Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation des dispositions de la directive 2003/88/CE relative à l’aménagement du temps de travail. En l’espèce, un salarié, anciennement employé au sein d’une entreprise exploitant un casino au Portugal, a saisi les juridictions nationales d’une demande en paiement de dommages et intérêts. Il soutenait que les périodes de travail de sept jours consécutifs qu’il avait parfois effectuées auraient dû donner lieu à une rémunération majorée, au motif qu’il n’avait pas bénéficié d’un repos compensateur. L’organisation du travail au sein de l’entreprise reposait sur un système de roulement, l’établissement étant ouvert quasiment tous les jours de l’année.
La demande du salarié fut rejetée en première instance, ce qui le conduisit à interjeter appel devant le Tribunal da Relação do Porto. Devant cette juridiction, le travailleur arguait que le droit national, interprété à la lumière du droit de l’Union, imposait l’octroi d’un jour de repos au plus tard après six jours de travail consécutifs. L’employeur s’opposait à cette lecture, affirmant que ni le droit national ni le droit de l’Union n’imposaient une telle limitation, pourvu que le salarié bénéficie bien d’une période de repos au cours de chaque période de sept jours. Face à cette divergence d’interprétation, la juridiction d’appel portugaise a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles.
Il était ainsi demandé à la Cour si l’article 5 de la directive 2003/88, qui garantit à tout travailleur une période de repos minimale « au cours de chaque période de sept jours », doit être interprété comme imposant que ce repos soit octroyé au plus tard le jour suivant une période de six jours de travail consécutifs. En d’autres termes, la question était de savoir si la période de repos hebdomadaire devait nécessairement interrompre une série de jours de labeur ou si elle pouvait être positionnée librement à l’intérieur d’une période de référence de sept jours.
La Cour de justice répond que l’article 5 de la directive n’exige pas que la période minimale de repos hebdomadaire soit accordée au plus tard le jour suivant six jours de travail consécutifs. Elle juge que cette période de repos doit simplement être octroyée à l’intérieur de chaque période de sept jours. Cette solution consacre une interprétation flexible de la notion de repos hebdomadaire (I), tout en en définissant une portée limitée par les prérogatives des États membres et des partenaires sociaux (II).
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I. La consécration d’une interprétation flexible du repos hebdomadaire
La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse littérale et systématique du texte de la directive (A), laquelle est renforcée par une approche téléologique qui met en balance la protection des travailleurs et la souplesse d’organisation (B).
A. Une lecture littérale et systématique de la directive
La Cour procède en premier lieu à une analyse du libellé de l’article 5 de la directive 2003/88. Elle observe que la disposition impose aux États membres de s’assurer que tout travailleur bénéficie, « au cours de chaque période de sept jours », d’une période de repos minimale, mais sans pour autant « précise[r] le moment auquel doit intervenir cette période minimale de repos ». Cette absence de précision textuelle confère ainsi aux États membres une marge d’appréciation quant à la détermination de ce moment. La Cour relève que cette interprétation est confortée par la comparaison des différentes versions linguistiques du texte, dont la majorité, comme les versions anglaise et allemande, stipulent que le repos est accordé « pour » chaque période de sept jours, ce qui renforce l’idée d’un droit s’inscrivant dans un cadre temporel plutôt qu’à un instant T.
En second lieu, la Cour adopte une lecture systématique de la directive pour corroborer son analyse. Elle note que le législateur de l’Union a utilisé à plusieurs reprises le concept de « période de référence », notamment à l’article 16, qui permet d’étendre la période de référence pour le repos hebdomadaire à quatorze jours. La période de sept jours de l’article 5 peut donc être considérée comme une telle période de référence. Or, une période de référence se définit comme « une période fixe à l’intérieur de laquelle un certain nombre d’heures consécutives de repos doivent être accordées, indépendamment du moment où ces heures de repos sont octroyées ». Par conséquent, la structure même de la directive milite en faveur d’une approche qui n’impose pas une répartition rigide et séquentielle des jours de travail et de repos.
B. Une approche téléologique au service de la souplesse
L’interprétation retenue par la Cour est également justifiée par une analyse des finalités de la directive. Celle-ci vise certes à garantir « la protection de façon efficace de la sécurité et la santé des travailleurs », ce qui implique l’octroi de périodes de repos adéquates. Cependant, la Cour rappelle que le texte ménage également « une certaine souplesse dans la mise en œuvre des dispositions de celle-ci », comme en témoignent les nombreuses possibilités de dérogation qu’il prévoit, notamment pour le travail posté ou les activités nécessitant une continuité de service. L’interprétation de l’article 5 s’inscrit donc dans cet équilibre entre la protection du salarié et les nécessités organisationnelles de l’entreprise.
De surcroît, la Cour souligne que la flexibilité ainsi reconnue n’est pas uniquement à l’avantage de l’employeur. Elle peut également bénéficier au travailleur, en permettant par exemple « d’accorder plusieurs jours de repos consécutifs au travailleur concerné, à la fin d’une période de référence et au début de la suivante ». Une telle organisation peut offrir au salarié des périodes de repos plus longues et continues, ce qui peut s’avérer plus favorable qu’un jour de repos isolé chaque semaine. La Cour prend soin de préciser que cette flexibilité reste encadrée par les autres garanties de la directive, telles que le repos journalier de onze heures et la durée maximale hebdomadaire de travail, qui continuent de s’appliquer en toute circonstance.
II. La portée limitée de la solution retenue
La décision de la Cour, si elle clarifie le droit de l’Union, a une portée qui doit être appréciée avec mesure. Elle affirme la primauté de la période de référence sur le nombre de jours de travail consécutifs (A), mais rappelle que cette solution est circonscrite par la latitude laissée aux États membres (B).
A. La primauté de la période de référence sur la consécution des jours de travail
La solution dégagée par la Cour établit clairement que le concept déterminant est celui de la « période de sept jours » en tant que bloc de référence temporel. Il n’existe pas, en droit de l’Union, de principe interdisant de travailler plus de six jours d’affilée. Cette interprétation offre une sécurité juridique considérable aux entreprises dont l’activité est continue ou soumise à de fortes variations, en leur permettant d’organiser les horaires de travail avec une plus grande souplesse. Elle valide des plannings où les jours de repos sont regroupés, ce qui peut conduire un salarié à travailler jusqu’à douze jours consécutifs sans enfreindre la directive, si ses repos sont placés au début de la première période de quatorze jours et à la fin de la seconde.
Cependant, cette primauté de la période de référence n’est pas absolue et ne signifie pas une absence de protection pour le travailleur. La Cour insiste sur le fait que le travailleur doit bénéficier, en toutes circonstances, des autres protections de la directive, notamment en matière de repos journalier et de limitation de la durée moyenne du travail. L’interprétation de l’article 5 ne saurait donc être lue comme une autorisation de déroger à l’ensemble des garde-fous prévus par le droit social européen. La flexibilité accordée sur le positionnement du repos hebdomadaire est conditionnée au respect scrupuleux des autres normes minimales.
B. Une solution circonscrite par la faculté d’action des États membres
L’apport principal de la décision réside peut-être dans ce qu’elle ne dit pas. La Cour rappelle avec force que la directive 2003/88 établit des « normes minimales » de protection. À ce titre, l’article 15 de la directive préserve expressément « la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ». La solution retenue par la Cour n’empêche donc nullement un législateur national, ou les partenaires sociaux par voie de convention collective, d’instaurer une règle plus protectrice, telle que l’interdiction de travailler plus de six jours consécutifs.
En définitive, la Cour renvoie la question au niveau national. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si, et dans quelle mesure, le droit portugais ou les conventions collectives applicables prévoient une protection plus étendue que le socle minimal européen. La décision de la Cour de justice ne fait donc que fixer le plancher de protection en deçà duquel il n’est pas permis de descendre. Elle laisse intacte la possibilité pour chaque État membre de définir, en fonction de ses propres traditions sociales et de ses choix politiques, un niveau de protection supérieur pour ses travailleurs.