les administrés d’invoquer la stabilité de la norme, dès lors qu’un intérêt public jugé supérieur justifie une adaptation de la législation. La portée de cet arrêt est donc significative : il envoie un signal clair sur la marge de manœuvre dont disposent les institutions de l’Union pour réformer les régimes sociaux dont elles ont la charge, même lorsque ces réformes affectent défavorablement les attentes des bénéficiaires.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture