Cour de justice de l’Union européenne, le 9 novembre 2006, n°C-346/05

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes précise les conditions d’octroi des prestations de chômage au regard du principe de non-discrimination.

En l’espèce, une ressortissante d’un État membre, inscrite comme demandeur d’emploi dans un autre État membre que le sien, s’est vu refuser le bénéfice des allocations de chômage par l’institution compétente de l’État de résidence. Ce refus était motivé par le fait que l’intéressée n’avait pas accompli une période d’emploi sur le territoire de cet État, condition qui n’était cependant pas opposée aux nationaux. La juridiction nationale saisie du litige a alors interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle exigence avec le droit communautaire. Il s’agissait de déterminer si le principe d’égalité de traitement, corollaire de la libre circulation des travailleurs, s’oppose à une législation nationale qui subordonne l’octroi d’allocations de chômage à une condition de période d’emploi préalable sur le territoire national pour les seuls ressortissants d’autres États membres.

À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que les dispositions du traité et du droit dérivé « s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle l’institution compétente de l’État membre de résidence refuse à un ressortissant d’un autre État membre le droit aux allocations de chômage au motif que, à la date du dépôt de la demande d’allocations, l’intéressé n’avait pas accompli sur le territoire dudit État membre de résidence une période déterminée d’emploi, alors qu’une telle condition n’est pas exigée pour les ressortissants de ce dernier État membre ». La Cour fonde sa solution sur une application rigoureuse du principe d’égalité de traitement (I), confirmant ainsi sa portée protectrice pour les travailleurs migrants au sein de l’Union (II).

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I. La consécration du principe d’égalité de traitement au profit du travailleur migrant

La Cour s’attache d’abord à vérifier que la situation de la requérante relève bien du champ d’application du droit communautaire (A) avant de caractériser l’existence d’une discrimination prohibée fondée sur la nationalité (B).

A. L’applicabilité du droit communautaire à la situation du demandeur d’emploi

La Cour rappelle que la notion de travailleur, au sens du droit communautaire, est une notion large qui inclut les personnes à la recherche effective d’un emploi. Elle constate que la requérante, ressortissante d’un État membre cherchant un travail dans un autre État membre, relevait bien du champ d’application personnel de la libre circulation. La Cour énonce en effet qu’« il s’ensuit que [l’intéressée], en tant que ressortissante d’un État membre à la recherche d’un emploi dans un autre État membre, relève du champ d’application de l’article 39 ce et, partant, bénéficie du droit à l’égalité de traitement prévu au paragraphe 2 de cette disposition ».

De plus, les prestations en cause constituant des allocations de chômage, elles entrent dans le champ d’application matériel du règlement n° 1408/71 relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale. Le principe d’égalité de traitement en matière de sécurité sociale, spécifiquement énoncé à l’article 3 de ce règlement, trouve donc pleinement à s’appliquer. Cette double qualification permet à la Cour d’asseoir son raisonnement sur les garanties fondamentales offertes par le droit communautaire.

B. La caractérisation d’une discrimination fondée sur la nationalité

Une fois l’applicabilité du droit communautaire établie, la Cour examine si la législation nationale litigieuse instaure une différence de traitement. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le principe d’égalité de traitement vise à éliminer toute mesure qui imposerait à un ressortissant d’un autre État membre « un traitement plus rigoureux ou le placent dans une situation de droit ou de fait désavantageuse par rapport à la situation faite, dans les mêmes circonstances, à un national ».

Appliquant ce critère à l’affaire, la Cour constate sans difficulté que la condition d’une période d’emploi préalable, imposée uniquement aux ressortissants d’autres États membres, constitue une discrimination directe. Elle affirme qu’« il ne fait aucun doute que l’application que [l’institution compétente] fait des règles contenues dans le règlement nº 1408/71 entraîne une différence de traitement entre les ressortissants belges et ceux des autres États membres ». Cette différence de traitement étant avérée, elle ne peut être admise que si elle est objectivement justifiée, ce que la Cour examine avec rigueur.

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II. La portée de la solution dans le cadre de la coordination des systèmes de sécurité sociale

La Cour analyse ensuite les justifications potentielles à cette discrimination avant de les écarter fermement (A), consolidant ainsi l’effectivité du droit à la libre circulation des travailleurs (B).

A. Le rejet d’une justification à la différence de traitement

La Cour rappelle qu’une différence de traitement n’est compatible avec le droit communautaire que « si elle se fondait sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national ». Or, en l’espèce, la Cour note que ni l’institution nationale ni le gouvernement concerné n’ont fourni d’éléments susceptibles de justifier une telle dérogation au principe d’égalité de traitement.

La Cour écarte également l’argument implicite tiré de l’article 67 du règlement n° 1408/71, qui autorise un État membre à soumettre le droit aux prestations à l’accomplissement de périodes d’emploi. Elle souligne que cette faculté ne saurait être mise en œuvre de manière discriminatoire. Le point décisif réside dans le fait que la condition n’est pas appliquée aux propres nationaux de l’État de résidence qui se trouveraient dans une situation comparable. La Cour relève ainsi qu’« il ne ressort pas du dossier […] que la législation nationale exige l’accomplissement de telles périodes d’emploi s’agissant des travailleurs [nationaux] ayant effectué celles-ci sous la législation d’un autre État membre ». L’absence de justification objective et la nature discriminatoire de la condition la rendent donc incompatible avec le droit communautaire.

B. La consolidation du droit à la libre circulation des travailleurs

Cette décision, bien que s’inscrivant dans une ligne jurisprudentielle établie, revêt une portée significative en ce qu’elle garantit l’effet utile des dispositions relatives à la libre circulation. En interdisant aux États membres d’imposer des conditions d’emploi préalables et discriminatoires, la Cour empêche la création d’obstacles indirects à la mobilité des travailleurs. Une telle condition aurait pour effet de dissuader les ressortissants communautaires de chercher un emploi dans un autre État membre, de crainte de ne pouvoir bénéficier d’une protection sociale en cas de chômage.

La solution réaffirme la primauté du principe d’égalité de traitement comme un pilier fondamental de l’Union. Elle assure la cohérence du système de coordination des régimes de sécurité sociale, lequel vise précisément à faciliter la mobilité en permettant l’agrégation des périodes d’assurance ou d’emploi accomplies dans différents États membres. En censurant une pratique nationale qui nie cet objectif, la Cour renforce la citoyenneté européenne et la réalité d’un marché du travail intégré.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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