Cour de justice de l’Union européenne, le 9 novembre 2004, n°C-338/02

Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’application de la protection *sui generis* des bases de données instituée par la directive 96/9/CE. Cette décision a été rendue sur une question préjudicielle posée par le Högsta domstolen suédois, dans le cadre d’un litige portant sur l’utilisation d’informations relatives à des calendriers de rencontres de football.

En l’espèce, les organisateurs de championnats de football professionnels en Angleterre et en Écosse établissaient chaque saison des calendriers de matchs, lesquels étaient ensuite gérés sous licence par une société spécialisée. Une autre société, active dans l’organisation de jeux de paris en Suède, utilisait des données extraites de ces calendriers sans détenir de licence et sans verser de redevance. La société détentrice des droits de gestion a alors intenté une action en réparation du préjudice, arguant que les calendriers constituaient des bases de données protégées par le droit *sui generis*, lequel avait été transposé en droit suédois.

La juridiction suédoise de première instance, le Gotlands tingsrätt, avait débouté la demanderesse le 11 avril 2000, en considérant que si les calendriers bénéficiaient de la protection en tant que fruits d’investissements substantiels, leur utilisation par la société de paris ne constituait pas une violation de ces droits. Saisi en appel, le Svea hovrätt a confirmé cette décision le 3 mai 2001, mais en se fondant sur l’absence de preuve que les données litigieuses avaient bien été extraites des bases de données des organisateurs des championnats. C’est dans ce contexte que le Högsta domstolen, saisi du pourvoi, a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de la notion d’« investissement substantiel » au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive.

La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si les ressources consacrées à la création même des données qui composent une base peuvent être prises en considération pour évaluer le caractère substantiel de l’investissement ouvrant droit à la protection *sui generis*. En d’autres termes, l’investissement à protéger est-il celui de la création de l’information elle-même, ou seulement celui de sa collecte et de sa mise en forme ?

À cette question, la Cour de justice répond de manière restrictive en jugeant que la notion d’investissement « ne comprend pas les moyens mis en œuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d’une base de données ». La protection est donc réservée à l’investissement dans la constitution de la base, à l’exclusion de l’investissement dans la production des données qu’elle contient. La Cour opère ainsi une distinction fondamentale entre la phase de création de l’information et celle de son organisation (I), une interprétation stricte qui a pour effet de limiter considérablement le champ d’application de la protection *sui generis* (II).

***

I. L’interprétation restrictive de la notion d’investissement substantiel

La Cour de justice, pour définir le périmètre du droit *sui generis*, choisit une lecture finaliste de la directive. Elle exclut ainsi de l’investissement protégeable les moyens déployés pour la création des données (A), consacrant une distinction nette entre l’activité de création de l’information et celle de constitution de la base de données (B).

A. L’exclusion de l’investissement lié à la création des données

La solution de la Cour repose sur une interprétation précise de l’article 7, paragraphe 1, de la directive, qui conditionne la protection à un investissement substantiel dans « l’obtention, la vérification ou la présentation » du contenu. La Cour considère que ces termes ne visent pas la production des données elles-mêmes. Elle énonce que la notion d’investissement « doit s’entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base ». L’objectif du législateur communautaire, tel qu’il ressort notamment des considérants de la directive, était de stimuler la mise en place de systèmes de stockage et de traitement de données, et non d’accorder une protection nouvelle à l’activité de création d’informations.

En l’espèce, les efforts financiers et humains consentis pour organiser les championnats de football et déterminer les dates, horaires et oppositions des matchs relèvent de la création des données. Cet investissement, bien que considérable, est étranger à l’objectif de la directive. La Cour estime qu’il « se rapporte à l’organisation même des championnats » et ne saurait donc « entrer en ligne de compte dans le cadre de l’article 7, paragraphe 1, de la directive ». Cette exclusion est fondamentale, car elle empêche le producteur de données d’étendre la protection au-delà de la simple structure de compilation.

B. La distinction entre constitution de la base et création du contenu

En conséquence, la Cour consacre une dichotomie claire entre deux types d’investissements. D’une part, l’investissement créatif, qui génère les données, et d’autre part, l’investissement organisationnel, qui consiste à rassembler, vérifier et présenter ces données de manière systématique. Seul le second peut bénéficier de la protection *sui generis*, à la condition qu’il soit substantiel et autonome par rapport au premier. La Cour précise qu’une personne qui crée les données peut néanmoins prétendre à la protection si elle démontre un investissement substantiel et distinct pour la constitution de la base.

Toutefois, dans le cas des calendriers de football, la Cour constate qu’un tel investissement autonome n’existe pas. La recherche et le rassemblement des données « sont en effet indissociablement liés à la création de ces données », ne requérant aucun effort particulier de la part des organisateurs. De même, la vérification de l’exactitude des informations et leur présentation ne sauraient être considérées comme attestant un investissement substantiel indépendant de l’activité principale de création des calendriers. L’investissement dans la base de données est ici absorbé par l’investissement initial, ce qui lui ôte toute autonomie et, par conséquent, toute protection au titre du droit *sui generis*.

II. La portée limitée du droit *sui generis* du producteur

Cette interprétation stricte emporte des conséquences majeures sur la portée du droit institué par la directive. Elle réserve en pratique la protection aux seules bases de données de compilation (A), tout en refusant de sanctuariser les investissements dont le résultat est unique et non directement réplicable (B).

A. Une protection réservée aux bases de données de compilation

En dissociant l’investissement dans le contenu de celui dans le contenant, l’arrêt cantonne de fait le droit *sui generis* à la protection des bases de données qui agrègent des informations préexistantes. La protection vise à récompenser l’effort de celui qui recherche, sélectionne et agence des données dispersées pour en faire un ensemble cohérent et facilement accessible. Sont ainsi typiquement concernés les annuaires, les catalogues ou les compilations de jurisprudence, dont la valeur ajoutée réside précisément dans le travail de rassemblement et de présentation.

À l’inverse, sont exclues les bases de données dites « spin-off », qui ne sont que le sous-produit d’une activité principale créatrice des informations. Dans de tels cas, l’investissement principal n’est pas réalisé en vue de constituer une base de données, mais pour mener à bien une autre activité. La base de données n’est qu’une externalité de cette activité. En adoptant cette solution, la Cour de justice prévient le risque d’une appropriation indue de l’information elle-même sous couvert de la protection de son contenant, ce qui reviendrait à créer un nouveau droit de propriété intellectuelle sur des données brutes, en dehors du champ du droit d’auteur.

B. Le refus de protéger les investissements non réplicables

La finalité du droit *sui generis* est également de protéger les producteurs de bases de données contre le parasitisme, c’est-à-dire l’appropriation de leur investissement par un tiers qui pourrait reconstituer la base à moindre coût. Or, cette logique s’applique difficilement aux bases de données dont le contenu est le fruit d’une activité de création unique. Dans le cas d’espèce, la société de paris ne cherchait pas à répliquer l’investissement des organisateurs dans la création du calendrier des championnats, ce qui eût été impossible, mais se contentait d’utiliser l’information qui en résultait.

L’arrêt confirme ainsi que le droit *sui generis* ne protège pas contre l’utilisation des informations elles-mêmes, mais contre l’extraction ou la réutilisation qui porteraient atteinte à l’investissement dans la constitution de la base. En jugeant que l’investissement des ligues de football dans la création de leurs calendriers n’était pas pertinent, la Cour refuse de faire du droit *sui generis* un instrument de protection de l’activité économique principale du producteur de données. La valeur de la décision réside donc dans sa capacité à maintenir une frontière claire entre la protection d’un investissement organisationnel et la libre circulation de l’information non protégée par un autre droit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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