Par un arrêt rendu le 20 juillet 2017, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les conditions de recevabilité d’un recours en annulation partielle dirigé contre un règlement instituant des mesures de défense commerciale.
En l’espèce, à la suite d’une plainte déposée par une association de producteurs de l’Union, la Commission européenne a ouvert une procédure antidumping concernant les importations de modules photovoltaïques en silicium cristallin originaires d’un pays tiers. Cette procédure a conduit à l’adoption d’un règlement instituant un droit antidumping provisoire. Par la suite, une chambre de commerce représentant plusieurs producteurs-exportateurs du pays concerné a soumis une offre d’engagement volontaire, proposant notamment le respect de prix minimaux à l’importation. La Commission a accepté cet engagement, et le Conseil de l’Union européenne a adopté un règlement instituant un droit antidumping définitif. Ce règlement prévoyait, en son article 1er, l’application de droits définitifs, mais son article 3 exemptait de ces droits les importations effectuées par les sociétés ayant souscrit à l’engagement de prix.
Une société productrice au sein de l’Union, requérante en première instance, a introduit un recours devant le Tribunal de l’Union européenne, demandant l’annulation du seul article 3 du règlement litigieux. Elle soutenait que l’engagement de prix était illégal et insuffisant pour éliminer le préjudice causé par le dumping. Par une ordonnance du 1er février 2016, le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable, au motif que l’article 3 n’était pas dissociable du reste du règlement, son annulation ayant pour effet de modifier la substance de l’acte. La société requérante a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant l’appréciation du Tribunal sur le caractère non détachable de la disposition attaquée.
La question de droit soumise à la Cour consistait donc à déterminer si la disposition d’un règlement antidumping exemptant de droits certains exportateurs en vertu d’un engagement de prix est dissociable du reste de l’acte qui institue les droits eux-mêmes. En d’autres termes, l’annulation de cette seule exonération modifierait-elle la substance du règlement, rendant ainsi une annulation partielle impossible ?
La Cour de justice rejette le pourvoi, confirmant l’analyse du Tribunal. Elle juge que l’annulation de la disposition accordant une exonération de droits aurait pour conséquence d’étendre la portée des droits antidumping à l’ensemble des importations, ce qui constituerait une modification de la substance de l’acte. L’article 3 n’est donc pas détachable du reste du règlement, et le recours en annulation partielle est irrecevable.
Cette décision réaffirme avec force le critère de la non-modification de la substance de l’acte comme condition de la divisibilité, et ce, en soulignant l’économie générale d’un règlement antidumping acceptant un engagement de prix (I). Toutefois, cette approche rigoureuse a pour conséquence de placer l’industrie de l’Union dans une situation procédurale délicate, limitant la portée pratique de son droit au recours (II).
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I. La confirmation d’une approche substantielle de la divisibilité de l’acte
La Cour, en validant l’ordonnance du Tribunal, fonde son raisonnement sur l’indissociabilité des mesures instituées par le règlement litigieux (A) et sur le refus de voir le juge modifier l’équilibre voulu par le législateur de l’Union (B).
A. La reconnaissance du caractère indissociable des mesures correctrices
L’arrêt met en lumière le fait que le règlement litigieux instaure un système dual, formant un ensemble cohérent et indivisible. D’une part, l’article 1er institue un droit antidumping *ad valorem* applicable en principe à toutes les importations du produit concerné. D’autre part, l’article 3 prévoit une exemption à cette règle pour les exportateurs qui se conforment à un engagement de prix minimal à l’importation. La Cour souligne que ces deux volets sont des « mesures distinctes et complémentaires, qui visent à atteindre un résultat commun ». L’engagement de prix n’est pas une simple modalité accessoire, mais une alternative essentielle voulue par le législateur pour atteindre l’objectif de protection de l’industrie de l’Union.
Le considérant 340 du règlement litigieux, cité par la Cour, atteste de cette logique. Il expose que l’engagement de prix, en maintenant les importations à un certain niveau de prix, « garantit une demande suffisante » et participe pleinement à l’élimination du préjudice. Le législateur a ainsi conçu un « paquet » de mesures où l’engagement de prix et les droits *ad valorem* sont les deux faces d’une même politique de défense commerciale. Annuler l’une de ces composantes reviendrait à dénaturer le mécanisme dans son intégralité, car le Conseil n’aurait peut-être pas adopté le règlement sous la même forme sans l’existence de cet engagement, qui concernait d’ailleurs une part majoritaire des importations.
B. Le refus de la modification de la substance de l’acte
La Cour applique une jurisprudence constante selon laquelle une annulation partielle est impossible si elle « aurait pour effet de modifier la substance » de l’acte. En l’espèce, l’annulation du seul article 3 aurait une conséquence automatique et directe : l’exemption disparaissant, les importations des sociétés ayant souscrit à l’engagement seraient soumises au droit antidumping général prévu à l’article 1er. Le champ d’application de ce droit serait alors étendu à la totalité des importations chinoises, alors que le règlement, dans sa version adoptée, n’en visait qu’une fraction.
Comme le relève la Cour, un tel résultat « constituerait une modification de la substance de l’acte ». Le juge se substituerait au législateur en créant une situation juridique nouvelle et plus large que celle que ce dernier avait entendu établir. La Cour rappelle ainsi que son contrôle de légalité ne lui permet pas de réécrire un acte en altérant son économie générale. Le fait que les producteurs-exportateurs resteraient, dans tous les cas, soumis à une mesure antidumping – que ce soit l’engagement de prix ou le droit *ad valorem* – est jugé inopérant, car la nature et les conséquences économiques de ces deux mesures sont objectivement différentes.
En validant le raisonnement du Tribunal, la Cour réaffirme une solution classique, dont la rigueur logique n’est pas sans soulever des difficultés pratiques pour les plaignants.
II. La portée d’une solution rigoureuse pour l’industrie de l’Union
Si la décision est juridiquement fondée, elle n’en demeure pas moins source de contraintes importantes pour les producteurs de l’Union souhaitant contester la légalité des mesures de défense commerciale (A), tout en offrant une illustration de l’interprétation stricte du droit au recours effectif (B).
A. Une protection juridictionnelle soumise à un choix radical
La conséquence la plus notable de cet arrêt est de placer l’industrie plaignante dans une situation de « tout ou rien ». Pour contester ce qu’elle estime être un engagement de prix illégal ou insuffisant pour neutraliser le préjudice, elle ne peut se contenter d’attaquer la disposition relative à cet engagement. Elle est contrainte de demander l’annulation de l’intégralité du règlement, y compris la disposition qui institue les droits antidumping qui lui offrent, malgré tout, une certaine protection. Ce faisant, elle prend le risque, en cas de succès, de voir disparaître l’ensemble du dispositif de défense commerciale, la laissant sans aucune protection le temps que les institutions adoptent de nouvelles mesures.
Ce dilemme procédural peut avoir un effet dissuasif sur l’exercice des voies de recours par les industries de l’Union. La complexité et le risque associés à une demande d’annulation totale peuvent les décourager de contester des engagements qu’elles jugent préjudiciables. La solution confirmée par la Cour semble ainsi privilégier la cohérence formelle de l’acte au détriment de la flexibilité du contrôle juridictionnel, alors même que l’objectif du règlement de base est de protéger efficacement les producteurs de l’Union contre le dumping.
B. L’interprétation restrictive du droit au recours effectif
La société requérante invoquait une violation de son droit à un recours effectif, garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux. Elle soutenait que l’impossibilité d’une annulation partielle la privait *de jure* de toute voie de droit utile. La Cour écarte cet argument en rappelant sa jurisprudence constante : le droit au recours effectif « n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours ».
En d’autres termes, le principe de protection juridictionnelle effective n’autorise pas un justiciable à contourner les conditions de recevabilité établies, telle que celle relative à la divisibilité de l’acte. La Cour précise que la requérante disposait d’autres voies pour contester le règlement : soit en attaquant l’acte dans son intégralité, quitte à demander une modulation des effets de l’annulation, soit en soulevant une exception d’illégalité devant une juridiction nationale, qui pourrait alors saisir la Cour d’une question préjudicielle. Cette position, bien que conforme à l’orthodoxie juridique, montre que le droit au recours effectif ne garantit pas un accès inconditionnel et sur mesure au juge de l’Union, mais un accès dans le cadre procédural défini par les traités.