Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié l’étendue du droit au recours pour un tiers dont les biens sont saisis dans le cadre d’une procédure douanière administrative. Cette décision précise les garanties procédurales offertes par le droit de l’Union face à des mesures de sanction qui affectent le patrimoine de personnes non auteures de l’infraction.
En l’espèce, les autorités douanières bulgares ont découvert une tentative d’importation non autorisée de marchandises depuis la Turquie. Les biens étaient transportés dans un ensemble routier, composé d’un poids lourd et d’une semi-remorque. Une procédure pénale a été initiée puis classée sans suite faute de preuves suffisantes pour identifier les auteurs. Le dossier a ensuite été transmis aux autorités douanières pour engager une procédure de sanction administrative. Celles-ci ont émis une décision à l’encontre d’un auteur inconnu, ordonnant la saisie des marchandises de contrebande ainsi que de l’ensemble routier utilisé pour le transport. La société propriétaire de ces véhicules, étrangère à l’infraction, a formé un recours contre cette décision de saisie.
La juridiction de première instance, le Rayonen sad Svilengrad (tribunal d’arrondissement de Svilengrad, Bulgarie), a déclaré ce recours irrecevable au motif que, selon le droit national, seuls l’auteur de l’infraction ou une personne réclamant une indemnisation disposaient d’un intérêt à agir. La société propriétaire a interjeté appel de cette ordonnance d’irrecevabilité devant l’Administrativen sad – Haskovo (tribunal administratif de Haskovo, Bulgarie). Cette dernière juridiction, constatant que le droit bulgare semblait effectivement exclure tout recours pour le propriétaire tiers dans une telle situation, a décidé de surseoir à statuer. Elle a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles visant à déterminer si le droit de l’Union, et notamment le code des douanes de l’Union, s’opposait à une telle restriction du droit d’accès à un juge.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à savoir si l’article 44 du code des douanes de l’Union, garantissant un droit de recours contre les décisions douanières, doit être interprété en ce sens qu’il impose aux États membres d’ouvrir une voie de recours au propriétaire d’un bien saisi, bien que ce dernier ne soit pas l’auteur de l’infraction administrative et que la législation nationale ne lui reconnaisse pas la qualité pour agir.
La Cour de justice répond par l’affirmative en ce qui concerne le code des douanes, tout en écartant l’application d’autres instruments relatifs à la matière pénale. Elle juge que la saisie constitue une « décision » au sens du code, affectant « directement et individuellement » la société propriétaire, qui doit par conséquent bénéficier d’un droit de recours. La Cour estime que la réglementation nationale est incompatible avec le droit de l’Union en ce qu’elle prive une personne directement touchée par une sanction de la possibilité de la contester. Cette solution renforce les garanties procédurales en matière douanière, tout en maintenant une distinction claire avec le droit pénal.
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**I. La consécration d’un droit au recours autonome pour le tiers propriétaire en matière douanière**
La Cour de justice fonde sa solution sur une interprétation large des garanties procédurales prévues par le code des douanes de l’Union, assurant ainsi une protection effective des droits des personnes affectées par les décisions des autorités douanières. Cette approche repose sur une qualification extensive de la notion de décision (A) qui emporte la primauté des voies de recours organisées par le droit de l’Union (B).
**A. Une qualification extensive de la décision douanière affectant un tiers**
La Cour commence son raisonnement par l’analyse de la notion de « décision » au sens du droit douanier de l’Union. Elle rappelle que l’article 5, point 39, du code des douanes de l’Union la définit comme « tout acte concernant la législation douanière pris par une autorité douanière statuant sur un cas donné et qui a des effets de droit sur la ou les personnes concernées ». La Cour constate que la décision de sanction administrative, bien que formellement prise à l’encontre d’un auteur inconnu, produit des effets juridiques concrets sur la société propriétaire du camion et de la remorque, puisque ses biens ont été saisis. Par conséquent, cet acte entre bien dans la catégorie des décisions douanières.
Ensuite, la Cour examine si la société peut être considérée comme « directement et individuellement » concernée, condition posée par l’article 44 du même code pour ouvrir le droit au recours. Elle juge que la privation de propriété résultant de la saisie de ses véhicules constitue une affectation suffisamment directe et personnelle de sa situation juridique. Peu importe que la décision ne lui soit pas formellement adressée ; ses effets de droit incontestables sur son patrimoine suffisent à la rendre directement concernée. Cette interprétation pragmatique permet de dépasser le formalisme de la législation nationale, qui liait le droit de recours à la seule qualité d’auteur de l’infraction.
**B. La primauté du droit au recours organisé par le code des douanes de l’Union**
Une fois la décision qualifiée et la société propriétaire identifiée comme personne directement et individuellement concernée, la Cour de justice en tire la conséquence logique : le droit au recours prévu à l’article 44 du code des douanes de l’Union doit s’appliquer. Cet article impose aux États membres d’assurer l’existence d’une voie de recours effective contre les décisions des autorités douanières. Or, la réglementation bulgare, en limitant l’accès au juge aux seuls auteurs de l’infraction, faisait obstacle à l’exercice de ce droit garanti par le droit de l’Union.
La Cour réaffirme ainsi le principe de primauté du droit de l’Union sur les dispositions nationales contraires. Une règle de procédure nationale ne peut avoir pour effet de rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union. En l’espèce, l’absence de voie de recours pour le propriétaire tiers vidait de sa substance le droit à une protection juridictionnelle effective. La Cour conclut donc que l’article 44 du code « s’oppose à une réglementation nationale qui ne prévoit pas de droit de recours contre une décision de sanction administrative pour une personne dont les biens ont été saisis ». Cette solution claire impose une obligation de conformité aux États membres, qui doivent garantir l’accès à un tribunal à toute personne dont les droits patrimoniaux sont touchés par une sanction douanière.
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**II. Le maintien d’une frontière étanche avec les instruments de coopération pénale**
Alors qu’elle adopte une lecture large des garanties du droit douanier, la Cour se montre beaucoup plus restrictive quant à l’application des instruments de coopération pénale, refusant de les transposer à une situation de nature purement administrative. Elle écarte ainsi l’application de la décision-cadre sur la confiscation (A), ce qui confirme une approche rigoureuse de la délimitation des régimes juridiques (B).
**A. L’inapplicabilité de la décision-cadre relative à la confiscation des produits du crime**
La juridiction de renvoi interrogeait également la Cour sur l’applicabilité de la décision-cadre 2005/212/JAI relative à la confiscation des produits du crime. La Cour rejette fermement cette hypothèse en s’appuyant sur le champ d’application strict de cet instrument. Elle souligne que le texte vise exclusivement les « infractions pénales » passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an. Or, en l’occurrence, la procédure était de nature administrative, la procédure pénale initiale ayant été classée.
De plus, la Cour se réfère à la définition de la « confiscation » telle que précisée par la directive 2014/42/UE, qui a remplacé certaines dispositions de la décision-cadre. Cette définition exige une « privation permanente d’un bien ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale ». Dans l’affaire au principal, deux conditions cumulatives font défaut : d’une part, la sanction n’a pas été prononcée par une autorité judiciaire mais par une autorité administrative ; d’autre part, elle ne se rattache pas à une infraction pénale. La Cour en conclut logiquement que la décision-cadre « ne s’applique pas à une décision relative à un acte qui ne constitue pas une infraction pénale ».
**B. Le rejet d’une interprétation par analogie et la clarification des régimes applicables**
En écartant l’application de la décision-cadre, la Cour refuse de procéder à une interprétation par analogie ou a fortiori, comme le suggérait la juridiction de renvoi. Cet instrument, qui relève de la coopération en matière pénale, a été adopté pour établir des règles minimales dans un domaine précisément délimité. L’étendre à des situations administratives reviendrait à ignorer la volonté du législateur de l’Union et à créer une confusion entre les régimes juridiques.
Cette approche, bien que restrictive, a le mérite de la clarté et de la sécurité juridique. Elle confirme que chaque branche du droit de l’Union possède ses propres instruments et ses propres garanties. La protection des droits du propriétaire tiers est assurée de manière complète par le droit douanier, sans qu’il soit nécessaire d’invoquer des textes conçus pour la lutte contre la grande criminalité. La décision de la Cour a donc pour portée de consolider le caractère autonome du droit douanier de l’Union, tout en rappelant que la protection des droits fondamentaux, tel que le droit à un recours effectif, constitue un principe transversal qui doit trouver à s’appliquer à travers les mécanismes propres à chaque domaine.