Par un arrêt en date du 9 novembre 2010, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, s’est prononcée sur l’articulation entre une législation nationale interdisant de principe les ventes avec primes et la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales.
En l’espèce, une entreprise de presse avait organisé un concours permettant de remporter un dîner avec une personnalité, la participation étant liée à l’achat d’un journal ou possible par une inscription sur internet. Une société concurrente a saisi les juridictions autrichiennes afin de faire cesser cette pratique, qu’elle estimait être une vente avec prime prohibée par la loi nationale sur la concurrence déloyale. La juridiction de première instance a fait droit à la demande, mais la décision fut infirmée en appel au motif que l’offre n’avait pas d’effet d’attraction suffisant pour inciter le public à l’achat. Saisie d’un pourvoi, la juridiction suprême autrichienne a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice. Elle a relevé que la disposition nationale en cause visait non seulement la protection des consommateurs, mais aussi le maintien d’une concurrence efficace et le pluralisme de la presse.
Il était donc demandé à la Cour de déterminer si une législation nationale qui interdit de manière générale les ventes avec primes, pour des motifs incluant la protection des consommateurs mais aussi d’autres objectifs tels que le pluralisme de la presse, est compatible avec le régime d’harmonisation complète instauré par la directive sur les pratiques commerciales déloyales. À cette question, la Cour de justice a répondu que la directive « s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une interdiction générale des ventes avec primes et qui vise non seulement à protéger les consommateurs, mais poursuit également d’autres objectifs ». La Cour précise également qu’une telle pratique ne peut être qualifiée de déloyale du seul fait que la perspective de gain constitue le motif déterminant de l’achat pour une partie des consommateurs.
La solution retenue par la Cour réaffirme sans ambiguïté la portée de l’harmonisation complète opérée par la directive, excluant les interdictions de principe pour les pratiques non listées (I), ce qui a pour corollaire de contraindre le juge national à une analyse au cas par cas de la déloyauté (II).
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I. L’incompatibilité d’une interdiction nationale de principe avec le cadre harmonisé
La Cour de justice fonde sa solution sur le caractère exhaustif de l’harmonisation réalisée par la directive 2005/29/CE (A), ce qui la conduit logiquement à écarter les justifications nationales qui dépassent le champ de protection du consommateur défini par ce texte (B).
A. Le principe d’harmonisation complète comme obstacle à une prohibition générale
La Cour rappelle que la directive procède à « une harmonisation complète des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs ». Cette affirmation est au cœur de son raisonnement et emporte des conséquences déterminantes pour les législations des États membres. En effet, cette harmonisation maximale signifie que les États ne peuvent maintenir ou adopter des dispositions plus restrictives que celles prévues par la directive, même dans le but d’assurer un niveau de protection plus élevé pour les consommateurs. L’article 4 de la directive constitue à cet égard une clause de gel, interdisant toute mesure nationale qui entraverait la libre circulation pour des raisons relevant du domaine harmonisé.
Le mécanisme central de la directive repose sur une distinction fondamentale. D’une part, l’annexe I du texte établit une liste exhaustive de pratiques commerciales réputées déloyales « en toutes circonstances ». Pour ces pratiques, aucune analyse contextuelle n’est requise ; leur mise en œuvre est interdite de plein droit. D’autre part, pour toutes les autres pratiques non visées par cette liste noire, leur caractère déloyal doit être apprécié au cas par cas, à l’aune des critères généraux posés aux articles 5 à 9. Or, la Cour constate que « des pratiques consistant à offrir aux consommateurs des primes associées à l’achat de produits ou de services ne figurent pas à l’annexe I de la directive ». Par conséquent, une interdiction générale et de principe, telle que celle prévue par la loi autrichienne, est directement contraire au système mis en place par le législateur de l’Union, qui exige une évaluation concrète de la pratique.
B. Le rejet des objectifs nationaux étrangers au champ de la directive
Le gouvernement autrichien et la partie demanderesse au principal soutenaient que la législation nationale échappait au champ d’application de la directive, car elle poursuivait des objectifs autres que la seule protection des intérêts économiques des consommateurs, notamment le maintien du pluralisme de la presse et la protection des concurrents plus faibles. La Cour rejette fermement cette argumentation en se fondant sur le champ d’application matériel très large de la directive, qui couvre « toute pratique commerciale qui présente un lien direct avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs ». Elle rappelle que seules les législations nationales protégeant « uniquement » les intérêts des concurrents sont exclues.
En l’espèce, la disposition autrichienne visait expressément aussi la protection des consommateurs, ce qui suffisait à la faire entrer dans le champ de la directive. La Cour va plus loin en affirmant que, même à supposer que l’objectif principal soit le maintien du pluralisme de la presse, un tel motif ne figure pas parmi les dérogations expressément prévues par le texte. Comme la Cour le souligne, « la possibilité, pour les États membres, de maintenir ou d’instaurer sur leur territoire des mesures qui ont pour objet ou pour effet de qualifier des pratiques commerciales comme déloyales pour des motifs tenant au maintien du pluralisme de la presse ne figure pas parmi les dérogations ». Cette interprétation stricte des exceptions confirme que les États membres ne peuvent invoquer des politiques publiques nationales, aussi légitimes soient-elles, pour contourner le cadre d’harmonisation complète et réintroduire des interdictions générales pour des pratiques que le droit de l’Union soumet à une analyse individualisée.
II. La nécessaire appréciation concrète du caractère déloyal de la vente avec prime
En invalidant l’interdiction de principe, la Cour impose au juge national de procéder à une analyse factuelle de la pratique (A), marquant ainsi le passage d’une logique de prohibition à une logique de contrôle de l’abus (B).
A. Les critères de l’analyse au cas par cas
Répondant à la seconde question préjudicielle, la Cour fournit des indications sur la manière dont le juge national doit apprécier la loyauté d’une vente avec prime. La juridiction de renvoi demandait si le fait que la prime constitue le « motif déterminant » de l’achat pour une partie des consommateurs suffisait à rendre la pratique déloyale au sens de l’article 5, paragraphe 2, de la directive. La réponse de la Cour est négative. Elle énonce que cette circonstance « ne permet à elle seule de considérer une vente avec prime comme une pratique commerciale déloyale ».
Cet élément factuel est certes pertinent et constitue « l’un des éléments dont le juge national peut tenir compte ». Il peut notamment l’amener à considérer que la pratique « altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur », condition posée par l’article 5, paragraphe 2, sous b). Cependant, cette condition n’est pas suffisante. Le juge doit également vérifier, cumulativement, si la pratique est « contraire aux exigences de la diligence professionnelle », conformément à l’article 5, paragraphe 2, sous a). Ce faisant, la Cour rappelle que l’appréciation de la déloyauté ne saurait reposer sur un seul facteur psychologique, mais doit résulter d’une analyse globale de la pratique du professionnel au regard des standards de comportement attendus sur le marché.
B. Le passage d’une interdiction de principe à un contrôle de l’excès
La portée de cet arrêt est considérable pour les États membres qui, comme l’Autriche, connaissaient une tradition juridique de méfiance à l’égard des ventes avec primes, vues comme un facteur de distorsion de la concurrence et de manipulation du consommateur. La décision contraint à abandonner une approche régulatrice abstraite et préventive au profit d’une approche répressive et concrète. Le droit de l’Union ne prohibe pas la technique promotionnelle en elle-même ; il ne sanctionne que ses usages excessifs et préjudiciables.
Le contrôle ne porte plus sur la licéité de l’offre couplée, mais sur ses modalités et ses effets. Il s’agit pour le juge national d’examiner si, dans les faits, l’offre est présentée de manière claire et transparente, si le consommateur n’est pas induit en erreur sur la valeur de la prime ou du produit principal, ou si la pression exercée n’est pas de nature à vicier son consentement économique. En définitive, la Cour consacre une vision du consommateur moyen comme un acteur économique normalement informé et raisonnablement attentif, qui n’a pas à être protégé contre toute forme de sollicitation commerciale, mais seulement contre celles qui sont véritablement déloyales et qui altèrent substantiellement sa capacité à prendre une décision commerciale en connaissance de cause.