Cour de justice de l’Union européenne, le 9 novembre 2006, n°C-520/04

Par un arrêt en date du 9 novembre 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale avec les principes de la citoyenneté de l’Union.

En l’espèce, une ressortissante d’un État membre, après avoir exercé toute sa carrière dans le secteur public de son État d’origine, avait pris sa retraite et établi sa résidence permanente dans un autre État membre. Ses revenus se composaient exclusivement d’une pension versée par une institution de son pays d’origine. En vertu d’une convention fiscale bilatérale, cette pension n’était imposable que dans l’État de la source. Initialement soumise au régime fiscal des résidents, la pensionnée s’est vue appliquer, après trois ans de résidence à l’étranger, un régime d’imposition partielle destiné aux non-résidents. Ce changement a entraîné l’application d’une retenue à la source à un taux forfaitaire de 35 %, supérieur au taux progressif qui lui aurait été applicable si elle avait conservé sa résidence dans son État d’origine. Contestant cette décision, la requérante a exercé des recours successifs devant les juridictions nationales, jusqu’à ce que la Cour administrative suprême de cet État décide de saisir la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles.

Il était ainsi demandé à la Cour si les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs et à la citoyenneté de l’Union s’opposent à ce qu’un État membre applique un traitement fiscal plus défavorable à une pension de retraite au seul motif que son bénéficiaire réside dans un autre État membre, alors que cette pension constitue l’essentiel de ses revenus. La Cour de justice répond par l’affirmative en se fondant sur le statut de citoyen de l’Union, estimant qu’une telle réglementation constitue une entrave injustifiée à la liberté de circulation et de séjour. Cette solution clarifie le champ d’application des libertés de circulation en matière fiscale (I), tout en affirmant la prééminence du statut de citoyen de l’Union face aux compétences fiscales nationales (II).

I. La clarification du champ d’application des libertés de circulation en matière fiscale

La Cour de justice opère une distinction nette entre le fondement applicable à un travailleur actif et celui qui protège un citoyen ayant cessé son activité professionnelle. Elle écarte ainsi l’application de la libre circulation des travailleurs au profit de la citoyenneté de l’Union, plus générale.

A. L’exclusion raisonnée de la libre circulation des travailleurs

La Cour commence son analyse en vérifiant si la situation de la requérante relève du champ d’application de l’article 39 CE, qui garantit la libre circulation des travailleurs. Elle rappelle que cet article vise à faciliter l’exercice d’activités professionnelles sur l’ensemble du territoire de la Communauté et s’oppose aux mesures qui défavorisent les ressortissants souhaitant exercer une activité économique dans un autre État membre. Cependant, la Cour adopte une interprétation stricte du lien entre la circulation et l’activité économique.

Elle estime en effet que « ne peuvent se prévaloir de la libre circulation garantie par l’article 39 CE les personnes qui ont exercé l’ensemble de leur activité professionnelle dans l’État membre dont ils sont ressortissants et n’ont fait usage du droit de séjourner dans un autre État membre qu’après avoir pris leur retraite, sans aucune intention d’y exercer une activité salariée ». La situation de la pensionnée, qui n’a déménagé qu’après avoir cessé toute activité, ne s’inscrit donc pas dans le cadre de la liberté de circulation des travailleurs. Ce raisonnement confirme une jurisprudence constante qui exige un lien direct entre le déplacement vers un autre État membre et l’exercice d’une activité économique pour que la protection spécifique de l’article 39 CE puisse être invoquée.

B. Le recours pertinent à la citoyenneté de l’Union

L’article 39 CE étant écarté, la Cour examine la situation au regard de l’article 18 CE, qui confère à tout citoyen de l’Union le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Elle rappelle que le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres. Ce statut garantit que ceux qui se trouvent dans la même situation obtiennent le même traitement juridique dans le domaine d’application du traité.

La Cour considère que le simple fait pour un citoyen d’exercer sa liberté de circulation et de séjour le place dans le champ d’application du droit de l’Union. Par conséquent, une réglementation nationale qui désavantage un de ses ressortissants au seul motif qu’il a exercé cette liberté engendre une inégalité de traitement. Elle juge qu’« une réglementation nationale désavantageant certains ressortissants nationaux du seul fait qu’ils ont exercé leur liberté de circuler et de séjourner dans un autre État membre engendre en effet une inégalité de traitement contraire aux principes qui sous-tendent le statut de citoyen de l’Union ». En l’espèce, la charge fiscale plus lourde supportée par la pensionnée non-résidente constitue bien une entrave, car elle est de nature à la dissuader d’exercer son droit de séjourner dans un autre État membre.

La reconnaissance du statut de citoyen comme fondement juridique pertinent conduit la Cour à examiner la justification de la différence de traitement fiscal, renforçant ainsi la protection des non-résidents dans des situations spécifiques.

II. L’affirmation de la protection du citoyen face aux compétences fiscales nationales

Bien que la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, la Cour réaffirme que cette compétence doit s’exercer dans le respect du droit de l’Union. Elle contrôle la législation nationale en assimilant, dans ce cas précis, la situation du non-résident à celle du résident, ce qui la conduit à censurer une discrimination non justifiée.

A. L’assimilation justifiée du non-résident au résident

La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont généralement pas comparables. L’État de résidence est le mieux placé pour apprécier la capacité contributive globale du contribuable. Toutefois, elle a également établi une exception de longue date à ce principe. Lorsqu’un non-résident perçoit la totalité ou la quasi-totalité de ses revenus dans un État membre, sa situation devient objectivement comparable à celle d’un résident de cet État qui y exerce les mêmes activités ou perçoit les mêmes revenus.

La Cour transpose ce raisonnement, initialement développé pour les travailleurs, à la situation des titulaires de pensions de retraite. Elle constate que « dans la mesure où la pension de retraite payée dans [l’État membre concerné] constitue la totalité ou la quasi-totalité de leurs revenus, les retraités non-résidents […] se trouvent objectivement, en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, dans la même situation que les retraités résidant dans cet État qui perçoivent une pension de retraite identique ». Dans une telle hypothèse, l’État de la source est le seul à pouvoir tenir compte de la situation personnelle et familiale du contribuable. La différence de traitement fiscal ne peut donc se justifier par une différence de situation.

B. La censure d’une discrimination fiscale non justifiée

Dès lors que la différence de traitement porte sur des situations objectivement comparables, elle ne peut être admise que si elle est fondée sur des considérations objectives et proportionnées. Les arguments avancés par l’État membre concerné pour justifier sa législation, notamment la simplicité administrative du régime de retenue à la source pour les non-résidents, ne sont pas retenus. La Cour considère que de tels objectifs pourraient être atteints par des mesures moins restrictives pour la libre circulation.

De même, l’argument relatif aux difficultés de recouvrement de l’impôt auprès des non-résidents est écarté. La Cour rappelle l’existence d’instruments d’assistance mutuelle entre les autorités fiscales des États membres, tels que la directive 77/799/CEE pour l’échange d’informations et la directive 76/308/CEE pour le recouvrement des créances. Ces mécanismes permettent d’assurer une imposition effective sans recourir à un traitement discriminatoire. En jugeant la mesure disproportionnée, la Cour confirme que la compétence fiscale des États membres s’arrête là où commence une entrave non justifiée à une liberté fondamentale garantie par le traité, renforçant ainsi la portée du statut de citoyen de l’Union.

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Hassan KOHEN
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